Institutionnelle, politique, démocratique et sociale : une crise inédite ?

Manifestations sur la place de la Concorde, Paris ©AFP - Thomas Samson
Manifestations sur la place de la Concorde, Paris ©AFP - Thomas Samson
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Face au passage en force de la réforme des retraites, la colère sociale ne faiblit pas. Sommes-nous confrontés à une crise sociopolitique inédite dans l’histoire de la Ve République ?

Avec
  • Gérard Noiriel Historien, directeur d'études à l’EHESS, spécialiste de l’immigration et de l’histoire de la classe ouvrière.

La retraite : un "objet social et historique total"

“La retraite est un objet d’histoire total, indique l’historien Gérard Noiriel. Elle engage en effet le rapport à la vie, au métier, aux inégalités et le rapport à l'État. La question de retraites ne peut donc pas être isolée d’un malaise social plus global, lié aux questions structurelles de l'économie française”.

Assiste-t-on à une résistance ou une diminution du rôle de l’État social ? “La logique de l’Etat social est celle de la pénétration de l’État dans l’identification des personnes en tant qu'ayant droit. Celle-ci est désormais pleinement intériorisée. Mais depuis les années 1980-1990, on assiste à une remise en cause de l'État social et à une évolution des formes d’inégalités : ce qui a changé, c'est l’expression du rapport au travail et la visibilité de la pénibilité." L’historien ajoute : “aujourd’hui, il y a une conscience collective de la pénibilité du travail et il y a moins d’accidents. Mais l’intensité du travail est accentuée : la question de l’allongement de la vie n’est pas la seule question. Par ailleurs, il y a aussi des aspirations à ne pas vouloir vouer sa vie entièrement au travail”.

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49.3 : évolution des pratiques institutionnelles ou cheminement démocratique de la loi ?

“Il y a différentes conceptions de la démocratie qui se sont imposées par la délégation de pouvoir, au détriment de la démocratie directe, explique Gérard Noiriel. Les Gilets Jaunes ont voulu réactiver cette démocratie directe. Et aujourd'hui, le 49.3 court-circuite à nouveau le débat parlementaire". Sur ce point, l’historien relève que “lorsque le 49.3 a été activé en 2016, il y avait déjà eu beaucoup de protestations, c’était une des causes de scissions au sein du Parti Socialiste”. Il note par ailleurs que “l’étiolement des partis politiques actuel fait que la marge de manœuvre du président de la République est plus importante : nous sommes dans une période de restructuration de l'espace public, d’affaiblissement des partis, de multiplication des réseaux de communications, et tout cela rend l’exercice de la démocratie plus compliqué, avec des avancées, mais aussi des reculs”.

“La motion de censure est censée faire le trait d’union entre les clivages partisans, essayer de créer une majorité, ajoute l’historien. La question des retraites dépasse donc les clivages et l’intersyndicale est aussi un événement très important. Cette situation rappelle les alliances de la IIIe République : l'alliance face à l'Affaire Dreyfus, mais aussi l’alliance qui a débouché sur le front populaire. Aujourd'hui, il faut à nouveau trouver des formules de façon à respecter ce qu’est le cœur de la démocratie représentative : trouver une majorité d'électeurs".

Violences d’Etat : une sensibilité nouvelle à la violence

Que signifie le terme chaos ? Une société peut-elle être “en norme” ?  "Si l’on compare avec le 6 février 1934, on voit bien qu’il y a un recul de la violence, mais il y a aussi une autre sensibilité à la violence, il y a un recul de cas extrêmes, révolutionnaires, pour une vision plus symbolique : le fait qu’il y ait trois poubelles dans la rue est supposément le début du chaos. Cette sensibilité s’explique en partie par la pacification des relations sociales dans la société", indique l'historien. La symbolique est aussi liée aux modifications des systèmes de communication, qui fait qu’un certain nombre de personnes vont vers des formes violentes, mais qui sont malgré tout limitées. Comment la violence d'État était-elle perçue précédemment ? “Au XXe siècle, la violence d’État était condamnée par les forces de gauche et minimisée par la droite et l'extrême droite. Les choses ont changé depuis mai 1968, la violence a reculé après les événements et par la suite, il y a eu une volonté de minimiser les affrontements physiques, mais depuis le mouvement des Gilets Jaunes, on constate un retour de la violence dans la répression, prouvé par les enquêtes sociologiques”, relève Gérard Noiriel.

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