Que dire après l'horreur ?

Manifestation en hommage à Samuel Paty ©AFP - GEORGES GOBET
Manifestation en hommage à Samuel Paty ©AFP - GEORGES GOBET
Manifestation en hommage à Samuel Paty ©AFP - GEORGES GOBET
Publicité

Que dire après l'assassinat d'un professeur ? Que dire quand on est sidéré, choqué, dans l'incompréhension ?

Je dois être honnête. Je ne savais pas que c’était si compliqué d’écrire quelque chose sur quelque chose que l’on ne comprend pas. L’exercice de la chronique quotidienne repose pourtant sur le fait que l’on ait potentiellement toujours quelque chose à dire. Alors, ce n’est pas forcément transcendant, souvent pas même, mais il y a toujours un bon angle, un bon livre, une bonne citation, et une bonne sortie de sa mère, pour pouvoir en tirer quelques lignes. 

On peut se rater ou se faire plaisir. On peut parler de soi, tenter une analyse du monde, d’un mot, de l’actualité ou d’un phénomène. Ca peut être léger ou sérieux. Pourtant, il y a des moments, et celui-ci en fait partie, où on n’a littéralement rien à dire. Car que dire quelques jours après l’assassinat d’un professeur ? décapité ? vous vous rendez compte ? qu’est-ce qu’on peut dire après ça

Publicité

Parler du fait de n'avoir rien à dire

Je sais que c’est paradoxal : je vous parle du fait de n’avoir rien à dire parce que je ne comprends pas ce qui s’est passé vendredi à Conflans. D’une certaine manière, je suis admirative, quoiqu’un peu oppressée, par tous ceux qui ont eu la force d’écrire des articles, de se faire un avis, de produire de la pensée, ou au moins, d’exposer une émotion construite, ou alors, de trouver des bons slogans pour rassembler. 

Il faudrait tout de suite réagir, agir, se faire une idée, enfin plus qu’une idée, avoir du courage. Il faudrait tout de suite trouver une chose à dire, découvrir les mots justes, avoir la bonne analyse, adopter la bonne perspective, réussir à porter une parole. 

Mais, parfois, il n’y a rien, rien que de l’incompréhension. Et je crois qu’on ne dit pas assez qu’on n’a pas les mots face à une telle situation, on ne dit pas assez qu’on n’arrive pas à exprimer ce qui relève précisément de la sidération, on ne dit pas assez qu’on n’arrive pas à énoncer le choc. 

Mais, pourtant, et c’est là le paradoxe, on ne veut pas et on ne peut pas parler d’autre chose. Comment alors dire ce qui ne peut pas s’énoncer ? Comment faire entendre et faire comprendre ce qu’on ne comprend pas soi-même ? 

Personne à citer 

Tapez “incompréhension” et “philosophie”, vous tomberez sur Bergson. L’évolution créatrice, 1907, chapitre 2, “nature de l’instinct”. Et vous tomberez sur cette phrase : 

L’intelligence est caractérisée par une incompréhension naturelle de la vie.

Heureusement, pour tous ceux qui, un peu comme moi, ne comprennent pas tout, il y a donc Henri Bergson… sauf qu’en fait, ce n’est pas si flatteur que ça. Car Bergson, dans ce chapitre sur l’instinct, pointe la profonde incapacité de toute intelligence à saisir le mouvement de la vie. 

Et il s’agit moins dans ces lignes, et dans ce livre, d’un traité de la nature de humaine, que de réflexions sur le vitalisme, et de l’organisation de la matière. Comme quoi, même les philosophes peuvent vous manquer.
Hier, je vous parlais de “résistance”, et de la philosophie comme résistance au fanatisme, je citais Voltaire et Deleuze. Mais, parfois, on n’a donc personne à citer. Rien au secours de la pensée, enfin rien plutôt au secours de la non-pensée, de l’incompréhension. 

Car l’incompréhension a cette particularité : on ne peut rien en dire mais on doit forcément l’exposer, et s’exposer. Elle nous bloque, nous affaiblit, nous rend honteux mais on doit forcément en sortir. Alors, aujourd’hui, j’espère seulement avoir réussi à dire ça : je ne comprends pas ce qui s'est passé à Conflans. 

L'équipe