Du combat féministe à la lutte sociale, la pensée avant-gardiste de Flora Tristan

Portrait de FloraTristan, femme politique française (1803-1844)
Portrait de FloraTristan, femme politique française (1803-1844)
Flora Tristan pionnière du syndicalisme et précurseur féministe
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Du combat féministe à la lutte sociale, la pensée avant-gardiste de Flora Tristan

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Fille d'aristocrate, ouvrière à 17 ans, femme battue, fugitive, rescapée d'une tentative d'assassinat, la vie de Flora Tristan est faite de combats : pour sa liberté, pour celle des femmes et des ouvriers. Elle est aussi une penseuse féministe et a théorisé, avant Marx, la notion de classe ouvrière.

Dans sa biographie, Flora Tristan, (Gallimard, 2022) Brigitte Krulic revient sur la vie incroyable et sur la pensée de Flora Tristan qui questionnait, il y a 200 ans, la place des femmes dans l’espace public et la notion de consentement féminin.

La Grande Table idées
31 min

Une vie de paria

En 1803, Flora Tristan naît d’une mère parisienne et d’un père aristocrate péruvien. Cette union non reconnue par l’Église la prive de tout héritage quand son père décède à ses 4 ans.  

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Adolescente, elle devient ouvrière coloriste et n’a que 17 ans quand sa mère la pousse à épouser son patron, un homme violent.  

Elle réussit à le fuir, enceinte, avec ses deux premiers enfants et mène alors des années durant une vie de fugitive.

Brigitte Krulic : "Le code civil donne au mari le droit de faire réintégrer à sa femme le domicile conjugal, au besoin avec l’appui de la police, de la justice. Et elle se met en effraction, elle s’exclut, elle fait d’elle-même - comme elle le dit très bien - une paria, et c’est de là que vient la conscience de son destin de paria."  

4 min

Une femme qui voyage seule

Pour travailler, elle confie ses enfants.  Puis à 30 ans, elle entreprend un voyage de plusieurs mois. Femme seule à bord d’un navire, un statut inconcevable pour l’époque.  

Sa destination : le Pérou, à la recherche de sa famille paternelle. 

Brigitte Krulic : "Il subsiste malgré tout l’espoir de se faire reconnaître comme la fille de Don Mariano Tristàn. C’est une femme très solitaire qui aspire à entrer dans une famille, entrer dans un lignage et bien entendu aussi accéder à une part d’héritage qu’elle juge lui revenir de manière légitime."

Si elle n’est pas reconnue comme héritière, un de ses riches oncles lui octroie une pension. C'est le début de l’émancipation financière. Surtout, lors de ce voyage Flora Tristan prend des notes sur son aventure et enquête sur les conditions de vie au Pérou.

Brigitte Krulic : "Elle va très habilement user de ce voyage extraordinaire. Elle va rédiger des fragments des futures Pérégrinations sous forme d’articles qu’elle va proposer dans les journaux, elle va solliciter des critiques, elle écrit à George Sand, à Sainte-Beuve. Elle n’a pas d’appui mais elle a une volonté et une force de caractère absolument étonnante. Et son premier ouvrage publié à compte d’auteur s’appelle Nécessité de faire bon accueil aux femmes étrangères."  

Flora Tristan est la première a questionner la place des femmes qui voyagent seules
Flora Tristan est la première a questionner la place des femmes qui voyagent seules
© Getty

Ce guide fait référence aux femmes en dehors de leur lieu de vie habituel, qui, comme Flora Tristan, ont quitté le foyer conjugal et se retrouvent seules.

Elle pose la question de la place des femmes dans l’espace public.  

Brigitte Krulic : "C’est le musée, l’hôtel, la banque… Ce n’est évidemment pas interdit, il n’y a aucune disposition qui empêche les femmes d’aller à l'hôtel seule. Mais, de fait, elles sont soumises, observe-t-elle et là elle parle d’expériences vécues, elles sont soumises à tant d’avanies, à tant de remarques déplacées qu'elles préfèrent renoncer à s’aventurer dans l’espace public que de s’exposer à des remarques désobligeantes ou déplacées."

Avec cet essai, elle se fait un nom dans les milieux féministes, socialistes ou littéraires. Mais… son mari la retrouve, enlève ses enfants et tente de l'assassiner. Elle en gardera une balle logée dans la poitrine.  

Flora Tristan a échappé à une tentative d'assassinat par son mari violent.
Flora Tristan a échappé à une tentative d'assassinat par son mari violent.
© Getty

Lors du procès, l’avocat de son mari proclame qu’elle était consentante lorsqu’elle l’a épousé.

Brigitte Krulic : " Elle va interroger cette notion de consentement en disant : "Que signifie le consentement d’une jeune fille de 17 ans, pauvre, orpheline, bâtarde, qui n’a aucun appui familial ?" 

De la lutte féministe au combat social

Son mari finalement emprisonné, elle devient libre. Libre de mener de nouveau une enquête sociale, cette fois-ci à Londres.

Brigitte Krulic : "Elle n’a pas froid aux yeux, elle se fait accompagner de deux ou trois personnes armées de bâtons et elle explore les bas-fond, elle va dans les bordels, elle décrit ce qu’elle voit. C’est une puritaine, il ne faut pas se méprendre, qui est révoltée par ce qu’elle voit mais dit-elle, elle veut s’obliger à regarder l’insoutenable pour pouvoir en témoigner.
Au-delà du témoignage, Flora Tristan veut agir.  

Persuadée d’être un être à part, elle est animée par une mission : ouvrir la voie vers un avenir meilleur.

Les premières pages de "l'Union Ouvrière" de Flora Tristan. 1843
Les premières pages de "l'Union Ouvrière" de Flora Tristan. 1843
- Gallica

Brigitte Krulic : " Pour elle c’est d’abord le droit au travail, donc les droits sociaux, le droit à l’instruction, la proclamation de l’égalité totale et inconditionnelle des hommes et des femmes, des ouvriers et des ouvrières, qui constituent l’objectif premier."

Elle écrit l_’Union Ouvrière_ en 1843 pour propager ses idées et "servir efficacement la classe la plus nombreuse et la plus utile". 

Ouvriers (...) le jour est venu où il faut agir et c’est à vous, à vous seuls, qu’il appartient d’agir pour votre propre cause.            
Flora Tristan

Des dizaines, puis des centaines d’ouvriers viennent la rencontrer et diffusent son texte auprès de leurs camarades.  Avant les premiers syndicats, elle entame un tour de France, pour parler aux prolétaires  et les convaincre d’adhérer à une union ouvrière nationale. 

Brigitte Krulic : " Elle est effectivement pionnière. C’est une idée qui sera reprise plus tard par Marx."

Affaiblie par sa blessure par balle, elle meurt pendant ce tour de France, à seulement 41 ans, épuisée par son combat.