Terrorisme : une histoire de la violence, avec Gilles Kepel et Annette Becker

 Un homme tient une affiche sur laquelle on peut lire "Rien n'a changé depuis Charlie" pendant le rassemblement à Strasbourg le 18 octobre 2020, en hommage au professeur d'histoire Samuel Paty ©AFP - FREDERICK FLORIN
Un homme tient une affiche sur laquelle on peut lire "Rien n'a changé depuis Charlie" pendant le rassemblement à Strasbourg le 18 octobre 2020, en hommage au professeur d'histoire Samuel Paty ©AFP - FREDERICK FLORIN
Un homme tient une affiche sur laquelle on peut lire "Rien n'a changé depuis Charlie" pendant le rassemblement à Strasbourg le 18 octobre 2020, en hommage au professeur d'histoire Samuel Paty ©AFP - FREDERICK FLORIN
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Moins d’un mois après l’attaque terroriste perpétrée devant les anciens locaux de Charlie Hebdo, l’attentat mortel commis vendredi dernier contre Samuel Paty, enseignant à Conflans-Sainte-Honorine, témoigne d’un accroissement du risque terroriste en France.

Avec
  • Gilles Kepel Politologue. Professeur des universités.
  • Annette Becker Historienne, professeur émérite des universités à l'université de Paris-Ouest Nanterre

Ce soir, dans la cour de la Sorbonne, Emmanuel Macron rendra un hommage national à Samuel Paty. L’enseignant assassiné vendredi dernier à Conflans-Sainte-Honorine à la suite d’une attaque terroriste sera honoré dans ce lieu symbolique de l'esprit des Lumières et de l'enseignement selon l’Elysée. Si le pays reste sous le choc face à l’horreur de l’attaque dont a été victime le professeur, le spectre d’une nouvelle forme de terrorisme continue d’inquiéter le gouvernement. Le rapport quant à la relation historique qui lie la violence au terrorisme perd de sa linéarité. Faisons-nous face à une nouvelle forme de terrorisme ? Qu’est-ce qui explique la recrudescence de l’utilisation de l’arme blanche lors des dernières attaques terroristes ? Comment prévoir un passage à l’acte de plus en plus difficile à anticiper ?

Pour en parler ce matin, Guillaume Erner est en compagnie de Gilles Kepel, directeur de la chaire Moyen-Orient-Méditerranée à l’Ecole normale supérieure et professeur à Sciences Po, auteur de “Sortir du chaos. Les crises en Méditerranée et au Moyen-Orient” (Gallimard, 2018). Il sera rejoint à partir de 8h20 par Annette Becker, historienne, professeure à l'université Paris-Nanterre, spécialiste des génocides, auteure notamment de Messagers du désastre. Raphaël Lemkin, Jan Karski et les génocides (Fayard) 

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Quel était le profil de l'assaillant de Conflans-Sainte-Honorine ? 

" Les informations que l’on a c’est que depuis six mois environ, il (l'auteur de l'attaque terroriste de Conflans-Sainte-Honorine) a été extrêmement actif sur le web avec des partages de vidéos djihadistes. Par ailleurs, il a fréquenté à Toulouse une salle de sport tenue par des islamistes. Il s'entrainait à avoir son corps fonctionnel et être prêt à passer à l’action." Gilles Kepel

Les salles de sport, les crèches, les commerces font partie de cette nébuleuse qui a maillé un certain nombre de quartiers populaires en France et qui crée un habitus islamiste et des normes rendant l’école de la République comme un lieu aberrant. Les élèves qui sont passés par cette socialisation vont s’insurger contre tout ce qui sort du cadre de ces normes. Gilles Kepel

Passage d'un terrorisme organisé à un terrorisme d'atmosphère 

" Cet islamisme à bas bruit créé un djihadiste d’atmosphère. Les atmosphères du politique sont en train de changer par ces réseaux de socialisation auquel il faut ajouter l’autre réseau qu’est celui du web. Nous sommes dans un phénomène qui est à la limite du droit. Si nous entreprenons de diffamer quelqu’un, nous sommes justiciables des tribunaux. Alors que sur le web, on peut écrire absolument ce qu’on veut et créer des systèmes viraux qui vont conduire l'incrimination à un lynchage." Gilles Kepel

On est à une étape post-Daech. Là nous sommes dans une logique nouvelle, beaucoup plus compliquée à identifier. Pendant la phase d’activité de Daech (2014-2019), les services de renseignement répertoriaient. Mais maintenant, nous ne sommes plus dans une logique organisationnelle. Il y a à la racine, une conception de la religion qui est portée au paroxysme par une formule en arabe qui est le motto des islamistes mettant en avant l'allégeance exclusive à une doctrine dans sa dimension la plus rigide et dogmatique. C’est ce qu’on pourrait appeler d’une certaine manière le séparatisme. Gilles Kepel

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Comprendre le passage à l'acte dans l'Histoire 

" Il y a des parallèles historiques en regardant ce qui se passe sur les nombreux points communs du passage à l’acte. Le point commun du passage à l’acte est une haine pratiquement apocalyptique. Dans ce retranchement de ceux qui croient détenir la vérité, nous voyons qu’il y a une volonté de détruire l’autre. C’est ce souhait de destruction qui fait extrêmement peur." Annette Becker

Il faut réfléchir avant le passage à l’acte aux violences symboliques, aux violences verbales et à la haine. Nous trouvons tout cela chez les jeunes djihadistes. Il faut analyser les discours avant d’analyser les passages à l’acte. Il y a une animalisation de celui pris pour cible. Cette mentalité de la haine qui va jusqu’à l’assassinat n’est aujourd'hui pas assez prise au sérieux. Annette Becker

" On voit que n’importe qui dans la société française peut être ciblé. C’est ce que les historiens des violences appellent la réversibilité meurtrière des liens qui font société. On peut s’attaquer à toute la société qui n’est pas soi, c’est ce que font les islamistes. On peut aussi cibler son groupe. La cible existe ici en même temps." Annette Becker

Les réseaux sociaux, un bouc émissaire justifié ? 

Les réseaux sociaux sont un vecteur, ce n’est pas là que les choses sont pensées mais diffusées. C’est un problème qui dépasse complètement la mouvance islamiste. Je vois qu’il y a tout de même une prise de conscience. Mais la régulation du mode d’expression sur les réseaux sociaux est un véritable enjeu dont les citoyens doivent s’emparer. Mais ça ne suffit pas. L’élaboration de la pensée qui se constitue dans la haine de l’autre se produit aussi à travers d'autres modes d’endoctrinement qui ne passent pas par les réseaux sociaux." Gilles Kepel

Vous pouvez (ré)écouter l'interview en intégralité en cliquant sur le player en haut à gauche de cette page.

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