Scholastique Mukasonga : "Nous allons vaincre le coronavirus, parce que la peur nous a appris à résister" : épisode • 5/5 du podcast Regards d'écrivains en temps incertains

Scholastique Mukasonga au 30ème salon du livre et de la presse à Genève, en Suisse le 29 avril 2016. ©Getty - Jean-Marc ZAORSKI / Contributeur
Scholastique Mukasonga au 30ème salon du livre et de la presse à Genève, en Suisse le 29 avril 2016. ©Getty - Jean-Marc ZAORSKI / Contributeur
Scholastique Mukasonga au 30ème salon du livre et de la presse à Genève, en Suisse le 29 avril 2016. ©Getty - Jean-Marc ZAORSKI / Contributeur
Publicité

L'écrivaine franco-rwandaise Scholastique Mukasonga, installée en Normandie, voit dans la crise actuelle du Covid-19 une incitation à tout repenser : notre rapport à la nature, mais aussi à l'autre et à la vie.

Avec

Scholastique Mukasonga aimerait que le 11 mai devienne un jour de commémoration pour ne pas oublier les enseignements du coronavirus. Celle qui a vu la mort de près lors du génocide rwandais de 1994, au cours duquel 37 membres de sa famille furent assassinés, insiste sur le fait que nous devons tirer des leçons de tout drame. Arrivée en France en 1992 pour échapper aux pogroms contre les Tutsi, Scholastique Mukasonga s'installe dans le Calvados et y devient assistante sociale — un métier qu'elle refusera d'abandonner même après ses premiers succès d'écrivaine et son Prix Renaudot pour Notre-Dame-du-Nil en 2012. Car celle que Jérôme Garcin appelait alors " la pharaonne noire du Calvados" a toujours gardé les pieds sur terre et le coeur grand ouvert. Rayonnante, elle dit tirer son énergie des autres, notamment ses "protégés", pour lesquels elle se bat au quotidien. À la faveur de la crise actuelle, elle nous confie même avoir réappris à écouter... 

Ce qui nous est arrivé a été comme un électrochoc : on était devenu un peu égoïstes et individualistes, même dans le travail. Aujourd’hui en tant qu’assistante sociale j’ai retrouvé ma place, une forme de communication, sans être face-à-face mais par téléphone : je donne beaucoup plus de temps et d’écoute à mes protégés. Je retrouve l’attention de l’autre qu’on avait perdue.
(Scholastique Mukasonga)

Publicité

J’ai été agréablement surprise par la capacité de réagir et de se réinventer de l’être humain. Les gens ont adhéré très vite aux consignes de distanciation sociale, mais en même temps ont inventé de nouvelles formes de communication sans se toucher.  
(Scholastique Mukasonga)

A l'heure où le monde ploie sous la crise du coronavirus mais où l'Afrique ne cesse d'intriguer par ses chiffres étonnamment bas (1,2% des cas de coronavirus au 5 mai dernier selon l'OMS, malgré la concentration de 17% de la population mondiale), de plus en plus de voix s'élèvent contre "l'afro-pessimisme" ambiant qui ne peut s'empêcher de prédire le pire au continent — pour exemple la puissante tribune de ce collectif d'intellectuel africains le 10 avril dernier dans Jeune Afrique. Et si l'Afrique, au contraire, s'en sortait mieux que le reste du monde ? Et si, mieux que les pays occidentaux, elle savait reconnaître ses fragilités et réagir rapidement pour développer ses forces ?

Le coronavirus nous a tous mis dans le même bateau, on s’est rendu compte qu’il n’y a pas de super-hommes ou de super-femmes. Il faut le reconnaître justement pour sortir de cette fragilité et développer nos forces.                  
(Scholastique Mukasonga)

Scholastique Mukasonga considère par ailleurs que la combativité du peuple rwandais, qui ne déplore à ce jour aucun mort du Covid-19, lui vient tout droit de l'expérience traumatisante du génocide qui lui aurait appris à "faire bloc", entre solidarité et résilience. On pense alors aux mots récents de la philosophe ivoirienne Tanella Boni sur les pays africains : "L'adversité nous apprend à nous adapter en permanence." En guise de point de repère, Scholastique Mukasonga cite également un mot commun dans toutes les langues bantoues, "ubuntu", qui signifie "je suis parce que nous sommes" — célèbre mantra de Nelson Mandela à sa sortie de prison. 

Je résiste. Je ne dirais pas qu’en tant que survivante du génocide rwandais je ne suis plus impressionnée par rien, non : l’être humain a toujours la même sensibilité à la douleur, mais j’ai appris à ne pas céder à la panique, à rebondir et chercher la lumière pour sortir du tunnel.  
(Scholastique Mukasonga)

Préventif, le Rwanda a été l'un des deux premiers pays africains à entrer en confinement, le 21 mars, alors que le pays ne comptait que 17 cas recensés de Covid-19. Réputé pour son avance technologique, il a également su mobiliser très vite ses ressources en lançant la construction locale (moins chère) de ventilateurs pour les hôpitaux, la livraison de médicaments ou de tests par drone ainsi que l'utilisation de 5 nouveaux robots en hôpital pour limiter les contacts des personnels soignants avec les patients. 

Face au coronavirus, le premier réflexe au Rwanda a été de se dire que nous avons déjà beaucoup perdu de vies humaines avec le génocide, mais en même temps il nous a apporté la force et la capacité de réagir sans attendre, toujours ensemble. Nous allons vaincre le coronavirus, parce que la peur nous a appris à résister. (…) Les gens ont appris à faire des concessions immédiatement parce que le coronavirus faisait écho au génocide.                  
(Scholastique Mukasonga)

Le dernier roman de Scholastique Mukasonga, Kibogo est monté au ciel, est sorti le 12 mars dernier en plein confinement. Récit aux allures de conte traditionnel sur la colonisation belge du Rwanda et l'évangélisation d'un petit village rural par des "padri" à mobylette, il interroge également le rôle des croyances et de la mémoire dans la communauté. Celle qui se définit comme une tisseuse de contes moderne y rend une fois de plus hommage, en filigrane, aux récits de sa mère.

Le confinement, nous les écrivains, on connaît : c'est le moment rêvé, espéré, un privilège qui répond à l'égoïsme des écrivains pour ne se consacrer qu'à l'écriture. Mais ce confinement que nous vivons aujourd'hui est différent, il n'est pas choisi, il nous est imposé par le coronavirus. Ce n'est donc pas le moment propice à l'écriture : l'esprit est confiné. Nous allons nous réinventer pour mieux rebondir.                
(Scholastique Mukasonga)

Pour rappel, les Assises internationales du roman 2020 organisées par la Villa Gillet se déroulent du 11 au 17 mai avec plus de 80 rencontres, workshops et webinaires à suivre intégralement en ligne. 

Extraits sonores :

  • Tony Allen et Hugh Masekela, "Agbada Bougou", Rejoice (mars 2020, World Circuit)
  • Atiq Rahimi, "Les Masterclasses", France Culture ,18/07/2018
  • Rondo de la Sonate pour piano en ré majeur D850, Schubert, interprété par Philippe Cassard (mars 2020, La Dolce Vita)

L'équipe