Le droit de pétition, un héritage de la Révolution française

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Le droit de pétition, un héritage de la Révolution française

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Gravure représentant des personnes signant une pétition adressée au Parlement, en Angleterre, XIXe siècle.
Gravure représentant des personnes signant une pétition adressée au Parlement, en Angleterre, XIXe siècle.
© Getty - Duncan 1890

La pétition en ligne pour dissoudre la Brav-M a été supprimée par le gouvernement malgré ses 260.000 signatures. Cette décision interroge sur l'utilité de l'un des rares outils de démocratie directe dont l'origine remonte à la Révolution française.

Depuis la création, en 2020, de la plateforme de l’Assemblée nationale destinée à accueillir les pétitions et à permettre aux citoyens d’exercer leur droit de pétition, elle était la seule à avoir franchi la barre des 100.000 signatures. La pétition demandant la dissolution de la Brav-M , la très contestée Brigade de répression de l’action violente motorisée, a été classée sans suite par les membres de la Commission des lois. La majorité a estimé que, malgré ses 263.000 signatures, la pétition visait à “décrédibiliser” les forces de l’ordre, mettant en avant sa formulation, cette dernière se terminant par la phrase “Stoppons le massacre”.

Les protestations de l’opposition, qui dénonçait les violences policières exercées par la Brav-M (l’unité fait l’objet de plusieurs enquêtes confiées à l’IGPN, l’instance chargée du contrôle de la police nationale), n’ont pas permis de maintenir la pétition : malgré le nombre record de signatures, le rapporteur de la Commission des lois, Eric Pouillat, a recommandé de la classer en dénonçant un “dévoiement” du droit de pétition.

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Un droit ancien

Rare outil de démocratie directe avec le vote et le Réferendum d’initiative citoyenne (RIC), le droit de pétition s’inscrit dans la longue histoire de la démocratie, et est censé permettre au citoyen de participer directement au gouvernement de la cité.

Si les premières "pétitions" apparaissent dès l’Antiquité, ces complaintes adressées aux autorités dans l’espoir d’engager une procédure relèvent alors plus souvent de la supplique. Au Ve siècle, le poète égyptien Dioscore d'Aphrodité adresse ainsi une "requête et supplique de vos très pitoyables serviteurs, les misérables petits propriétaires et habitants du très misérable village d’Aphrodité, qui dépend de la domus divina et de votre excellente Autorité”.

En réalité, le droit de pétition apparaît au Moyen Âge, en Angleterre. Dès 1215, la Magna Carta, la Grande Charte d’Angleterre, pose les premières bases de l’Etat de droit, et évoque implicitement la notion de pétition, “en précisant ‘qu’à personne Nous ne vendrons, refuserons ou retarderons, les droits à la justice’”, relève Marie de Cazals dans Les (r)évolutions du droit de pétition. Sous Édouard Ier (1239–1307), des pétitions sont ainsi présentées à la Couronne pour obtenir le redressement d’un tort. Ce n’est cependant qu’en 1689, dans La Déclaration des droits, que le droit de pétition apparaît et qu'il prend une dimension publique. Le texte consacre ainsi le “droit des sujets de présenter des pétitions au roi et que tout emprisonnement et poursuite à raison de ces pétitionnements sont illégaux”.

En France, la pétition n'a alors aucune existence, mais du bas Moyen Âge à la fin de l’Ancien régime, les cahiers de doléances permettent “d’accoutumer les Français à la délibération et à la rédaction collective des textes exprimant leurs vœux et leurs attentes politiques”, précise Yann-Arzel Durelle-Marc, maître de conférences en histoire du droit et des institutions, dans Nature et origines du droit de pétition (La Revue administrative, 2008). De la même façon, les placets de l’Ancien Régime, des écrits extrêmement révérencieux adressés au roi ou à un ministre afin de se voir accorder une grâce ou une faveur, “peuvent être considérés comme une équivalence grossière des pétitions anglaises et préfigurer ce qui deviendra plus tard le droit de pétition”, estime de son côté Marie de Cazals.

La première pétition française apparaît très peu de temps avant la Révolution française. Le 8 décembre 1788, une “Pétition des citoyens domiciliés à Paris”, marquant la première utilisation de ce terme dans le cadre d’un document à visée politique, est publiée. On la doit à l'inventeur de la guillotine, le docteur Joseph Ignace Guillotin, ce qui lui vaut d'être surnommée “Pétition Guillotin” et elle réclame au roi le doublement des voix du Tiers-État aux États Généraux. Déposée chez les notaires de la capitale afin d’être signée par les Parisiens, elle ne rencontrera pas le succès escompté.

Révolution et pétition : “le droit imprescriptible de tout homme en société

En France, le droit de pétition sera finalement une création de la Révolution : véritable expression de la volonté des citoyens à participer à la vie publique, il revêt alors une importance centrale. La pétition ne consiste en effet plus en une plainte ni une réclamation, mais en “un droit politique qui appelle une participation des citoyens à la sphère publique”, précise Marie de Cazals. “Dans un gouvernement despotique on supplie, on se plaint rarement, car il est dangereux de se plaindre. Dans un gouvernement libre on ne supplie jamais, on se plaint hautement quand on se croit lésé dans l’exercice de ses droits”, commentera en 1791 le député Isaac Le Chapelier.

Le droit de pétition est finalement adopté au sortir de la Révolution française, d’abord par un décret, le 14 décembre 1789, qui établit que “les citoyens actifs ont le droit de se réunir [...] pour rédiger des adresses et des pétitions soit au corps municipal, soit aux administrations des départements et des districts, soit au corps législatif, soit au roi”. Puis à l’aide d’une loi, en mai 1791, qui statue que “le droit de pétition appartient à tout individu et ne peut être délégué”.

