Musée de l'histoire des féminismes, matrimonialiser les luttes

"Madame Maria Vérone à la tribune", huile sur toile de Léon Fauret (1863-1955), première œuvre acquise par l'AFéMuse grâce au financement participatif - © AFéMuse
"Madame Maria Vérone à la tribune", huile sur toile de Léon Fauret (1863-1955), première œuvre acquise par l'AFéMuse grâce au financement participatif - © AFéMuse
"Madame Maria Vérone à la tribune", huile sur toile de Léon Fauret (1863-1955), première œuvre acquise par l'AFéMuse grâce au financement participatif - © AFéMuse
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Un premier musée de l’histoire des féminismes devrait voir le jour en 2027 à Angers. Le Cours de l’histoire reçoit les principales protagonistes de ce projet de mise en valeur du matrimoine.

Avec
  • Christine Bard Professeure à l'Université d'Angers, spécialiste de l’histoire des femmes et du genre
  • Magali Lafourcade Magistrate, secrétaire générale de la Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme
  • Nathalie Clot Directrice des bibliothèques et archives de l’Université d’Angers
  • Julie Botte Docteure en muséologie de l'Université Sorbonne Nouvelle

Le 19 février 1914 meurt à Asnières, près de Paris, à l’âge de 72 ans, Eliska Vincent, une grande figure du féminisme. Cette amie de Louise Michel a marqué les esprits par son militantisme, mais aussi par son goût de l’archive. Avec sa sœur, elle a rassemblé une grande bibliothèque féministe dans sa maison d’Asnières, des documents de son temps et des documents du passé : un million de dossiers et de fiches ! Le Musée social était son légataire, avec l’intention de fonder un Institut féministe. Discussions, pourparlers, hésitations, le musée ne vit jamais le jour. La disparition des archives, c’est perdre la mémoire et cela rend plus difficile l’écriture de l’histoire. La création d’un musée de l’histoire des féminismes est donc une excellente nouvelle.

Un musée des féminismes, donner à voir et à comprendre

Sur les trois mille musées français, aucun n’était encore dédié à l’histoire de l’émancipation féminine. L’AFéMuse, une association composée d’universitaires, historiennes et spécialistes des archives du féminisme, a annoncé le 8 mars dernier la préfiguration d’un musée des féminismes, dont l'ouverture est prévue en 2027.

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Situé dans la bibliothèque universitaire du campus de Belle-Beille à Angers, qui abrite déjà le Centre des archives du féminisme, le musée aura pour but de ​donner à voir et à comprendre les traces des luttes pour l’émancipation des femmes et contre les discriminations liées au genre et à l’orientation sexuelle. L’historienne Christine Bard explique le choix d’une telle ville : "Angers, et notamment son université, constitue un formidable écosystème pour l’apparition de ce genre de structures, sans oublier le rapport aux archives entretenu par la ville. Si toutes les productions archivistiques, littéraires et artistiques ne sont pas concentrées uniquement à Angers, le futur musée a pour ambition de développer cet écosystème-là de manière plus large afin d’apporter de la ressource et de la documentation auprès d’un vaste public renouvelé, curieux de se rendre sur place et d’en apprendre davantage".

Le Cours de l'histoire
59 min

Un lieu de transmission, ouvert et participatif

Le futur musée va donner de la visibilité à ces fonds, tout en les articulant avec des œuvres, des objets et des ressources issus des collections du musée encore à enrichir, ou provenant d'autres institutions. Il s’appuiera sur les recherches les plus actuelles issues du monde universitaire, notamment celles menées à Angers.
Julie Botte, docteure en muséologie, décrit les différents types de "musées de femmes" qu'elle a observés : "Certains musées d’art préservent les œuvres d’artistes femmes, d’autres valorisent des œuvres d’art féministes ou des œuvres réalisées par un homme qui représentent une scène qui peut être analysée avec un regard féministe. La manière de valoriser les féminismes est très variée ! Nous analysons également les objets du quotidien, porteurs d’un discours et de valeurs infimes. L’élaboration d’une politique d’acquisition est essentielle dans ce projet, car le thème des femmes, du genre, des féminismes est si large qu’il nécessite une grande diversité de collecte et de discours".

Madame Vérone et l'inauguration d'un projet

La première acquisition du musée est particulièrement symbolique. Il s'agit du tableau de Léon Fauret, Madame Vérone à la tribune, obtenu grâce à un financement participatif de plus de deux cents contributrices et contributeurs. Ce tableau, daté de 1910, représente un meeting au Théâtre des Sociétés savantes à Paris. Maria Vérone, une des premières femmes avocates, est à la tribune, face à une salle bondée, et demande à ce que l'expression "droits des êtres humains" remplace celle de "droits de l'homme". La magistrate Magali Lafourcade nous en dit davantage : "À ma connaissance, il s’agit du seul exemple de peinture académique illustrant une féministe. Il était primordial que le musée puisse l’acheter. C’est une scène assez unique du féminisme de la première vague en France, traitée d’un point de vue totalement neutre. C’est une acquisition symbolique. Elle représente la participation collective qu’on essaye de créer autour de ce musée. Ce tableau est également un support d’incarnation pour que les gens comprennent notre intention à travers ce projet."

Aujourd’hui encore subsiste une représentation uniforme des féminismes. Nathalie Clot, directrice des bibliothèques et archives de l’Université d’Angers, explique que les mêmes images – comme celles des manifestations du MLF dans les années 1970 – sont souvent utilisées pour illustrer le mouvement pluriel des féminismes : "En réalité, il existe des quantités de dessins, de caricatures, de photographies, de représentations qu'on ne voit jamais sur le sujet. À mon sens, un des enjeux majeurs est de fixer dans l'imaginaire collectif une plus grande diversité de ces luttes, que celle portée par certaines images d'Épinal. C’est pour nous un véritable challenge. Nous constatons une relative pauvreté iconographique, mais en cherchant, en collectant, nous allons trouver davantage de choses."

🎧 Pour en savoir plus, écoutez l'émission…

Le Pourquoi du comment : l'histoire

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Le Pourquoi du comment : histoire
3 min

Pour en parler

  • Christine Bard est professeure d'histoire contemporaine à l'Université d'Angers, responsable de MUSEA (musée virtuel sur l'histoire des femmes et du genre), présidente de l’association Archives du féminisme, coprésidente avec l’historienne Julie Verlaine de l’AFéMuse, Association pour un Musée des Féminismes.
  • Julie Botte est docteure en muséologie de l'Université Sorbonne Nouvelle, attachée temporaire d’enseignement et de recherche en histoire du patrimoine et en histoire de l’art à l’Université d’Artois, membre de l’AFéMuse.
  • Nathalie Clot est directrice des bibliothèques et archives de l’Université d’Angers.
  • Magali Lafourcade est magistrate, secrétaire générale de la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH), fondatrice et directrice de l’AFéMuse.

Pour aller plus loin

Références sonores

  • Archive sur Angers, cité d'art et d'histoire, Maine Anjou Touraine actualités, 9 juin 1965
  • Lecture par Maïwenn Guiziou d'un texte de la féministe Marie-Louise Bouglé
  • Chanson L'Hymne des femmes, créée collectivement par des militantes féministes à Paris, mars 1971
  • Archive d'une conférence de Maria Vérone sur un disque Polydor, 1933
  • Archive sur Louise Weiss, Panorama, ORTF, 29 mai 1969
  • Générique de l'émission : Origami de Rone

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