Evgueni Prigojine, de "cuisinier de Poutine" à chef de la galaxie Wagner

Depuis le vendredi 23 juin, Evgueni Prigojine a accusé l'armée russe d'avoir mené des frappes  sur des camps de ses combattants à l'arrière du front ukrainien, faisant un "très grand nombre de victimes". Le chef du groupe Wagner a alors donné l’ordre à ses "25 000 combattants" de rentrer du front ukrainien pour "libérer le peuple russe" et "ramener l’ordre dans le pays". Vladimir Poutine a pris la parole ce samedi 24 juin pour dénoncer une "trahison" et un "coup de poignard dans le dos". La situation est depuis très confuse.

Evgueni Prigojine est le visage du groupe Wagner dont il porte les combats et incarne la posture personnifiée. Dans le contexte de la guerre en Ukraine, la milice Wagner présente sur le terrain, semble faire de l’ombre à l’armée russe et porter atteinte à la réputation des hommes de Guerassimov, le chef d’État-major. Mais pourtant, Prigojine reste impuni et semble être protégé par son patron, qu’il rencontre vraisemblablement à la fin des années 90 : Vladimir Poutine.

Émanation du système poutinien, Evgueni Prigojine incarne d’une certaine manière la privatisation des fonctions régaliennes de l’État russe. Un personnage sur lequel subsistent d’importantes parts d’ombre, qui en joue, et qui révèle aussi un certain nombre de mécanismes communs aux « entrepreneurs d’influence » russes.

Evgueni Prigojine, un gangster en politique

Né à Leningrad en 1961, Evgueni Prigojine connaît une trajectoire particulière. Promis à une carrière de skieur, il tombe toutefois rapidement dans la délinquance et enchaîne les petits délits. Mais en 1980, il est jugé pour banditisme et passe 10 ans dans l’univers carcéral soviétique. A sa libération, il continue de baigner dans le monde mafieux et criminel, investissant rapidement le monde des affaires : stand de hot-dogs, chaînes de restaurants ; le monde de la restauration et des casinos deviennent son terrain de jeu. Le milieu dans lequel il évolue lui permet rapidement d’accueillir les plus influentes personnalités de Saint-Pétersbourg. En 1996, il profite comme beaucoup de la chute de l’URSS et du chaos qu’elle provoque pour bâtir une affaire qui lui servira de tremplin économique et social : Concord Catering. Avec cette entreprise, Prigojine remporte un certain nombre de contrats publics pour fournir les cantines de Moscou et de Saint-Pétersbourg, mais aussi pour les rations de l’armée fédérale. Ce sont ses premiers liens avec le ministère de la Défense qui se verront renforcés à mesure que Prigojine entretiendra des relations resserrées avec les plus hautes strates du pouvoir en Russie.

"Prigojine est l’archétype de l’entrepreneur des années 90, qui flaire toutes les opportunités et tous les secteurs dans lesquels il peut investir de l’argent tout en sachant pertinemment qu’il va réaliser des gros profits."

C’est au tournant des années 2010 qu’on entend davantage parler du désormais célèbre Prigojine. En 2012, lors des grandes manifestations dans les grandes métropoles russes, l’homme d’affaires identifie une opportunité dans un contexte où l’Etat russe tente de reprendre le contrôle sur son espace informationnel. Cette tendance, Prigojine la ressent et il va rapidement se lancer dans des initiatives de musellement de l’expression en ligne de l’opposition avec l’Internet Research Agency crée en 2013. Evgueni Prigojine est un entrepreneur qui sait placer son argent et son attention là où se trouvent les intérêts de l’État. C’est ainsi que le 26 septembre 2022, le service de presse de la société Concord publie une lettre dans laquelle Evgueni Prigojin confirme le fait qu'il était le créateur du Wagner PMC. Comme date de formation du groupe, il nomme le 1er mai 2014 avec pour colonne vertébrale originelle les volontaires russes qui voulaient se rendre dans le Donbass.

Musique d'introduction : KINO - Zakroy za mnoy dver', ya ukhozhu (Close the door behind me, I'm leaving)