Violences policières : en fait, Mai 68 n'a pas été un tour de manège

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Violences policières : en fait, Mai 68 n'a pas été un tour de manège

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Le 6 mai 1968, lors d'une manifestation dans Paris qui fut aussi une bataille d'images.
Le 6 mai 1968, lors d'une manifestation dans Paris qui fut aussi une bataille d'images.
© Getty - Gamma-Rapho

Avec le retour des violences policières à la une des médias, un lieu commun sur Mai 68 regonfle ses voiles : face à la mobilisation étudiante puis à la grève générale, les forces de l'ordre auraient découvert la modération et un souci inédit des manifestants. Dans la réalité, ce fut plus compliqué.

Trois jours de congés, et des boucliers. Sortis essorés des journées de mai-juin 1968, les CRS avaient eu gain de cause. Arrivé au ministère de l’Intérieur le 31 mai 1968, très critique de son prédécesseur qu’il jugeait trop mou, Raymond Marcellin fera droit aux revendications des compagnies républicaines de sécurité, créées en 1944. C’est le même qui inventera la brigade des “voltigeurs”, l’ancêtre des Brav-M, désossées après la mort de Malik Oussekine en 1986, et réinventées en 2019 sous le premier quinquennat d'Emmanuel Macron. À présent que le dispositif du maintien de l’ordre les jours de manifestation compte parmi ses principales cartes une “Force d’appui rapide”, via cette compagnie “CRS-8”, basée dans l’Essonne auprès du RAID, et dotée d’équipements destinés à “forcer les barricades”, et à l’ambition tout terrain, on a oublié qu’hier les CRS ne chargeaient pas (encore). C’est une fois dotés de boucliers rallongés et surtout plus solides, à la place de ces petits boucliers ronds qu’on trouve au poing des agents de police de la bande dessinée des années 50, que la chorégraphie policière a durablement changé face à un cortège.

Ces nouveaux boucliers, qui couvrent le visage et protègent mieux le corps des CRS, ont en effet signifié que désormais, les forces de l’ordre seraient protégées. Dans la foulée de Mai 68, des visières allaient aussi être ajoutées aux casques, et cela était directement lié à la manière dont ce qu'on appelait "les événements" - comme la guerre d'Algérie -, avaient été vécus dans les rangs des policiers. Des témoignages avaient circulé, et des CRS avaient raconté par exemple avoir récupéré sur des chantiers de construction des plaques d’aluminium pour se protéger et pouvoir progresser dans les usines occupées. On lit ça par exemple dans le rapport d’un commandant affecté à l’évacuation des usines Peugeot à Sochaux : faute de boucliers, ses hommes avaient désossé les plaques d’aluminium d’un hangar à proximité.

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Sochaux, justement, comptera deux des sept morts de Mai 1968 : Pierre Beylot, 24 ans, et Henri Blanchet, 49 ans. Deux ouvriers parmi les 25 000 de ce centre névralgique de la production automobile en France qui avait débrayé, trois semaines plus tôt. Leur souvenir s’effritera rapidement, après la vague de soulèvement du printemps 1968, tandis que l’idée d’un événement pacifique s’installera. À mesure que les années, puis les décennies passeront, une certaine image de Mai 68 prendra en effet le pas sur les faits, la chronologie telle qu'elle s'est déroulée, et la sensibilité qui avait pu se faire jour. Le niveau de violence du moment, et la rugosité des affrontements, en sortiront minimisés. Avec l'image d'une révolte d'étudiants en mal d'aventure, puis carrément celle d'une kermesse de fils à papa chevelus, certes, mais qui n'avaient pas tombé la chemise (et à peine le cartable), c'est une représentation aspartame de Mai 68 qui s'est frayé un chemin, balayant au passage l'idée même qu'il y ait pu avoir des morts - et leurs noms. Et parce qu'il n'y en avait eu finalement que sept et pas davantage, on dira pour longtemps (mais un peu vite) que Mai 68 avait été un tournant dans la doctrine française de maintien de l'ordre. Mais parfois carrément que la police française avait fait sa révolution copernicienne cette année-là. Comme si, par exemple, le regain de répression policière enregistré dans les rues depuis les "gilets jaunes", tournait pour de bon le dos à un acquis de Mai 68.

