Retraites au 49.3 : le gouvernement peut-il tenir ?

Les membres du Parlement de la  NUPES tiennent des pancartes pendant le discours d'Elisabeth Borne  à l'Assemblée nationale, à Paris, le 16 mars 2023. ©AFP
Les membres du Parlement de la NUPES tiennent des pancartes pendant le discours d'Elisabeth Borne à l'Assemblée nationale, à Paris, le 16 mars 2023. ©AFP
Les membres du Parlement de la NUPES tiennent des pancartes pendant le discours d'Elisabeth Borne à l'Assemblée nationale, à Paris, le 16 mars 2023. ©AFP
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Le gouvernement s’est finalement résolu à passer en force : le texte sur la réforme des retraites a été hier après midi adopté par 49.3 dans une ambiance particulièrement houleuse. L’utilisation de cette arme constitutionnelle largement impopulaire peut-elle mettre le feu aux poudres ?

Avec
  • Pascal Perrineau Politologue et professeur des Universités à Sciences Po, ancien directeur du CEVIPOF
  • Olivier Rozenberg Professeur au Centre d’études européennes et de politique comparée de Sciences Po

Le 49.3 : procédure légitime ou coup de force ?

Quelles sont les conséquences politiques du recours au 49.3 pour faire passer la réforme des retraites ? La professeure de droit public à l’Université Paris Nanterre Véronique Champeil-Desplats estime "qu'il faut revenir à la Constitution de la Ve République pour comprendre cet article et les conséquences de son utilisation. L’un des objectifs du général de Gaulle, traumatisé par l’instabilité gouvernementale de la III et IVe République, était d’éviter que la politique menée par le gouvernement soit à la merci des majorités de coalition au sein de l'Assemblée. Il fallait les armes d’un 'parlementarisme rationalisé".

"La volonté de pouvoir passer outre les divisions à l’Assemblée n’est que la face claire du phénomène", estime Véronique Champeil-Desplats. "Aujourd'hui, l’arme de ce 'parlementarisme rationalisé' est perçue plutôt comme un « bras d’honneur », une forme de méfiance à l'égard des majorités". Olivier Rozenberg, professeur au Centre d’études européennes et de politique comparée de Sciences Po, relève pour sa part que "le 49.3 est devenu le symbole d’un coup de force démocratique et personne ne peut s’extraire de cela. C’est une sorte de chiffon rouge quelle que soit la constitutionnalité de la pratique", estime-t-il, "et Emmanuel Macron le sait aussi".

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Le politologue Pascal Perrineau complète : "la logique de l’article 49.3 consiste à dire : 'si vous n’êtes pas d’accord avec le gouvernement, faites le tomber et construisez une majorité alternative', et l’on verra si les oppositions auront cette capacité à construire cette majorité alternative dans quelques jours. Tout le monde crie au déni de la démocratie. Mais l’heure de la démocratie viendra dans quelques jours sur la ou les motions de censure", souligne-t-il. Olivier Rozenberg relève cependant une précision technique importante : "lorsque l’on vote sur un texte, il faut être les plus nombreux possible à soutenir ce texte pour qu’il passe. Lorsque l’on vote sur une motion, il faut qu’une majorité absolue à l’Assemblée s’oppose au texte. Cela est très différent et c’est pour cette raison que le gouvernement préfère un vote sur motion de censure qu’un vote sur texte".

"Proportionnalisation" de la vie politique

La motion de censure peut-elle être votée ? "Personne n’en sait rien", indique Olivier Rozenberg. "D’après les décomptes, il faudrait encore 25 députés. Les LR sont 61, ils sont une dizaine prête à voter contre. Il manquerait donc 15 votes. Mais que cela passe ou pas, il y aura des conséquences en termes d’images et d’opinions".

Véronique Champeil-Desplats souligne pour sa part "l’effritement de la discipline de vote au sein des partis et des groupes, alors que les partis politiques pouvaient compter sur leur majorité auparavant. Le sens du métier a changé en faveur d’entrepreneurs individuels dans le rapport au politique, qui fait que c’est au gré des jours et analyses personnelles que l’on soutient ou pas un projet", explique la politologue.

"Il y a d’autres réformes qui ont contraint le gouvernement à reculer, notamment en 1995", pointe Pascal Perrineau. "Mais dans la situation actuelle, on sent les effets pervers des législatives de juin 2022", indique-t-il. "On assiste en effet à une forme de "proportionnalisation" de la vie politique parlementaire de ce second mandat caractérisé par le fait que tous les partis se fragilisent. Il ajoute : le seul parti stable est le RN, qui reste stratégiquement très discret sur le débat".

La réforme des retraites : une imprudence politique ?

Y a-t-il une forme d’imprudence politique et d’entêtement dans la volonté d’Emmanuel Macron de faire passer cette réforme ? "Le problème est la difficulté du second mandat puisque le Président de la République cherche un contenu pour se représenter, note Pascal Perrineau. Il ne peut pas éviter la recherche d’un macronisme de deuxième génération au plan intérieur puisqu’il cherche à redevenir le président réformateur". Olivier Rozenberg conclut : "l’idée de faire la réforme compte plus que son contenu. En d’autres termes, l’emballage du cadeau compte davantage que le cadeau lui-même".

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