Pourquoi tout le monde se revendique-t-il de la pensée de Gramsci aujourd’hui ?

Nombre d'intellectuels et de politiques de gauche comme de droite se revendiquent d'Antonio Gramsci, ce penseur marxiste mort en 1937. Il a œuvré toute sa vie à donner du sens au monde, on retrouve aujourd'hui la portée théorique de son travail dans ses 33 cahiers rédigés entre 1929 et 1935 qui présentent une pensée renouvelée du marxisme. Alors comment expliquer que Philippe de Villiers et Jean-Michel Blanquer convoquent désormais Gramsci pour appuyer leur discours ? Marie Sorbier est allée poser à la question à Romain Descendre.

Gramsci tous azimuts

L’une des particularités notables de la figure d’Antonio Gramsci est que celui-ci est l’un des rares auteurs à être sorti tout à fait blanchi de la période de rejet des marxismes qui a accompagnée l’effondrement du bloc de l’est. Ce statut d’exception permet donc que de nombreux politiques contemporains puissent se revendiquer de la pensée de Gramsci sans s'embarrasser à la situer dans son contexte d'émergence.

Ce succès tous azimuts de la pensée de Gramsci aujourd’hui comporte nécessairement quelques écueils, selon Romain Descendre. Nombre d’utilisations récentes de notions forgées par l’auteur en sont des emplois galvaudés voire dévoyés à des fins politiques incompatibles avec la pensée de Gramsci.

"L'un des exemples les plus frappants est celui de Nicolas Sarkozy qui, lors de sa campagne de 2007, se réclamait de Gramsci en disant croire à la conquête du pouvoir par les idées." Romain Descendre

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Une pensée inscrite dans une vie d'engagements

En effet, cette tendance à réifier la pensée en quelques concepts s’éloigne par nature de ce qui fonde la réelle actualité de Gramsci. La pensée de Gramsci étant indissociable de sa vie et de son engagement politique, il est impossible de faire abstraction de ce lien à l’expérience vécue. Les formes dans lesquelles Gramsci a consigné ses idées témoignent de cette solidarité entre la pensée et la vie : articles de journaux, manifestes ou tracts politiques, notes dans des carnets d’écoliers, lettres rédigées depuis la prison. La pensée de Gramsci s’inscrit donc à même les évolutions de sa vie.

“ Il n’y a pas d’œuvre au-delà de sa vie, il n’y a pas de livre, ni de volonté d’élaborer une œuvre finie, mais une réflexion toujours ancrée dans des conjonctures “  Romain Descendre

L'ouvrage "L'oeuvre-vie d'Antonio Gramsci" que font paraitre Romain Descendre et Jean-Claude Zancarini s’attache donc à suivre le fil de ses élaboration successives en présentant sa pensée sous une forme narrative.

Aussi, Gramsci nous enseigne-t-il moins des vérités qu’une certaine exigence de mise en rapport entre la pensée et le réel. Lui-même passait son temps à faire des allers-retours entre des concepts abstraits et des événements les plus concrets auxquels ils s'appliquent. Ses concepts ne sont jamais définis une fois pour toute, mais demeurent ouverts et opérationnels, ce qui fonde selon Romain Descendre la réelle actualité de sa pensée.

Actualité éditoriale :

" L'oeuvre-vie d'Antonio Gramsci " de Romain Descendre et Jean-Claude Zancarini paraît aux éditions La Découverte