Dans les couloirs de Bercy : épisode • 2/3 du podcast Gouverner par l’économie

Le Ministre de l'Economie et des Finances dans son bureau à Bercy, 29 juillet 1998 ©Getty - Micheline Pelletier
Le Ministre de l'Economie et des Finances dans son bureau à Bercy, 29 juillet 1998 ©Getty - Micheline Pelletier
Le Ministre de l'Economie et des Finances dans son bureau à Bercy, 29 juillet 1998 ©Getty - Micheline Pelletier
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Comment le Ministère des Finances s’est-il imposé comme acteur majeur des politiques publiques économiques menées depuis le début du XXe siècle, passant d’un rôle comptable à un rôle stratégique et prévisionnel ?

Avec
  • Florence Descamps Historienne, maître de conférences à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes
  • Laure Quennouëlle-Corre Historienne, directrice de recherche au CNRS

Le Ministère des Finances a progressivement été établi comme pièce centrale de l’architecture de l’appareil d’État. Auparavant relégué à des fonctions strictement budgétaires et comptables héritées du XIXe, le rôle du Ministère des Finances s’est complexifié au long du XXe siècle, gagnant en compétences, en vision stratégique et en centralité. Au gré des bouleversements conjoncturels (guerres mondiales, crises économiques) et des orientations politiques gouvernementales, le rôle de boussole en matière de politique économique incarné par le Ministère a été remodelé.

Le Ministère des Finances au XXème siècle, de la gestion à la stratégie

A partir de la Seconde Guerre mondiale et jusqu’au tournant libéral des années 1980, le Ministère des Finances, qui se dote en 1945 de la prestigieuse Direction Générale du Trésor, acquiert un rôle stratégique : las de leur simple rôle de contrôle budgétaire. Les hauts fonctionnaires et agents de Rivoli sont mis à contribution dans les plans de reconstruction, la remise sur pied d’un tissu industriel français compétitif et la politique interventionniste qui caractérise les Trente Glorieuses, Laure Quennouelle-Corre précise "après la Seconde Guerre mondiale, le Commissariat général au plan est créé avec à sa tête Jean Monnet, qui est une forte personnalité. Il a connu car il avait été banquier auprès des Américains et avait négocié notamment les accords du prêt bail en 1945 et était auréolé d'une grande réputation. D'ailleurs, le ministère de finances a eu à s'opposer un peu à lui pour gérer les cordons de la bourse, notamment ceux du Plan Marshall. C'est à partir de cette époque-là que se met en place une économie planifiée et qu'il y a un consensus national autour du Plan".

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Après la guerre et surtout à partir de 1958, le ministère se voit associé à la politique gaullienne et pompidolienne, Florence Descamps nous explique "quand le Général de Gaulle revient au pouvoir, il n'est pas tout seul, il y a notamment Michel Debré, qui sera son premier ministre et il est globalement soutenu par la haute fonction publique qui veut mettre fin à la crise des institutions. On assiste à une séquence juridique et constitutionnelle majeure, qui se déroule en temps de guerre, la guerre d'Algérie, même si elle n'est pas nommée ainsi à l'époque, et qui suppose des pouvoirs renforcés. C'est ce que Michel Debré et le Général de Gaulle vont faire en prenant l'initiative d'une nouvelle Constitution. Dans ce cadre, les finances sont très légitimistes, il y a eu très peu de non-ralliement au pouvoir gaulliste. Michel Debré est conseiller d'Etat, il y a un plan de redressement économique et financier, il y a l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 sur la présentation budgétaire, il y a le décret de 1962 sur la comptabilité et tout cela en même temps que la Constitution de la Ve République qui donne un pouvoir fort à l'exécutif et qui rompt avec le parlementarisme de la IVe République, et cela va dans le sens du Ministère des Finances. L'outil fondamental, c'est l'ordonnance qui va servir à faire passer les budgets en temps et en heure et le 49-3.

Du Ministère dominateur à la méthode Bercy

L’image publique du ministère de l’Économie et des Finances est largement celle d’un acteur collectif homogène, voire univoque, comme le suggère le surnom topographique qu’on lui donne, "Bercy" – et antérieurement à 1989 "Rivoli" –, et les rhétoriques qui lui sont généralement associées. Laure Quennouëlle-Corre nous explique "les administrations d'Etat major qui ont forgé cette image de Bercy dans l'opinion publique sont la direction du Budget et la direction du Trésor, avec également la direction générale des impôts qui est un peu moins connue, mais qui a un rôle de plus en plus important. C'est la direction du Trésor qui a tiré vers le haut cette image de la rue de Rivoli et de Bercy, du fait de la conversion des finances à l'économie qu'elle a engendrée et qu'elle a fait irriguer dans toute l'administration. Cette administration entretient un esprit de corps très fort, ils font notamment très attention au recrutement, avec des inspecteurs des finances, des chargés de mission proches du directeur... par ailleurs, la compétence particulière du Trésor c'est son audience internationale. Elle a acquis une sorte de magistère d'influence au sein de Bercy et auprès des politiques parce qu'elle a toujours eu un rôle important dans les négociations internationales".

A partir de l’entrée dans la mondialisation accélérée et de la consolidation de la construction européenne dans le domaine économique (monnaie unique, enjeux de concurrence…) le poids du Ministère dans l’écosystème décisionnel se voit relativisé. Florence Descamps nous explique "aujourd'hui la capacité d'autonomie par rapport au pouvoir politique est assez compliquée parce qu'on est en milieu ouvert. Il y a la mondialisation d'une part, la décentralisation qui a changé les rapports de force, la construction européenne a sérieusement raboté l'autonomie tout simplement d'un État national. La monnaie, dans les années 70 et 80 et jusqu'à l'avènement de l'euro, était un outil qui était dans les mains de l'exécutif, et aujourd'hui, elle est dans les mains de la BCE. Le pouvoir monétaire est parti, le commerce est également parti à l'échelle européenne, ce qui reste comme outil et comme levier pour agir c'est la fiscalité. Même si on tend vers une harmonisation fiscale, l'outil fiscal, et notamment le contrôle fiscal, peut néanmoins être utilisé par l'État en France".

Pour aller plus loin

  • Laure Quennouëlle-Corre : La direction du Trésor, 1947-1967, L’État-banquier et la croissance (Comité pour l’histoire économique et financière de la France/IGPDE, 2000)
  • Laure Quennouëlle-Corre : La place financière de Paris au XXe siècle. Des ambitions contrariées (Comité pour l’histoire économique et financière de la France/IGPDE, 2015)
  • Article de Florence Descamps : « Bercy. Empire ou constellation de principautés ? » (avec P. Bezes et S. Viallet-Thévenin), Pouvoirs, n° 168, janvier 2019

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