Cette idée n'est pas totalement un contre-sens, sans être parfaitement juste pour autant : Maurice Grimaud, nommé préfet de police à Paris en janvier 1967, a alors beaucoup fait pour éviter une sortie de route à très grande échelle. Lui qui avait une formation littéraire, et ne s'était jamais vraiment remis de deux échecs à la porte de l'Ecole normale supérieure, incarnait bien un tournant. Il est surtout resté comme celui qui remplaça Maurice Papon à la tête des forces de police dans la capitale, l’homme de la répression des deux grandes manifestations anti-coloniales durant la guerre d’Algérie : le 17 octobre 1961, et Charonne, le 8 février 1962. Longtemps, seule cette seconde date fera vraiment scandale parce que ses neuf victimes étaient blanches et françaises - et toutes membres du Parti communiste à une seule exception.

Stratégie de la désescalade

Six ans après qu’on a tué ainsi, dans Paris en plein jour, des adhérents de la CGT qui étaient typographe, secrétaire, dessinateur aux PTT ou employée du journal L’Humanité, Mai 1968 n'est pas le bain de sang XXL que les vagues précédentes de répression auraient pu annoncer. Quelque chose avait changé et Grimaud incarnera pour la postérité cette stratégie d’évitement. Il faut dire que c'est lui qui a adressé, le 29 mai 1968, à chacune de ses ouailles, individuellement et par courrier, une lettre restée célèbre (que vous pourrez retrouver, en intégralité, à la fin de cet article). On peut la relire aujourd'hui pour comprendre ce qu’on entendait alors par désescalade en matière de violence. Le préfet Grimaud entamait son courrier par ces mots : "Je m'adresse aujourd'hui à toute la Maison : aux gardiens comme aux gradés, aux officiers comme aux patrons, et je veux leur parler d'un sujet que nous n'avons pas le droit de passer sous silence : c'est celui des excès dans l'emploi de la force. Si nous ne nous expliquons pas très clairement et très franchement sur ce point, nous gagnerons peut-être la bataille sur ce point, nous gagnerons peut-être la bataille dans la rue, mais nous perdrons quelque chose de beaucoup plus précieux et à quoi vous tenez comme moi : c'est notre réputation."

Après avoir affirmé que c'est "en témoin" et "solidaire" qu'il pourrait "dire la sauvagerie de certaines agressions qui vont du pavé lancé de plein fouet sur une troupe immobile, jusqu'au jet de produits chimiques destinés à aveugler ou à brûler gravement", Grimaud poursuivait : "Mais là où nous devons bien être tous d'accord, c'est que, passé le choc inévitable du contact avec des manifestants agressifs qu'il s'agit de repousser, les hommes d'ordre que vous êtes doivent aussitôt reprendre toute leur maîtrise. Frapper un manifestant tombé à terre, c'est se frapper soi-même en apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière. Il est encore plus grave de frapper des manifestants après arrestation et lorsqu'ils sont conduits dans des locaux de police pour y être interrogés."

Etudiants casqués lors d'une manifestation à Paris, le 8 mai 1968.
Etudiants casqués lors d'une manifestation à Paris, le 8 mai 1968.
© Getty - Gamma - Rapho

Tâche d'huile et guerre d'image

Pour autant, et pas seulement parce que les événements de mai-juin 1968 feront sept victimes, cet épisode ne fut pas l'innocent remake des bisounours sur les barricades. À bien des égards, c’est même l’intensification des violences policières qui a fait tache d'huile, à chaud dans l'événement, et permis à la révolte estudiantine et largement parisienne de dilater ses contours. La répression des étudiants, dans le Quartier latin, sera en effet si violente qu’une commission avait été constituée, dans les rangs du syndicat étudiant UNEF, pour la documenter. Dès juin 1968, donc au pas de course, un livre paraissait, au Seuil, dans la collection “Combats" de Claude Durand qui venait de traduire et éditer Cent ans de solitude de Garcia Marquez, et de publier une biographie de Che Guevara ou le Journal d’un guerillero.

Co-auteurs, en haut à droite sur la couverture blanche du Livre noir des journées de mai : l’UNEF et le SNE Sup. Au secret, les militants anonymes avaient enquêté tout au long du mois de mai. Avec le recul, les témoignages sont tellement convergents qu’ils en semblent monotones : ici, on a empêché la Croix-Rouge de porter secours à des manifestants ; là, de jeunes femmes racontent des violences sexistes et sexuelles ; ailleurs encore, des policiers ont pénétré avec perte et fracas dans des appartements du Quartier latin, traqué des manifestants dans les halls d’immeubles pour les tabasser, ou même jeté des grenades par la porte ouverte des cafés. C’est à cette époque, et alors que le pavé est encore chaud, que s’installe la polémique sur l’utilisation de gaz chimiques face aux manifestations.

