Joseph Kessel : cœur de fauve

Joseph Kessel
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Joseph Kessel : cœur de fauve - #CulturePrime
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Joseph Kessel : cœur de fauve

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Tour à tour romancier, Résistant, aventurier, journaliste sur le front, Joseph Kessel a vécu tous les récits qu'il a écrits. Découvrons la vie de cet intrépide en quête de fraternité, alors que son oeuvre paraît dans la Pléiade.

“Si j’ai aimé, si j’aime encore aussi fort l’aventure, ce n’est pas tout à fait de ma faute.” Joseph Kessel.

Grand reporter aux confins du monde, Joseph Kessel a écrit des dizaines de romans à succès : L’Equipage, Le Lion, Belle de Jour, Les Cavaliers... Aviateur volontaire à 18 ans pendant la Première Guerre mondiale, il sort décoré de la Seconde, pour sa bravoure dans la Résistance. Russe d’origine, voyageur infatigable, il écrit Le Chant des Partisans en Angleterre, avant d’être célébré en académicien à Paris quelques années plus tard. Il a le panache des Mousquetaires, l’allure d’un colosse, le regard tendre et l’alcool fraternel. Voici l'histoire de celui qui aime à se faire appeler "Jef", éclairée par des archives exceptionnelles, et grâce au regard du maître de conférences en littérature Serge Linkès, qui a supervisé l'édition de ses textes dans La Pléiade.

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Une vie, une oeuvre
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L'homme qui vivait ses romans

Serge Linkès, maître de conférences en littérature : "Il suffit de prendre une carte et de voir ce que Kessel a fait, entre 16 et 79 ans, il faut vraiment plusieurs vies pour le concurrencer. Ce qui fait la force de Kessel, c’est qu’il ne les a pas simplement écrites, il les a vécues ces choses-là. La plupart des choses qu’il raconte, notamment concernant la guerre, il les a vécues. Il a été aviateur, il a été Résistant… Il reprend sa fonction de journaliste après ça, mais tout le monde sait que Kessel, c’est pas simplement celui qui écrit sur la guerre, c’est celui qui fait la guerre, sans hésiter, et puis qui est prêt à se sacrifier, qui prend des risques."

Son enfance, Kessel la passe entre une colonie juive de la Pampa argentine et un une capitale cosaque d’où sa mère est originaire. Joseph Kessel l'avoue lui-même à la RTF en 1964 : “Je suis né dans des conditions de vie sauvages, primitives, très dures.”

Son adolescence, il la brûle, apprenti comédien sur les planches du théâtre de l’Odéon. Il finance son Conservatoire par des piges pour la presse. A 18 ans, la défense de la patrie l’appelle : il s’engage, intrépide, dans l’aviation. Une expérience de la vie et de la mort clé dans la construction de sa personnalité, et de son oeuvre. Il y revient dans une archive des années 1950 : “Ma vraie aventure, comme celle de beaucoup de gens, a commencé avec la guerre ; j’ai appris la camaraderie de vie et de mort, les risques du vol, et surtout, l’extraordinaire fraternité de l’équipage.”

La guerre, école de la fraternité

Jeune soldat, à la fin de la guerre, il est enrôlé dans un tour du monde, de Brest à Vladivostok via San Francisco. Ovationné, il y découvre les beuveries, le poker, les femmes. Il y rencontre sa première femme qui, tuberculeuse, le laissera veuf à 30 ans. Durant ce long voyage, Kessel croise une foule de personnages troubles qui le fascinent et peupleront ses textes.

Joseph Kessel : "Pour être franc, j’ai éprouvé ce délire du “tout est permis”. Je crois que c’est pour ça aussi, aussi bien ces cosaques, aussi bien ces truands de Berlin, que ceux de Montmartre, des gens perdus… ont eu confiance en moi et m’ont traité en ami parce que non seulement je ne les jugeait pas, mais ils sentaient en moi une part d’eux-mêmes."

Serge Linkès : "C’est quelqu’un qui est toujours entier. Il y a une sorte d’engagement plein, complet, que ce soit du point de vue des amis, du sujet qu’il traite… voilà, comme quand il part faire des sujets, de façon complètement délirante, quand il part en Abyssinie, c’est un territoire complètement perdu, il se lance comme ça sur les pistes, c’est un truc complètement fou."

Témoigner du siècle, avec son coeur

Grand reporter brillant, Kessel couvre les conflits du siècle : Irlande du Nord, Espagne, dans la Résistance auprès de “L’Armée des ombres”, auprès des esclaves d’Abyssinie, dans le jeune Etat d’Israël dont il obtient le 1er visa, puis l'Afghanistan, la Birmanie...

Ami indéfectible de patrons de presse comme Pierre Lazareff, et des grands éditeurs comme Gaston Gallimard, Kessel puise dans ses reportages la matière de récits et de contes adaptés en romans, puis souvent réadaptés en films. Même Le Lion, son plus grand succès, une histoire d’amitié entre une petite fille et un lion, il l’a puisée dans son expérience au Kenya. Joseph Kessel : “Comme dans toute histoire, je crois, il y a une part de vérité. Là il y a une immense part de vérité, mais dans le sens de la co-existence de la bête et de l’homme.”

Toujours en quête de fraternité, d’humanité, il campe des héros atemporels, décrit des aventures intrépides, en quête du seul plaisir de ses lecteurs.

Serges Linkès : "On sait qu’il ne s’est pas contenté d’être un beau parleur des valeurs, ces valeurs, il les a éprouvées sur le terrain. A chaque fois, on a l’impression qu’il met le même coeur dans ce qu’il fait. Que ce soit dans le roman, le reportage, ou le conte, ou l’article, ou une rubrique nécrologique pour un collègue… Voilà, il y met du coeur. Il a été très souvent ruiné. Il gagnait beaucoup beaucoup d’argent avec ses oeuvres, ou avec ses reportages, mais il en dépensait énormément en dilapidant à tout va. C’est-à-dire que la générosité de Kessel, elle est à tous les niveaux, aussi bien dans l’écriture que dans la vie de tous les jours."

Joseph Kessel l'avouait dans un entretien réalisé à la fin de sa vie : “Je ne regrette vraiment rien. Je la recommencerais minute par minute.”

Images : fonds Kessel La Rochelle, Collection Anne-Marie Kessel. Photos Jacques Faujour et Frédéric Hanoteau Catherine Hélie ; ©Editions Flammarion ; Gallica-BnF, Getty, AFP, INA (documentation Anne Delaveau).

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