Grèves de 1995, grèves de 2023 : deux époques, une même colère ?

Manifestation contre la réforme des retraites, mardi 7 février 2023, Paris ©AFP - Sameer Al-Doumy
Manifestation contre la réforme des retraites, mardi 7 février 2023, Paris ©AFP - Sameer Al-Doumy
Manifestation contre la réforme des retraites, mardi 7 février 2023, Paris ©AFP - Sameer Al-Doumy
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Face à la volonté du gouvernement de réformer le système des retraites, les syndicats et la rue continuent de faire bloc. Comment, des grèves de 1995 à aujourd'hui, en passant par le mouvement des Gilets Jaunes, les luttes sociales ont-elles évoluées en trente ans ?

Avec
  • Pierre Rosanvallon Historien et sociologue, directeur d’études de l’EHESS en histoire et philosophie du politique

Si la réforme des retraites suscite le rejet d’une partie des Français, le seul texte prévu par le gouvernement suffit-il à expliquer l’ampleur de la contestation ? Comment analyser cette colère ou cette peur qui agite une partie des Français ? Comment, depuis les grandes grèves de 95 face au Plan Juppé, les luttes sociales ont-elles évoluées ces trente dernières années ?

Avec Pierre Rosanvallon, historien, professeur émérite au Collège de France et auteur en 2021 de l'ouvrage Les épreuves de la vie (Seuil, 2021).

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Une unité historique face aux injustices dans le travail

A propos du projet de réforme du système des retraites, Pierre Rosanvallon estime qu’il s’agit d’un “tournant dans la façon, pour un gouvernement, de concevoir des réformes. Le propre de ce texte, telle qu’il est présenté par le gouvernement, c’est de faire d’une mesure unique - l’âge de départ légal à la retraite - la mesure de toute chose".

"Or, ce que font apparaître les différentes insatisfactions qui se sont manifestées, c’est qu’il n’est pas seulement question d’un chiffre", poursuit Pierre Rosanvallon. "Ne serait-ce que parce qu’aujourd’hui même, il y a 40 % des personnes qui n’arrivent pas à l’âge de la retraite existant de 62 ans. Le fait massif, c'est la multiplication de toutes les situations plus personnelles.”

L’historien précise que “ce mouvement est un révélateur de toutes les différences face au travail. Il ne faudrait pas parler, d’un certain point de vue, de mouvements de contestation contre les retraites mais plutôt d'un mouvement d’expression des difficultés du travail. Il y a des années qu’il n’y avait pas eu un mouvement de cette importance et avec cette unité".

L’évolution de notre rapport au travail

Pierre Rosanvallon revient sur un nouveau phénomène : “Les personnes parmi les plus diplômées aujourd’hui renoncent à des emplois parmi les mieux payés et les plus séduisants du point de vue des perspectives de carrière, pour prendre des jobs qui a leurs yeux ont davantage du sens, parce qu’ils sont liés à des activités économiques liées au climat, ou qui ont davantage du sens parce qu'ils contribuent à un élément de la vie collective considéré comme essentiel. C’est un changement énorme.

Quant à la pénibilité du travail, “ça n’est pas nouveau mais c’était invisibilisé”, note-t-il. “Par exemple, un maçon d’une cinquantaine d’années, est usé. Mais avant, ce maçon usé, mourrait très tôt. Et donc il y avait l’inégalité la plus fondamentale, l’inégalité devant les espérances de vie, qui était considérée comme une fatalité. Maintenant, elle n’est plus acceptée". Cependant, ajoute l’historien, “le problème c’est que quand on arrive à 50 ans, et que l’on est usé, (...) on est jugé inapte, et l’on peut être légalement licencié. Le label très général d’emploi des seniors, c'est aussi considérer qu’on n'a pas simplement une carrière dans la vie : les entreprises ont été organisées pour gérer des carrières mais n’ont pas été organisées pour gérer des moments différents de travail dans l’existence.

Le parallèle avec les grèves de 1995 est il pertinent ?

Pierre Rosanvallon rappelle que les grèves de 1995 ont connu deux moments distincts : "Un premier moment de discussions sur une réforme de la sécurité sociale. Ce qui était en cause, ce n’était pas simplement les cotisations de retraite. Ce qui était en cause, c’étaient les modes de gestion de la sécurité sociale.(...) C’était aussi un projet qui proposait d’intégrer les allocations familiales dans le revenu imposable, ce qui était extrêmement important en termes de gestion des inégalités. À ce moment-là, il y a eu tout un mouvement syndical dans lequel tous les syndicats étaient présents. (...) La grande grève de 1995 est venue ensuite, à partir du projet de réforme de la SNCF".

Ainsi, Pierre Rosanvallon ne fait pas "le parallèle avec 1995" mais plutôt avec Mai 68. "Il y avait un sentiment général, chacun exprimait qu'il voulait être pris en compte, voir les choses bouger et changer".

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