Aqueducs, cloaques, canaux, les bons tuyaux des Romains : épisode • 2/3 du podcast Histoires d'eau

Le Pont du Gard, aqueduc construit par les Romains au 1er siècle de notre ère, seul exemple de pont antique à trois étages encore debout aujourd'hui. ©Getty - Andrew Hasson
Le Pont du Gard, aqueduc construit par les Romains au 1er siècle de notre ère, seul exemple de pont antique à trois étages encore debout aujourd'hui. ©Getty - Andrew Hasson
Le Pont du Gard, aqueduc construit par les Romains au 1er siècle de notre ère, seul exemple de pont antique à trois étages encore debout aujourd'hui. ©Getty - Andrew Hasson
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Peu importe la météo, chaque premier janvier, le philosophe Sénèque avait pour habitude de se jeter dans les eaux fraîches de l’Aqua Virgo, qui alimentaient les constructions et les bains du Champ de Mars à Rome. Cet épisode illustre le rapport privilégié qu'entretiennent les Romains avec l’eau.

Avec
  • Jean-Baptiste Lebret Archéologue, chercheur associé au laboratoire ASM-Archéologique des Sociétés méditerranéennes de Montpellier
  • Sandrine Agusta-Boularot Archéologue, professeure d’archéologie et d’histoire de l’art des mondes romains à l’Université Paul Valéry Montpellier 3

Vitruve, l’architecte romain du Ier siècle avant Jésus-Christ, nous donne une étrange manière de procéder pour trouver de l’eau : "Pas de difficulté, quand une fontaine fera jaillir ses eaux du sol ; mais quand il n’en sera point ainsi, quand il faudra aller les chercher sous terre et en recueillir les sources, voici comment on devra s’y prendre : on se couchera la face contre terre, avant le lever du soleil, dans le lieu où il y aura une recherche à faire, et, le menton appuyé sur le sol, on dirigera ses regards vers l’horizon. Dans cette position immobile du menton, la vue, loin de s'égarer plus haut qu’il ne faut, s’étendra devant elle d’une manière invariable, au niveau de l’œil. Les endroits dans lesquels on verra s’élever des vapeurs ondoyantes, devront être creusés : car les lieux secs ne peuvent présenter cette particularité." Les aqueducs romains, tel celui du Pont du Gard, sont toujours présents dans nos paysages, une histoire au fil de l’eau, au fil des siècles et des millénaires !

L'eau : une débauche chez les Romains ?

L’eau serait-elle pour les Romains un précieux trésor dont l’abondance et la jouissance sont d’abord un symbole de puissance ? Dans la ville romaine, l’eau coule par excès. Très tôt, les autorités prennent conscience que l’hygiène publique passe d’abord par un accès à l’eau courante : l’eau qui stagne, c’est la garantie de voir surgir les maladies.

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C’est donc en permanence qu’il faut renouveler l’eau. Fontaines, bassins, thermes… l’eau n’est pas stockée et afflue jour et nuit. Intimement liée à la ville, l’eau constitue un élément central du Haut Empire Romain qu’il faut apprendre à maîtriser. Par ailleurs, la disposition gratuite d’une eau potable dans les villes romaines constitue une importante innovation.

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Une maîtrise technique

De l’acheminement à l’évacuation en passant par la distribution et le stockage, le parcours de l’eau dans l’Empire romain est aussi varié qu’il est complexe. Sa gestion demande l'acquisition de véritables savoirs techniques. L’aqueduc constitue certainement l'infrastructure romaine dédiée à l’eau la plus caractéristique, pour laquelle les travaux nécessitent une maîtrise parfaite du territoire. La manifestation du pouvoir que représente l'aqueduc ne résulte pas tant de sa grandeur, que du fait d’arriver à faire venir de l’eau dans les villes : l’aqueduc est le symbole de la domination de la ville sur la campagne.

Il est important d’insister sur le fait qu’un aqueduc n’est pas construit pour irriguer ; ils sont destinés aux villes. Et cette exclusivité provoque des conflits d’usages, dont nous parle l'archéologue Sandrine Agusta-Boularot : "L'aqueduc prend sa source à cinquante kilomètres et traverse des campagnes sans proposer de distribution sur son chemin pour les gens qui y habitent. C'est extrêmement violent au point qu’il est possible de parler d'un impérialisme hydrique des Romains. Cela rappelle fortement les premiers temps du TGV, lorsque les habitants du centre de la France le voyaient passer sans pouvoir y monter et en devant supporter toutes les nuisances associées".

Les enjeux de l’eau : acheminer… mais surtout évacuer !

Il faut distinguer les réseaux d’alimentation des réseaux d’évacuation. Le premier alimente l’installation, tandis que le second évacue les eaux altérées. Pour l'archéologue Jean-Baptiste Lebret, dans l’imaginaire collectif, les égouts renvoient au bourbier, aux déchets, à cette espèce d'intestin de la ville : "Pourtant, la Cloaca Maxima, le grand égout collecteur de la ville de Rome dans l'Antiquité, n’est pas fait pour ça. Le mot cloaque évoque à l’origine non pas la saleté des eaux usées, mais bien la propreté et le nettoyage des grandes villes. La Cloaca Maxima renvoie à un réseau d’égouts plus large, prévu pour viabiliser le territoire de Rome et permettre la construction urbaine".

L’évacuation de l’eau constitue un enjeu aussi important que celui de son acheminement : il s’agit avant tout de nettoyer les rues et d'éviter la surcharge de déchets, naturels comme humains. Le système d'égout romain est particulièrement performant et se divise en deux catégories, un système privé géré par les propriétaires des édifices, et un système collectif, géré théoriquement par les autorités locales. L’installation d'égouts n’est pas identique partout, et quand elle existe, elle est la preuve d’une maîtrise incontestable du territoire par les Romains.

🎧 Pour en savoir plus, écoutez l'émission…

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Pour en parler

  • Jean-Baptiste Lebret est archéologue, chercheur associé au laboratoire ASM-Archéologique des Sociétés méditerranéennes de Montpellier. 
    Il a rédigé une thèse intitulée Les réseaux d’évacuation des eaux antiques en milieu urbain dans la province de Gaule Narbonnaise (sous la direction de Sandrine Agusta-Boularot, Montpellier 3, 2017).
  • Sandrine Agusta-Boularot est archéologue, professeure d’archéologie et d’histoire de l’art des mondes romains à l’Université Paul Valéry Montpellier 3.
    Elle est directrice des publications de la Revue Archéologique de Narbonnaise dans le laboratoire "Archéologie des Sociétés Méditerranéennes".

Références sonores

  • Archive sur l'importance de l'eau chez les Romains, Journal des Actualités Françaises, 1er janvier 1948
  • Commentaire de Jean-Christophe Bailly sur les fontainiers fraudeurs, Du jour au lendemain, 15 septembre 1990
  • Extrait du film Spartacus de Stanley Kubrick, 1960
  • Archive d'une chronique d'Alain Rey sur l'origine du mot "cloaque", Le mot du jour, 8 avril 1999
  • Description du Pont du Gard par Alphonse Daudet, joué par Bob Fort, Dimanche en France, 22 janvier 1961
  • Générique de l'émission : Origami de Rone

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