Dans le monde d'après, mieux vaut savoir bricoler

dans le monde d'après, mieux vaut savoir bricoler ©Getty - Mickey Cashew
dans le monde d'après, mieux vaut savoir bricoler ©Getty - Mickey Cashew
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Le gène du bricolage ne se transmet pas de père en fils. Dommage : en ces temps de confinement et de transition écologique, ce serait bien utile.

Du côté maternel, nous étions deux cousins du même âge. J’étais l’intello, lui le manuel. A Noël, pour les étrennes, les oncles et tantes lui offraient des outils. A moi, des livres. Nous étions complémentaires : je lisais Robinson Crusoé et le Manuel des Castors Juniors, tandis que lui fabriquait les objets de fortune et les cabanes qui peuplaient nos récits.

J’ai fait quelques progrès depuis (changer un joint sans faire dégouliner le mastic, démonter une prise sans blessure mortelle), mais ils ne m’ont pas permis de combler le retard initial : j’ai davantage de livres dans ma bibliothèque que d’outils dans mes placards. La science est catégorique : le virus du bricolage n’est pas contagieux.

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En cette période de transition, censée nous faire basculer du monde d’avant dans celui d’après, ce ne serait pourtant pas un luxe que d’avoir hérité de quelque talent en la matière. Dans ‘’Ravages’’, le roman post-apocalyptique de René Barjavel, ceux qui s’en sortent le mieux savent quoi faire de leurs mains. Sans tomber dans le délire des survivalistes, le gène du bricolage est un passeport précieux pour l’autonomie. 

Est-ce la raison pour laquelle les Américains se sont pris d’une passion soudaine pour les magasins d’outillage ? Un article du Washington Post, publié hier dans Courrier international, évoque la ruée post-covid autour des pots de peinture et des rayons quincaillerie, la même que devant les paquets de farine et le papier-toilette au supermarché. En France, c’est un peu plus compliqué. Les magasins de bricolage ont d’abord dû fermer, avant de rouvrir mais pour ne servir que leurs clients ayant passé commande sur internet. Et encore, tout ne s’y vend pas. Comme l’explique au JDD le gérant d’un magasin, ‘’nous devons déterminer ce qui est essentiel. La décoration par ex n’entre pas dans cette catégorie’’.

C’est à mon sens une vision étriquée de la notion de ‘première nécessité’. En ces temps de confinement, le maniement du tournevis et du pinceau contribuent au moins autant à l’apaisement des esprits que la lecture des chefs d’œuvre de la littérature. Je fais d’ailleurs le pari qu’après une période qui a consisté à engranger les recommandations culturelles jusqu’à ne plus savoir qu’en faire, le travailleur manuel qui sommeille en nous va prendre sa revanche sur le littéraire. 

Par conséquent, et pour le monde d’après, j’hésite entre deux résolutions : soit des cours de remise à niveau, soit l’achat d’une imprimante 3D. Un adolescent parisien de 14 ans s’en sert depuis quelques jours pour fabriquer, à domicile, des masques de protection, qu’il livre à l’hôpital le plus proche. ‘’Son atelier tourne en continu de 8h à 22h’’ raconte le reportage de France Info qui dresse son portrait.

Roméo, c’est son prénom, fait partie de l’armée invisible des makers, ces bricoleurs technophiles qu’on peut croiser ordinairement dans les fablabs. On ne parle pas assez de ces lieux de conception et de fabrication collaboratifs, très mobilisés face au coronavirus, comme face à la crise écologique. Le réseau qui les réunit vient d’ailleurs de publier une lettre ouverte pour déplorer le désintérêt de l’Etat à leur égard.

Est-ce parce que nous sommes une nation dirigée par de purs intellos ? J’évoquais au début de cette chronique la complémentarité avec mon cousin. Le système éducatif français est ainsi fait qu’elle est devenue un antagonisme. La grande bifurcation avait déjà été programmée bien avant le lycée : untel suivrait la filière générale, l’autre irait dans l’enseignement professionnel. Entre les deux, si peu de passerelles, et un déséquilibre flagrant au profit de la première, qui ne s’est guère démenti depuis : en France, qu’on le veuille ou non, le bac pro reste considéré comme une voie de garage.

Cette période de transition, censée nous faire passer du monde d’avant à celui d’après, va-t-elle contribuer à repenser la hiérarchie entre les différents métiers ? La société fait mine de découvrir que le salaire n’est pas indexé sur le service rendu à la collectivité. Il en est beaucoup question en ce moment à propos des professions directement confrontées à la gestion de l’épidémie : aides-soignants, caissières, agents d’entretien, manutentionnaires… On pourrait étendre la réflexion à l’ensemble du travail manuel.

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