Si les auteurs de ce Livre noir sont évidemment partie prenante au conflit qui oppose forces de l’ordre et manifestants, nassés à mesure qu’on interdit de grandes artères comme le boulevard Saint-Michel, ce travail d’archivage demeure une source précieuse pour raconter un Mai 68 plus fidèle, et surtout moins édulcoré - en particulier s’agissant de “la nuit des barricades” comme on appellera le 10 mai 1968. Produite par les intéressés, cette archive ouvre à un nouveau récit des événements, qui n'occulte pas ce que représente Maurice Grimaud... et néanmoins restitue la mesure de la réplique policière, et sa portée. Car très vite, la violence deviendra le nerf d’une guerre d’images, et d’une bataille d’opinion.

La suite du film nous apprend que c'est rapidement le gouvernement et le chef de l'Etat qui remporteront cette bataille de l'opinion. Mais on dit moins combien les forces policières, au ras du sol, et parfois sans grades prestigieux, ont participé à cette guerre d'image. Il en allait aussi de leur légitimité. Pas seulement à Paris : à La Rochelle, le préfet de Charente-Maritime prend l’initiative de faire circuler, à la toute fin du mois de mai et alors que les affrontements ne sont pas terminés, des camions avec des haut-parleurs qui invitent à cesser la grève, mais mettent aussi en garde contre le risque de guerre civile. Ces initiatives de contre-propagande au nom de l’autorité en péril se révéleront plutôt efficaces : un peu partout, en région, des Comités de défense de la République voient le jour et, à chaud, l’Élysée commence à recevoir des courriers de citoyens qui proposent leurs services et affirment qu’ils sont disponibles pour ramener l’ordre.

Si le préfet Grimaud rappelle toutes ses troupes à l’ordre en leur écrivant par exemple, c’est aussi que Mai - Juin 1968 est un moment complexe, où parfois plusieurs imaginaires et cultures politiques cohabitent dans le même camp. Et jusque dans les rangs des forces de l'ordre. Face aux cortèges qui négocient leur parcours avec les autorités, la police s’initie ici ou là à des techniques de désescalade, conformes aux instructions de leur chef. Mais a contrario, ces nouvelles mobilisations, sans défilé ni cortège, prennent aussi de court les forces de l’ordre, qui savent mal y répondre, et parfois répliquent à plus gros calibre. C’est dans cette brèche que le gros des violences de 1968, irréfutables mais tamisées par le temps, prendra place. Au point de fracturer l’institution policière, et de faire au ras du sol des milliers de blessés. Car les forces de l’ordre étaient loin d’être toutes acquises à cette euphémisation de la force qu’on date parfois de l’après-Mai 68 et qui, en réalité, avait déjà cours, avec l’arrivée de Maurice Grimaud.

Selon qui assurait dans les rues de Paris le maintien de l'ordre en 1968, comme ce jour de manifestation, le 4 mai, l'attitude policière se révèlera plus ou moins violente.
Selon qui assurait dans les rues de Paris le maintien de l'ordre en 1968, comme ce jour de manifestation, le 4 mai, l'attitude policière se révèlera plus ou moins violente.
© Getty - Gamma-Rapho

"Nestor, Nestor", hilares

Plonger dans les archives de la police et tenter de pénétrer dans les représentations ordinaires qui irriguent ces compagnies et ces brigades exclusivement masculines, comme l’ont fait par exemple le sociologue Lilian Mathieu ou le politiste  Fabien Jobard, c’est comprendre que plusieurs cultures policières s’affrontaient en fait. Tout le travail qu’effectuera l’historien Alain Dewerpe sur la répression des grandes manifestations pour l’indépendance de l’Algérie, et notamment Charonne, montre bien comment les techniques de maîtrise des foules sont innervées par un imaginaire colonial, et une façon de mater un certain type de mobilisations. C’est d’autant plus flagrant qu'en Mai 1968, pour assurer des renforts, la police municipale est rapidement appuyée par des gendarmes qui passent exceptionnellement sous les ordres d’un civil, ou par des compagnies de CRS, dont les recrues débarquent souvent de casernes éloignées, et qui connaissent peu les centres-villes. D’après Lilian Mathieu, il y avait dans la capitale, le 29 mai 1968, 3 500 CRS. Ce sont eux qui découvrent à Paris que les manifestants ont vite appris à limiter les effets des tirs de grenade en recouvrant l'impact ; eux aussi, à Lyon, dont se rient les étudiants, perchés sur les toits, qui crient “Nestor, Nestor !” Sachant très bien capter les fréquences radio de la police, les étudiants se moquaient de leurs noms de code comme de leur matériel rudimentaire.

