Superprofits et petits salaires : le partage de la valeur : épisode • 3/3 du podcast La fabrique de la valeur

Jour de paie à bord du navire HMS "Royal Sovereign", en 1895. ©Getty - Hulton Archive / Print collector
Jour de paie à bord du navire HMS "Royal Sovereign", en 1895. ©Getty - Hulton Archive / Print collector
Jour de paie à bord du navire HMS "Royal Sovereign", en 1895. ©Getty - Hulton Archive / Print collector
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La notion du partage de la valeur est remise en ce moment au premier plan. Pourquoi le conflit inhérent à l’entreprise capitaliste est-il englobé sous cette notion ? Comment les instruments développés pour rééquilibrer le partage rendent-ils compte du rapport de force entre capital et travail ?

Avec
  • Thomas Breda Chargé de recherche au CNRS, chercheur affilié à l’École d’économie de Paris
  • Sophie Piton Membre du Centre pour la Macroéconomie de la London School of Economics (LSE)

Du fait d’une préoccupation croissante pour les enjeux de pouvoir d’achat de la part des citoyens comme des pouvoirs publics, la notion de partage de la valeur revient sur le devant de la scène, notamment dans les négociations entre partenaires sociaux et par l’initiation d’une Convention sur le Partage de la Valeur. La situation cristallise les tensions inhérentes au fonctionnement des entreprises capitalistes, avec la confrontation entre dirigeants et actionnaires d’une part, et syndicats et travailleurs d’autre part. Alors, diverses instances de représentation et organisations ont été créées dans le but d’équilibrer les rapports de force pour aboutir à une “juste” répartition.

Le partage de la valeur comme “fracture au sein de la discipline économique” (T. Bréda)

De nombreuses théories s’intéressent à comprendre le partage de la valeur : celles-ci cherchent notamment à savoir “comment sont fixés les salaires, quel est le niveau des profits, celui des monopoles, celui du progrès technologique… ”, comme l’explique Sophie Piton. Or, ces théories se heurtent à “faire lumière sur la stabilité du partage sur très longue période, alors même que depuis le début des années 1950, les économies ont traversé d’importants changements structurels”, complète la membre du Centre pour la Macroéconomie de la LSE. Comment ce partage de la valeur évolue-t-il ? Pourquoi cette question revient-elle au cœur des préoccupations ?

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Les débats autour des superprofits, la crise sanitaire, la hausse des prix de l'énergie, mais aussi la financiarisation accrue de l’économie avec le rôle croissant des actionnaires, aux Etats-Unis comme en France, ont nourri les questionnements au sujet du partage de la valeur, comme le précisent Thomas Bréda et Sophie Piton. De plus, le retour de ces débats reflète aussi le “problème de l’augmentation des inégalités, avec l’augmentation des revenus du capital qui concerne une petite part de la population, symbolisée par les actionnaires”, insiste Sophie Piton. L’entreprise est alors le lieu par excellence de cette confrontation entre capital et travail. “Dans les théories néoclassiques du marché du travail, on va avoir l’idée que les mécanismes de concurrence vont permettre d’avoir une sorte de “juste” prix et que les gens vont être rémunérés en fonction de leur contribution marginale aux biens, aux services produits par les entreprises”, ajoute Thomas Bréda. Cependant, la réalité actuelle est bien différente, et elle est remise en question aujourd’hui dans l’économie du travail, avec de nombreuses théories.

Comment limiter les inégalités de répartition ?

Pour pouvoir atteindre une “juste répartition”, de nombreux dispositifs ont été mis en place, et ce depuis la fin des années 1950, notamment via l’introduction de l’intéressement et des participations. Néanmoins, “cette question de la rémunération du travail, que ce soit par un salaire fixe, un intéressement ou une participation, ne règle pas le problème de l’ensemble des revenus qui reviennent au travail. Cette question de part fixe et de part variable cache la question plus globale qui est celle de savoir comment est partagé le revenu total”, comme le note Sophie Piton. De plus, les acteurs rencontrent aussi des difficultés pour mesurer la part des salaires : en effet, comme l’explique Sophie Piton, alors que le PIB est souvent utilisé, il est difficile de mesurer réellement la rémunération du travail, et de définir la richesse. Pour étudier la répartition du travail, on doit se restreindre, selon Sophie Piton, à “regarder la part du travail salarié dans la richesse du secteur marchand en excluant le secteur immobilier”.

Trouver des règles optimales de partage de la valeur apparaît alors comme un enjeu clé, puisque même si la répartition capital/travail apparaît plutôt stable dans la plupart des pays, “ce qui varie, c’est l’identité des détenteurs du capital qui perçoivent les rémunérations et celle des travailleurs qui perçoivent la plus grosse partie de la rémunération du travail”, comme le note Thomas Bréda. Selon Sophie Piton, la question de fond est donc celle des inégalités, les outils qui “concentrent les efforts à augmenter cette part du travail par des rémunérations variables” ne constituent pas la solution la plus efficace. Mais que faire ? Selon Thomas Bréda, “il y a besoin de réflexion sur les mécanismes de la rente dans l’entreprise, du dialogue social, de la négociation autour des rentes, de la négociation collective, pour organiser un partage plus juste et plus efficace.”. Sophie Piton conclut : “cette question se pose dans un contexte mondial des inégalités, avec le revenu du capital qui bénéficie à un petit nombre d’actionnaires. (...) le changement de paradigme vers une économie plus financiarisée qui va favoriser la distribution des profits au détriment d’un réinvestissement des bénéfices pour stimuler plus de dynamisme dans l’économie est peut-être à remettre en question, et il faut chercher des outils pour permettre d’investir plus dans les capacités d'innover et retrouver un niveau de croissance qui bénéficie à tout le monde.”.

Pour aller plus loin

  • Article de Sophie Piton, « 7. Le partage de la valeur ajoutée n’a pas encore dévoilé tous ses mystères », Regards croisés sur l'économie, vol. 24, no. 1, 2019, pp. 131-140. Accessible sur Cairn :  https://doi.org/10.3917/rce.024.0131
  • Ouvrage de Thomas Breda, Les représentants du personnel, Presses de Sciences Po, 2016
  • Ouvrage de David RicardoDes principes de l'économie politique et de l'impôt, 1817
  • Travaux de Vladimir Pecheu
  • Travaux de Michel Aglietta
  • Travaux de William Lazonick
  • Travaux d'Albert Hirschman

Références sonores

  • Bash corporate, Nicholas Britell
  • Extrait du film Potiche, réalisé par François Ozon en 2010
  • Interview de Bruno Le Maire sur RMC le 7 novembre 2022
  • Extrait du film Un autre monde, réalisé par Stéphane Brizé en 2021

Références musicales

À réécouter : Superprofits
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