Pauvreté, inégalités face au Covid : les pistes de la Prix Nobel d'Économie Esther Duflo

Esther Duflo en 2019 ©AFP - JOSEPH PREZIOSO
Esther Duflo en 2019 ©AFP - JOSEPH PREZIOSO
Esther Duflo en 2019 ©AFP - JOSEPH PREZIOSO
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Ce mercredi, l'économiste Esther Duflo, reconnue et récompensée du Prix Nobel d’économie en 2019 pour ses travaux portant sur la pauvreté est l'invitée des Matins. L'occasion d'évoquer les pistes pour endiguer la pauvreté et réduire les inégalités en cette période de crise économique et sanitaire.

Avec
  • Esther Duflo Économiste franco-américaine et professeure, prix Nobel d'économie 2019

Dix millions de pauvres, c'est le seuil "dramatique" que la France franchira en cette année 2020 selon le rapport annuel sur l’état de la pauvreté effectué par le Secours catholique la semaine dernière. En cause, la crise sanitaire et économique qui touche le pays depuis près d’un an désormais. Mais également des raisons plus profondes : difficulté pour les jeunes à s’insérer sur le marché de l’emploi, précarisation d’une nouvelle partie de la population, inégalités en tout genre… La crise n’est en réalité qu’un catalyseur d’une tendance installée depuis des années. Et l’illustration d’une situation qui ne concerne pas que notre pays mais l’ensemble des sociétés mondialisées. Comment l’expliquer ? 

Pour en parler ce matin, Esther Duflo, Prix Nobel d'économie 2019 et co-auteure avec Abhijit V. Banerjee de "Économie utile pour des temps difficiles" sorti ce mois-ci aux éditions du Seuil est l'invitée exceptionnelle des Matins. 

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Comment éviter la désertification des centres-villes ? 

" Il y a une désertification des centres-villes commerciaux à cause des grandes surfaces et des plateformes comme Amazon. C’est un phénomène qui existe et qui est amplifié par la crise que nous vivons. Il y a une valeur sociale et environnementale d’avoir des centres-villes qui soient vivants. De ce point de vue là, il y a une valeur pour les sociétés qui est au-delà de la valeur marchande que représente ces magasins de proximité."

Il y a 2 choses qu’on peut envisager. Une subvention pour simplement exister et en particulier pour couvrir les loyers et les coûts fixes est justifiée. Non seulement pour compenser la perte d’activité et que cette mesure soit une mesure de justice sociale. Mais aussi parce qu’il y a une valeur pour nous tous d’avoir ces petits commerces qui existent. Il est normal qu’on en subventionne l’existence comme un bien public collectif. Esther Duflo

Des solutions pour lutter contre les monopoles 

" Les monopoles s’arrêtent quand on lutte contre. En Europe, il y a une décision concertée de lutter contre la montée des monopoles. Aux États-Unis, les décisions de justice sont en faveur d’une intégration plus forte qui mène à une monopolisation d’un grand nombre de secteurs. Ça finit par se traduire par des prix beaucoup plus importants pour le consommateur américain en comparaison avec les consommateurs européens. En général, ce sont les consommateurs qui paient les pots cassés."

On voit dans l’histoire économique que le fonctionnement naturel du marché ne conduit pas forcément à l’équilibre social qui est désiré. Dans ce cas-là, le gouvernement doit intervenir pour corriger le fonctionnement naturel du marché. Esther Duflo

La crise de 2020 plus violente que celle de 2008... 

" Dans une situation de crise comme celle que l’on vit aujourd’hui, il ne faut pas hésiter à s’endetter. En temps de crise massive, il est absolument indispensable de faire tout ce qui est possible pour maintenir le niveau de vie des gens. En particulier des populations les plus pauvres sans s’inquiéter d’un remboursement futur. Plus tard, quand nous serons sortis de cette crise, l’avantage d’avoir dépensé suffisamment pendant la crise, fait que -ci ne se transformera pas en une crise généralisée qui durerait pendant des années. C’est ce qui n’avait pas pu être évité en 2008."

... Mais un rebond plus rapide ? 

La crise de 2008 était le produit de l’effondrement d’un château de carte de l’économie. Il y a eu une crise financière qui s’est transformée en crise de crédit puis en crise économique. Mais en plus, il y avait le dysfonctionnement de départ qu’il fallait régler. Aujourd’hui, la crise vient de l’extérieur. Elle est donc plus violente mais quand la condition sanitaire sera levée, on pourra rebondir plus rapidement. Lorsqu’un choc est extérieur, il ne détruit pas ce qui est fondamental. Esther Duflo

Comment éviter l'enfermement dans la pauvreté ? 

" Il y a un risque d’avoir un enfermement de certains pays et certains individus dans des trappes de pauvreté. Dans les pays pauvres, contrairement aux pays riches, on ne peut pas s’attendre à une reprise extrêmement rapide."

Un de mes grands regrets lors cette crise économique est que les pays riches n’ont essentiellement rien fait pour venir en aide aux pays pauvres. Avec les sommes hallucinantes que nous empruntions, nous aurions pu rajouter un petit pourcentage pour venir en aide à ces pays. Le fait que ces aides n’ont pas été mises en place donne la leçon qu’en période de crise, c’est chacun pour soi.  Et cela signifie que lorsqu’il y aura une seconde grande catastrophe, quand elle aura lieu, on ne pourra pas compter sur les pays riches pour venir en aide aux pays les plus pauvres. Esther Duflo

Vous pouvez (ré)écouter l'interview en intégralité en cliquant sur le player en haut à gauche de cette page.

La Bulle économique
4 min

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