C’est aussi face à l’ironie qui les montre démunis qu’au bas de l’échelle de commandement, et en dépit des appels au calme de Grimaud leur chef, des policiers redoublent de violence alors que 638 fonctionnaires de police sont hospitalisés entre mai et juin 1968, à Paris. Surpris par la motivation des manifestants, ils se sont repliés sur une culture policière, et un imaginaire commun, fédérateur - en plus du “bâton de défense” ou “bidule”, introduit dans la police quinze ans plus tôt sur décision unilatérale du préfet. Chez le politiste Olivier Fillieule, on découvre par exemple cet extrait d’archive, issu d’un rapport d’un commissaire principal qui montre comment, dans les rangs de la police, on a aussi cherché à s’auto-légitimer, en construisant le camp d’en face comme un ennemi crédible : “Les manifestants que nous avions en face de nous ne me paraissent qu’en petite partie provenir de milieux estudiantins. Il s’agit en majorité de groupes organisés pour le combat de rue encadrés par des personnes plus âgées. Ils sont extrêmement durs et mobiles et ne sont retenus par aucune considération morale et sociale. Leur politisation est certaine et la présence de drapeaux noirs anarchistes le confirme.”

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Mais ce qu’on sait moins, s’agissant de Mai 68 et des violences, c’est qu’il y eut par exemple davantage de violence à Paris qu’à Lyon aussi parce que la Sorbonne fut bouclée, fermée aux étudiants mobilisés, alors que l’accès à la fac n’avait pas été entravé de la même manière à Lyon. L’évacuation de la Sorbonne restera d’ailleurs précisément comme l’événement qui mettra le feu aux poudres dans la capitale. Ainsi, c'est parce que les étudiants ne furent pas autorisés à circuler comme bon leur semblait du fait de la fermeture de certains boulevards, et qu’ici ou là il se retrouvèrent nassés dans leur quartier et ses ruelles, que les affrontements ont franchi un palier d’intensité. Et c’est même parce que des violences policières ont été décrites dans les médias que la mobilisation fera tache d’huile. Sur les ondes non officielles d'Europe 1, des reporters affirmeront à l’antenne qu’il y a mort d’homme, avant même la première victime. Ce sera décisif : la surenchère violente achèvera de mobiliser les ouvriers et leurs syndicats.

Le 28 mai 1968, les étudiants sont de retour à la Sorbonne.
Le 28 mai 1968, les étudiants sont de retour à la Sorbonne.
© Getty - Sepia Times

Plus tard, après le 10 juin 1968 et ses deux morts lors de l’évacuation manu militari de l’usine Peugeot occupée par un gros millier d’ouvriers, c’est encore la vigueur de la répression policière qui solidarisera les moins zélés au mouvement : alors que le chercheur en sciences sociales Boris Gobille note qu’il pouvait y avoir, parmi les 25 000 salariés de l’usine automobile, des gens moins enclins au soulèvement depuis le début de la grève, le 20 mai, c’est finalement la violence des forces de l’ordre qui battra le rappel du côté des piquets, et agrégera à la cause des gens moins mobilisés. L’historien Xavier Vigna examinera même la répression sous l’angle du châtiment, estimant que bien souvent, en ce mois de juin 1968 et alors que L’Humanité annonce la reprise victorieuse du travail, les dernières évacuations par les forces de l’ordre se feront sous le signe de la punition : il s’agissait de châtier les fauteurs de troubles qui avaient renoué avec les premières occupations d’usine lors des grandes grèves de 1936. Aux CRS la défense de l’ordre usinier.

En 1995, dans un article important destiné à la revue Espace-Temps et trop méconnu, l’historienne Michelle Zancarini-Fournel mettait en évidence tout l’écart qu’il pouvait y avoir entre l’histoire de Mai 68 et sa mémoire. Et c’est précisément parce qu’un récit des événements aura été construit de manière euphémisée et édulcorée, qu’on a encore souvent tendance à conserver de cette mobilisation l’image d’un grand progrès dans le maintien de l’ordre. Il faut rouvrir 68, une histoire collective, le livre que l’historienne co-dirigeait avec Philippe Artières, et notamment lire la contribution qu’y signait Fabien Jobard sur l’usage des matraques et autres techniques de maintien de l’ordre à l’époque, pour prendre la mesure de ce que fut vraiment cet événement, une fois dépouillé de sa petite musique commémorative : davantage qu’un grand saut brutal dans la civilisation, plutôt une bataille rangée, qui eut ses morts, ses blessés, sa part de passages à l’acte, et aussi son préfet à la retenue historique.

