Une île sous embargo, Cuba pendant la guerre froide : épisode • 4/4 du podcast Guerres économiques, une histoire

Manifestation en faveur de Cuba dans les rues de Rome, Italie, le 26 octobre 1962 ©Getty - Inconnu
Manifestation en faveur de Cuba dans les rues de Rome, Italie, le 26 octobre 1962 ©Getty - Inconnu
Manifestation en faveur de Cuba dans les rues de Rome, Italie, le 26 octobre 1962 ©Getty - Inconnu
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En 1958, la révolution cubaine porte Fidel Castro au pouvoir. Les États-Unis voient d'un mauvais œil l'établissement à leurs portes d'un régime marxiste. En réaction à la nationalisation sans compensation de propriétés américaines, Washington sévit. C'est le début de l'embargo américain contre Cuba.

Avec
  • Salim Lamrani Maître de conférences en civilisation hispano-américaine à l’Université de La Réunion, spécialiste des relations entre Cuba et les États-Unis
  • Gilles Bataillon Sociologue, directeur d’études à l’EHESS, spécialiste de l’Amérique latine, l’Amérique centrale et du Mexique

Le 15 février 1889, Henri Castonnet Desfosses, historien et géographe, président-fondateur de la Société de géographie commerciale, donne une conférence à Roubaix à propos de Cuba : "Un voyage dans cette grande Antille serait pour nous plein de charmes et les mœurs des habitants de la colonie espagnole pourraient nous offrir une étude des plus attrayantes." L’auteur précise que "parmi les puissances étrangères en rapport avec cette colonie, il faut placer en première ligne les États-Unis. La moitié du commerce de Cuba se fait avec l’union américaine. Au point de vue du commerce, Cuba est un pays à peu près Yankee." Cuba, yankee et sous embargo !

Cuba et les États-Unis, une vieille histoire

Ancienne colonie espagnole convoitée de longue date par les États-Unis, Cuba proclame son indépendance en 1898. Les Américains occupent l’île pendant les cinq années qui suivent et ne la quittent qu’en 1902. Ils conservent des bases navales dans la zone, celles de Guantanamo et de Bahia Honda. Dans la première moitié du XXe siècle, Cuba et les États-Unis entretiennent des relations économiques privilégiées, d’ordre néocolonial, qui passent notamment par le commerce de sucre et de tabac, principales productions cubaines, mais aussi par le tourisme, puisque l’île attire chaque année de nombreux touristes américains.

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Des sanctions contre une révolution

Les rapports entre Cuba et les États-Unis changent à partir de la révolution cubaine, qui met fin au régime pro-américain du dictateur Batista en 1958. La loi de réforme agraire cubaine du 17 mai 1959 conduit à la nationalisation de nombreuses propriétés pour les redistribuer. Certaines de ces propriétés, qui appartiennent à des individus ou à des entreprises américaines, sont nationalisées sans compensation. Dans la foulée, les premières sanctions économiques sont imposées à Cuba par l’administration républicaine de Dwight D. Eisenhower. L'historien Salim Lamrani raconte une anecdote pour comprendre l'évènement de 1959 : "En 1920, le président des États-Unis, Woodrow Wilson, envoie un représentant spécial à Cuba sans en avertir le président cubain, Manuel Garcia. Lorsque celui-ci découvre qu’un envoyé spécial est sur le point de débarquer sur l’Île, il avertit son homologue états-unien pour exprimer sa surprise et lui dire qu’il aurait aimé être averti en amont. Le président Wilson répond par écrit en ces termes : 'Le président des États-Unis n'a pas besoin de l'autorisation du président de Cuba pour envoyer un représentant spécial dans l'Île.' Telle est la réalité de la Cuba pré-révolutionnaire, où les États-Unis ne conçoivent que des relations de leader à subordonnés avec les pays du Sud. C’est une chose qui a profondément marqué la mémoire collective des Cubains."

Le 3 février 1962, le gouvernement démocrate de John F. Kennedy étend les sanctions et élargit le champ des restrictions commerciales, en appliquant des sanctions économiques totales contre l'île. C’est alors qu’est formellement mis en place un "embargo sur tout commerce avec Cuba", qui interdit tout commerce entre les États-Unis et Cuba.

Faire front face à l'embargo

Dans un contexte de guerre froide et de rapprochement entre Cuba et l’URSS, les États-Unis cherchent à combattre l’extension de l’idéologie communiste. Pour le sociologue Gilles Bataillon, "le président John F. Kennedy fait pression sur les pays latino-américains pour exclure Cuba de l'océan. À partir de ce moment-là, c’est l'embargo économique total." L’objectif est également de renverser le gouvernement cubain : asphyxier économiquement le pays semble un moyen de pousser la population cubaine à la révolte et de faire tomber Fidel Castro. Dans les années qui suivent, face à la politique d’extension de la guérilla, menée notamment par Che Guevara au Congo et en Bolivie, les États-Unis disent lutter contre le soutien apporté par Cuba aux mouvements indépendantistes et révolutionnaires des pays du tiers-monde.

Après la chute de l’URSS en 1991, la lutte des États-Unis contre Cuba se fait au nom de la défense de la démocratie et des droits de l’homme. La loi Torricelli adoptée sous Georges H. Bush, en 1992, et la loi Helms-Burton adoptée sous Bill Clinton, en 1996, renforcent les sanctions économiques contre Cuba. Le gouvernement cubain parle désormais de blocus.

Tout au long des soixante ans d’embargo américain contre Cuba, les objectifs officiels et la rhétorique politique et diplomatique des États-Unis évoluent, mais les sanctions économiques, elles, demeurent. Après plus d’un demi-siècle de confrontation, une détente dans les relations américano-cubaines et la levée de l’embargo sont-elles envisageables ?

🎧 Pour en savoir plus, écoutez l'émission…

Le Pourquoi du comment : histoire

Toutes les chroniques de Gérard Noiriel sont à écouter ici.

Le Pourquoi du comment : histoire
3 min

Pour en parler

Salim Lamrani est maître de conférences en civilisation hispano-américaine à l’Université de La Réunion, spécialiste des relations entre Cuba et les États-Unis.
Il a notamment publié :

Gilles Bataillon est sociologue, directeur d’études à l’EHESS, spécialiste de l’Amérique latine, l’Amérique centrale et du Mexique.
Il a notamment publié :

Références sonores

  • Publicité La langouste de Cuba, 1985
  • Extrait du film Le Parrain, 2e partie de Francis Ford Coppola, 1974
  • Archive sur la baie des Cochons, Journal des Actualités cubaines, 30 avril 1961
  • Archive sur la crise des missiles, Journal des Actualités Françaises, 31 octobre 1962
  • Générique de l'émission : Origami de Rone

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