Hitler, 1943. Montrer les mécanismes de la "Solution finale" : épisode • 4/4 du podcast Hitler. Vers la "Solution finale"

Femmes et enfants déportés vers les camps d'Auschwitz par les nazis, 1942 ©Getty - Universal History Archive
Femmes et enfants déportés vers les camps d'Auschwitz par les nazis, 1942 ©Getty - Universal History Archive
Femmes et enfants déportés vers les camps d'Auschwitz par les nazis, 1942 ©Getty - Universal History Archive
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De la propagande à la production d’images en passant par la mise à contribution des populations non-juives des territoires envahis, comment les nazis ont-ils organisé, encouragé et documenté la mise en place de la "Solution finale" ?

Avec
  • Tal Bruttmann Historien, spécialiste de l’histoire de la Shoah et de l’antisémitisme en France
  • Marie Moutier-Bitan Historienne, chercheuse postdoctorale au ERCES/CNRS
  • Valérie Hannin Directrice de la rédaction du magazine L'Histoire

La Shoah est la mise à mort de près de 6 millions de Juifs d'Europe par l'Allemagne nazie et ses collaborateurs pendant la période de la Seconde Guerre mondiale, telle que le définit le Mémorial de la Shoah. C’est une histoire d’images, celles qui illustrent les manuels scolaires, les documentaires… celles qui servent de documents pour les historiens et les historiennes. Cependant, quelles sont les images que nous avons en tête quand nous pensons à la Shoah ? Les corps décharnés dans les baraquements des camps de concentrations, les files d’hommes, de femmes, d’enfants dans les camps d’extermination, les fosses où sont abattus par balle les Juifs d’Europe de l’Est...

La "Solution finale" photographiée par les nazis

En 1945, Lili Jacob, rescapée d’Auschwitz, fait une étrange découverte au camp de Dora. Elle trouve un album photographique, où elle se reconnaît, ainsi que certains de ses proches déportés l’année précédente. Elle prend possession de l’album et le conserve jusqu’aux années 1970, alors qu’elle a émigré aux États-Unis. Serge Klarsfeld retrouve alors sa trace et persuade Lili Jacob de confier cet album au Mémorial de Yad Vashem.

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Depuis, cet ensemble de 197 photographies interroge les historiens : qui a pris ces images ? Dans quel but ? Pourquoi avoir cherché à documenter les différentes étapes de l’arrivée à Auschwitz de plusieurs convois de déportés ? Comment identifier les visages et les lieux visibles sur ces photographies ? Cette plongée dans l’histoire de cet "album d'Auschwitz" rend compte des jeux hiérarchiques nazis et constitue une source d’informations unique sur la mise en place de la mécanique génocidaire. Loin de n’être que des illustrations de la "Solution finale", ces images sont des documents en soi et de précieuses archives pour l’historien et l’historienne.

L'historien Tal Bruttmann décrypte les images de cet "album d'Auschwitz" et met en garde sur la mauvaise interprétation qui a pu en être donné : "Ces images ont été utilisées pour montrer ce qu'était Auschwitz. Le problème c'est que ce n'est pas ce qu'était Auschwitz au sens premier du terme, mais ce que des SS veulent montrer à d'autres SS à Berlin sur le fonctionnement d'Auschwitz. Un Auschwitz 'idéalisé' par des SS pour des SS." Pour illustrer la mise en scène de ces images, Tal Bruttmann donne l'exemple de photos où les victimes attendent la mort sans le savoir : "Nous, on s'identifie à ces victimes. Sauf que le photographe SS ne cherche pas à apitoyer qui que ce soit. Au contraire, il cherche à montrer à ses supérieurs à Berlin le 'brio' du système de duperie mis en place pour réaliser la plus grande opération d'assassinat de la 'Solution finale'."

Mettre en scène la persécution des Juifs en territoire soviétique

Analyser les mécaniques qui ont permis et organisé l’entreprise génocidaire nazie, c’est aussi interroger la responsabilité d’autres acteurs en présence. En Galicie orientale, durant les premières semaines qui suivent le déploiement de l’opération Barbarossa, ce sont bien les élites locales et les populations non-juives des villages qui perpétuent massacres, pillages, viols et meurtres. Le cadre légal posé par l’occupant nazi équivaut à un permis de tuer, qui précipite un déferlement de violence, révélateur d’un antisémitisme larvé et de haines tenaces au sein des villages. Ces victimes ne sont pas acheminées jusqu’aux camps de la mort, elles sont assassinées chez elles, en pleine nuit, par des milices locales, nouvellement créées, souvent composées de ceux qui sont leurs voisins depuis des décennies.

L'historienne Marie Moutier-Bitan revient à son tour sur les photographies nazies qui mettent en scène l'humiliation infligée aux Juifs : "Ce sont la plupart du temps des images prises par les bourreaux nazis eux-mêmes. Il faut s'imaginer qu'on voit les événements à travers leur regard et tout le narratif nazi. (...) Les Juifs orthodoxes sont les premières cibles, parce qu'ils sont aisément repérables par les soldats allemands. Les membres des einsatzgruppen les identifient immédiatement comme Juifs et savent que l'opinion allemande fera de même. Ils dirigent contre eux toute une série d'humiliations, de mises en scène extrêmement macabres – ils obligent, par exemple, des rabbins à marcher par terre à la manière d'animaux ou de danser avec des jeunes filles – sous le regard goguenard des soldats allemands, mais aussi de la population locale".

De la propagande à la production d’images en passant par la mise à contribution des populations non-juives des territoires envahis, comment les nazis ont-ils organisé, encouragé et documenté la mise en place de la "Solution finale" ?

🎧 Pour en savoir plus, écoutez l'émission…

Le Pourquoi du comment : l'histoire

Toutes les chroniques de Gérard Noiriel sont à écouter ici.

Le Pourquoi du comment : histoire
3 min

En fin d'émission

Valérie Hannin, directrice de la rédaction du magazine L'Histoire, présente le numéro de mars intitulé Incas : un empire (pas) comme les autres.

Pour en parler

Tal Bruttmann est historien, spécialiste de l’histoire de la Shoah et de l’antisémitisme en France.
Il a notamment publié :

Marie Moutier-Bitan est historienne, chercheuse postdoctorale au ERCES/CNRS.
Elle a notamment publié :

Références sonores

  • Archive de Simone Veil et du Père Desbois sur la Shoah en Ukraine, Pièces à conviction, France 3, 12 mars 2008
  • Archive sur l'opération Barbarossa dans le Journal des Actualités françaises, 30 octobre 1941
  • Archive sur 16/01/2005 Album retrouvé par Lili Jacob, La source de vie, France 2, 16 janvier 2005
  • Archive sur les "camp heureux", Cinq colonnes à la une, ORTF, 2 avril 1965
  • Générique de l'émission : Origami de Rone

L'équipe