Et voici la lettre du préfet Grimaud aux forces de police, in extenso et datée du 29 mai 1968 :

"Je m'adresse aujourd'hui à toute la Maison : aux gardiens comme aux gradés, aux officiers comme aux patrons, et je veux leur parler d'un sujet que nous n'avons pas le droit de passer sous silence : c'est celui des excès dans l'emploi de la force.
Si nous ne nous expliquons pas très clairement et très franchement sur ce point, nous gagnerons peut-être la bataille sur ce point, nous gagnerons peut-être la bataille dans la rue, mais nous perdrons quelque chose de beaucoup plus précieux et à quoi vous tenez comme moi : c'est notre réputation.
Je sais, pour en avoir parlé avec beaucoup d'entre vous, que, dans votre immense majorité, vous condamnez certaines méthodes. Je sais aussi, et vous le savez avec moi, que des faits se sont produits que personne ne peut accepter.
Bien entendu, il est déplorable que, trop souvent, la presse fasse le procès de la police en citant ces faits séparés de leur contexte et ne dise pas, dans le même temps, tout ce que la même police a subi d'outrages et de coups en gardant son calme et en faisant simplement son devoir.
Je suis allé toutes les fois que je l'ai pu au chevet de nos blessés, et c'est en témoin que je pourrais dire la sauvagerie de certaines agressions qui vont du pavé lancé de plein fouet sur une troupe immobile, jusqu'au jet de produits chimiques destinés à aveugler ou à brûler gravement.
Tout cela est tristement vrai et chacun de nous en a eu connaissance.
C'est pour cela que je comprends que lorsque des hommes ainsi assaillis pendant de longs moments reçoivent l'ordre de dégager la rue, leur action soit souvent violente. Mais là où nous devons bien être tous d'accord, c'est que, passé le choc inévitable du contact avec des manifestants agressifs qu'il s'agit de repousser, les hommes d'ordre que vous êtes doivent aussitôt reprendre toute leur maîtrise.
Frapper un manifestant tombé à terre, c'est se frapper soi-même en apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière. Il est encore plus grave de frapper des manifestants après arrestation et lorsqu'ils sont conduits dans des locaux de police pour y être interrogés.
Je sais que ce que je dis là sera mal interprété par certains, mais je sais que j'ai raison et qu'au fond de vous-mêmes vous le reconnaissez.
Si je parle ainsi, c'est parce que je suis solidaire de vous. Je l'ai dit déjà et je le répéterai : tout ce que fait la police parisienne me concerne et je ne me séparerai pas d'elle dans les responsabilités. C'est pour cela qu'il faut que nous soyons également tous solidaires dans l'application des directives que je rappelle aujourd'hui et dont dépend, j'en suis convaincu, l'avenir de la préfecture de police.
Dites-vous bien et répétez-le autour de vous : toutes les fois qu'une violence illégitime est commise contre un manifestant, ce sont des dizaines de ses camarades qui souhaitent le venger. Cette escalade n'a pas de limites.
Dites-vous aussi que lorsque vous donnez la preuve de votre sang-froid et de votre courage, ceux qui sont en face de vous sont obligés de vous admirer même s'ils ne le disent pas.
Nous nous souviendrons, pour terminer, qu'être policier n'est pas un métier comme les autres ; quand on l'a choisi, on en a accepté les dures exigences mais aussi la grandeur.
Je sais les épreuves que connaissent beaucoup d'entre vous. Je sais votre amertume devant les réflexions désobligeantes ou les brimades qui s'adressent à vous ou à votre famille, mais la seule façon de redresser cet état d'esprit déplorable d'une partie de la population, c'est de vous montrer constamment sous votre vrai visage et de faire une guerre impitoyable à tous ceux, heureusement très peu nombreux, qui par leurs actes inconsidérés accréditeraient précisément cette image déplaisante que l'on cherche à donner de nous.
Je vous redis toute ma confiance et toute mon admiration pour vous avoir vus à l'œuvre pendant vingt-cinq journées exceptionnelles, et je sais que les hommes de cœur que vous êtes me soutiendront totalement dans ce que j'entreprends et qui n'a d'autre but que de défendre la police dans son honneur et devant la Nation."