Immobilier : une valeur hors-sol ? : épisode • 2/3 du podcast La fabrique de la valeur

Le manoir Moffitt, une propriété construite par William Knowles, a été achetée par l'architecte Norman Gilroy qui a coupé le bâtiment en deux et l'a fait déplacer, à San Francisco (Californie), en 1962. ©Getty - Joyce R. Wilson / FPG / Archive photos
Le manoir Moffitt, une propriété construite par William Knowles, a été achetée par l'architecte Norman Gilroy qui a coupé le bâtiment en deux et l'a fait déplacer, à San Francisco (Californie), en 1962. ©Getty - Joyce R. Wilson / FPG / Archive photos
Le manoir Moffitt, une propriété construite par William Knowles, a été achetée par l'architecte Norman Gilroy qui a coupé le bâtiment en deux et l'a fait déplacer, à San Francisco (Californie), en 1962. ©Getty - Joyce R. Wilson / FPG / Archive photos
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En France et aux Etats-Unis, on a assisté à la fin du XXe siècle à une financiarisation du secteur de l’immobilier. Comment cette financiarisation a-t-elle redéfini la valeur attribuée aux biens immobiliers ? Quels impacts ce phénomène a-t-il sur nos territoires et sur les populations qui y vivent ?

Avec
  • Florence Nussbaum Géographe, maîtresse de conférences à l’Université Jean Moulin Lyon 3
  • Marine Duros Sociologue à l'EHESS, chercheuse associée au Centre Maurice Halbwachs (CNRS-EHESS-ENS)

Depuis le début des années 1990, la financiarisation du secteur de l’immobilier ne cesse de progresser : elle a des conséquences parfois dramatiques, comme lors de la crise des subprimes qui a frappé les Etats-Unis en 2007 et s’est répandue dans le monde entier. En effet, ce secteur est désormais lié à celui de la finance et lorsque cela concerne l’immobilier résidentiel, ce sont non pas les entreprises, mais les ménages, les familles qui sont directement touchées par cette financiarisation. Malgré les conséquences de la crise, de nouveaux acteurs émergent : experts, investisseurs et escrocs continuent de spéculer sur l’immobilier et d’alimenter les bulles immobilières tout en redéfinissant perpétuellement la valeur attribuée à un bien.

Financiarisation de l’immobilier et crise des subprimes

Dans un premier temps, Marine Duros définit la financiarisation comme “le processus par lequel des organismes financiers, comme des compagnies d’assurance, des fonds d’investissement, des foncières cotées, en viennent à investir dans l’immobilier en le traitant comme un actif financier comme un autre, au même titre que les actions et les obligations. C’est un phénomène global en pleine expansion depuis les années 1980/1990 en fonction des pays.”. L’immobilier a donc été dans plusieurs pays longtemps considéré comme “la poule aux œufs d’or”, comme le souligne la sociologue, “il y avait cette croyance que c'était un secteur où l’on pouvait gagner de l’argent en partant de rien (...) Les grandes institutions financières ont cherché à formaliser cette finance immobilière”. Alors, dans les années 80, les nombreux capitaux disponibles ont incité les acteurs à placer ces fonds dans l’économie, et précisément dans l’immobilier. Or, cette déréglementation du marché a d’abord touché les Etats-Unis, où, comme le précise Florence Nussbaum, “la financiarisation de l’immobilier de bureau s’est étendue à l’immobilier résidentiel, ce qui crée la bulle immobilière qui a créé la crise des subprimes.”. Alors, l’idée répandue selon laquelle l’immobilier était un placement sûr a été remise en question.

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La valeur de l’immobilier comme fruit d’une construction sociale

Ces événements viennent questionner la notion de valeur. En ce qui concerne la définition de la valeur immobilière, Marine Duros propose une définition constructiviste : “Il n’y a pas une vraie et juste valeur. C’est le fruit d’une construction sociale. Ce sont les structures sociales qui font exister socialement cette valeur comme représentation légitime et indiscutable de la richesse. A travers le cas de la crise immobilière, on a constaté que ces moments constituent des moments propices pour mettre au jour ces structures sociales puisqu’on est dans une situation où ce qui était perçu comme une valeur indiscutable est soudain remis en cause, ce qui va ouvrir un espace stratégique pour certains acteurs pour faire défendre une certaine conception de la valeur.”. Florence Nussbaum ajoute : “dans le logement, c’est difficile de séparer valeur d’échange et valeur d’usage. Un logement a une fonction importante : il y a l’idée qu’on pourrait extraire une valeur financière de ce logement sans affecter la valeur d’usage. Or justement, toutes les études sur les conséquences de la spéculation et de la financiarisation sur les occupants des logements montre que puisque l’objectif est la rentabilité, ça implique forcément la minimisation des dépenses, donc ça a des effets sur la vie quotidienne des occupants.”. Ainsi, comme Marine Duros l’affirme, “sur le cas de la financiarisation de l’immobilier en France, ça a des conséquences sociales écologiques qui sont loin d’être neutres.(...) Le poids croissant des fonds d'investissement immobiliers dans la fabrique de la ville fait qu’ils vont avoir un rôle dans la manière dont sont façonnées les politiques urbaines.”.

Pour aller plus loin

  • Upton Sinclair, La Jungle, 1906
  • Thèse de Florence Nussbaum, intitulée La valeur du vide : délaissement résidentiel et acteurs de marché dans la fabrique urbaine, soutenue en 2019
  • Thèse de Marine Duros, intitulée L’édifice de la valeur. Sociologie de la financiarisation de l’immobilier en France (fin des années 1980-2019), soutenue en 2022

Références sonores

  • Archive - “Citizen Jeandet”, Aléas : le magazine de l’imprévisible, sur France 3 en 1992
  • Extrait du film Glengarry Glen Ross (1992), réalisé par James Foley
  • Extrait du film 99 homes (2015), réalisé par Ramin Bahrani

Références musicales

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