Pour Emmanuel Macron, le bonheur est dans "l'après"

Hier soir, pour sa quatrième allocution depuis le début de la crise sanitaire, Emmanuel Macron a appelé à "sortir des sentiers battus, des idéologies, nous réinventer – et moi le premier".  ©AFP - Martin Bureau
Hier soir, pour sa quatrième allocution depuis le début de la crise sanitaire, Emmanuel Macron a appelé à "sortir des sentiers battus, des idéologies, nous réinventer – et moi le premier". ©AFP - Martin Bureau
Hier soir, pour sa quatrième allocution depuis le début de la crise sanitaire, Emmanuel Macron a appelé à "sortir des sentiers battus, des idéologies, nous réinventer – et moi le premier". ©AFP - Martin Bureau
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Pour reconstruire le pays après la crise du covid-19, le chef de l'Etat rêve de susciter l'union nationale et de faire oublier "l'avant".

On l'avait laissé en chef de guerre, le revoici en directeur de colonie de vacances. Bronzé, le cheveu un peu plus long qu'à l'accoutumée - peut-être une forme de solidarité capillaire avec les privés de coiffeurs -, Emmanuel Macron a adopté le ton du grand organisateur ; celui qui salue d'une voix chaude les bonnes actions au service du collectif.  

Social plutôt que martial, empathique plutôt qu'antipathique, Emmanuel Macron a choisi hier soir la posture de la bonhomie. Le président cite, l’œil ému, les familles pauvres, les personnes handicapées, les malades chroniques, les "anciens" délaissés.  

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Volontiers dans l'emphase, se disant « fier des Français », il contraste avec la sobriété orageuse du Premier ministre.

Visiblement, les rôles ont été répartis : Emmanuel Macron passe la brosse à reluire ; Edouard Philippe manie la brosse à crin.  

Les deux têtes de l'exécutif subodorent un pays prudent mais fatigué, de bonne volonté mais circonspect. Un peuple auquel il faut prodiguer à la fois des compliments et des interdictions, des châtiments et des félicitations.  

Le président est tout de même resté flou sur plusieurs points...

Il a évoqué la date du 11 mai pour le retour en classes... mais si l'on écoute bien, il parle d'une rentrée « à partir du 11 mai, progressivement ». Et les mots importants dans la phrase sont bien sûr "à partir" et "progressivement".

Cela nous laisse entrevoir un dé-confinement scolaire décidé région par région, en fonction de la courbe épidémique locale. De quoi se laisser le temps d'ajuster. 

Point fort de cette décision : le gouvernement ne s'enferme pas dans une date unique et univoque, qui sera peut-être impossible à tenir.  

Point faible du raisonnement : l'absence de tests généralisés rend difficile à évaluer le taux de contamination dans chaque région.  

Emmanuel Macron a aussi esquissé les changements politiques à venir...

Et d'abord le sien. « Sachons nous réinventer, moi le premier », a-t-il glissé à la fin de son intervention. Cela rappelle le fameux « J'ai changé » de Nicolas Sarkozy.  

Derrière cette phrase, l'humilité affichée... Mais aussi l'espoir de solder le passé. De passer l'éponge sur les erreurs du quinquennat. D'effacer l'ardoise de l'exécutif, le mécontentement et la colère.  

En somme, après "l'argent magique", voici "l'ardoise magique".

Mais au-delà du ton, le fond de ce discours est très intéressant.  

Hier matin ici-même, nous évoquions une « chance » pour le président de la République. Celle d'une nouvelle période, où tous les dogmes partisans sont bousculés. Eh bien il l'a saisi, cette chance.  

Emmanuel Macron, en dévoilant les grandes lignes de son programme pour l'après-crise, en appelle à tous les partis politiques.  

Si l'on écoute ce discours entre les lignes, il leur envoie des signaux, de manière subliminale.

Pour les Verts, il insiste sur « la sobriété carbone ».  

En direction de la France insoumise, il reprend « la planification », concept récurrent chez Jean-Luc Mélenchon.  

A la droite, il assure qu'il veut sauvegarder notre « indépendance financière ». En d'autres mots, cela veut dire faire attention à ne pas trop s'endetter.  

Il trouve enfin des accents qui peuvent satisfaire le Rassemblement national quand il vante « l'indépendance française ».  

Du reste, la relocalisation des industries, l'Etatisme, voire le dirigisme économique, peuvent plaire (au moins pour une période) à toutes  ces formations politiques.  

Hier soir, Emmanuel Macron a brûlé son programme de 2017.  

Libéré de la contrainte des 3% de déficit, il se rêve en président de la reconstruction. Le maître-d’œuvre du chantier de demain sur les ruines d'hier.

D'où l'allusion aux « Jours heureux » du Conseil national de la résistance. La promesse du bonheur après l'effondrement.

D'où, aussi, ces mots : « bâtir un autre projet dans la concorde », « avec toutes les composantes de notre Nation ».  

Est-ce un début d'appel à l'Union nationale, où tous les partis se rassembleraient sur des grands projets communs ?  

Cela y ressemble. D'ailleurs, peut-être cette union nationale a-t-elle déjà commencé en catimini.  

Vous faites allusion à une nomination rendue publique hier...

Oui, le gouvernement a nommé Pierre Serne, un élu d'Europe Ecologie-Les Verts - d'ailleurs pas franchement connu pour sa déférence envers le gouvernement.  

Il est chargé par l'exécutif de d'imaginer, pour l'après-crise, une nouvelle politique du vélo. La bicyclette : moyen de déplacement le plus sûr vis-à-vis du virus, et le plus écologique. Et donc le mode de transport idéal pour le déconfinement.  

En somme, il s'agit de recruter un adversaire politique pour bâtir le "monde d'après". 

Reste à voir si la formule peut être dupliquée et étendue. Hier soir, Olivier Faure au PS et Damien Abad chez LR ont salué le discours présidentiel.  

Alors est-ce le début d'un bouleversement des clivages partisans, au nom de l'intérêt général ?  

Ce qui est sûr, c'est ce que les boussoles traditionnelles s'affolent. L'épidémie provoque des changements de pied inattendus.  

Ainsi, l'on a été surpris d'entendre la France insoumise louer « l'exemple allemand » dans la lutte contre le coronavirus... Il n'y pas si longtemps, Jean-Luc Mélenchon fustigeait pourtant le modèle germanique dans un livre poétiquement intitulé « Le Hareng de Bismarck ». C'est ainsi.

De la même manière, Emmanuel Macron semble converti aux vertus de la dépense publique, à la relocalisation, et aux nationalisations d'entreprises. Qui l'eût cru ? 

Gardons-nous de prendre pour acquises ces inflexions.  

Comme la godille chez les skieurs, il se pourrait qu'il s'agisse en fait de petits virages... pour mieux aller dans la même direction.  

Frédéric Says

L'équipe