Maximilien de Robespierre, dans son discours du 11 mai 1791 précédant l’adoption de la loi, décrit le droit de pétition comme le “droit imprescriptible de tout homme en société. Les Français en jouissaient avant que vous fussiez assemblés ; les despotes les plus absolus n’ont jamais contesté formellement ce droit à ceux qu’ils appelaient leurs sujets. Plus un homme est faible et malheureux, plus il a le droit de pétition… ; c’est le droit imprescriptible de tout être intelligent et sensible”.

Un droit empêché et peu usité

Paradoxalement, si le droit de pétition a permis d’ouvrir la voie à la démocratisation de la société, il va rapidement tomber en désuétude… Cette révolution juridique est en effet crainte et perçue comme un danger : elle donnerait trop de pouvoir au peuple. Dès la proclamation du premier Empire, en 1804, des restrictions sont imposées, limitant le droit de pétition au seul règlement de litiges individuels avec l’administration.

En janvier 1820, le baron Pasquier, ministre d’État, assurait pourtant avec emphase : “Tant qu'une pétition n'est que l'expression d'une doléance, d'un déni de justice, d'une infraction aux lois, elle est sacrée à nos yeux. Elle nous révèle les souffrances d'un de nos concitoyens. [...] Ce n'est qu'un intérêt privé, mais sa plainte a l'accent de la vérité. [...] En examinant avec soin, nous remplissons des devoirs aussi doux que sacrés. Nous accueillons le malheur, nous protégeons la faiblesse contre la force. Nous devenons la sauvegarde et l'appui de l'orphelin de la loi.” Une véritable déclaration d’amour à l’égard de la pétition, que Benoît Agnès, chercheur associé au Centre d'histoire du XIXe siècle (Panthéon-Sorbonne / Sorbonne Université), analyse dans l’émission Le Cours de l’Histoire. Il rappelait alors que le baron Pasquier répondait à ses contradicteurs, et qu’il appartenait lui-même aux autorités politiques désireuses de revenir à l’avant 1789 : “La pétition qui est tolérée par les autorités politiques de l’époque, qui sont réactionnaires, c’est la pétition personnelle, individuelle. On peut voir en creux la charge polémique de cette assertion de Pasquier : c’est en réponse au flot montant de pétitions collectives, politiques, que le baron se fait le défenseur de l’arrière-garde pétitionnaire. 766 pétitions étaient arrivées sur la table du président ou sur la table de la Chambre des députés. Pourquoi ? Parce qu’il y avait un grand danger, à ce moment-là, que la loi électorale de 1817 soit modifiée dans un sens restrictif, avec beaucoup moins d'électeurs censitaires. C’est d’ailleurs ce qui va être le cas dans les mois suivants, puisque la loi du double vote va être adoptée : elle va créer deux niveaux de collèges électoraux, les collèges d'arrondissement et les collèges départementaux, avec des personnes qui pourront voter deux fois, parce qu'elles seront plus riches.”

Le Cours de l'histoire
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Preuve du peu de cas fait du droit de pétition, qui avait été sanctuarisé dès le 24 juin 1793 dans la Constitution, adossé à l’article 32 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (“le droit de présenter des pétitions aux dépositaires de l’autorité publique ne peut en aucun cas être interdit, suspendu ni limité” ), celui-ci perd son rang constitutionnel en 1875.

“Le déclin du droit de pétition ne s’explique pas uniquement par ces phases de rigueur puisqu’il est de nouveau reconnu de manière souple à partir de la IIIᵉ République, bien que cela ne soit pas fait dans le texte constitutionnel même, ce qui sur le plan symbolique est assez révélateur”, estime Perrine Peuvrot dans Le droit de pétition : mutations d’un instrument démocratique. “En réalité, il s’avère que la désaffection du public à son égard tient davantage à la perte d’importance de sa fonction, en raison de la concurrence grandissante dont il fait l’objet.” En effet, le développement du parlementarisme et des recours devant les juridictions administratives, l'émergence de la presse, ou encore la reconnaissance de libertés fondamentales telles que la liberté d’expression, ne vont pas tarder à paraître plus efficaces que la procédure difficile de la pétition.

“L’idée selon laquelle les citoyens disposant de moyens d’action plus efficaces se seraient d’eux-mêmes détournés du droit de pétition n’est pas probante”, nuance pourtant Marie de Cazals dans Les (r)évolutions du droit de pétition. “Ce serait plutôt le manque de certitude quant à son aboutissement qui a fait rechercher aux citoyens d’autres voies de satisfaction”.

Le droit de pétition, à peine sorti de la Révolution, a donc été mis à mal et continuera à l’être tout au long du XIXe siècle. “C’est dans la manière de se comporter des politiques et des parlementaires vis-à-vis du droit de pétition que la cause de son déclin doit être recherchée plutôt que dans une attitude délibérée des citoyens”, précise Marie de Cazals. En 1900, Jules Perrier, auteur d’un ouvrage intitulé Du droit de pétition aux Chambres, fait ainsi remarquer que le droit de pétition tient plus de la coquille vide que d’un véritable droit, et que là où il devait “être l’arme qui défendrait toutes les libertés, ce n’est plus guère qu’un hochet, un de ces droits que nous sommes très fiers de posséder mais que nous n’exerçons pas parce que nous savons qu’il est frappé d’impuissance”.

Un droit retrouvé sous la Ve République ?

Le constat dressé par Jules Perrier au début des années 1900 va rester valable tout au long du XXe siècle, le droit de pétition continuant d’être inusité sous la Ve République. Pourtant réinstauré par ordonnance dans la Constitution française en 1958, il va rencontrer peu de succès. " Sous la première législature, l’Assemblée nationale ne reçoit ainsi que 172 pétitions, 244 sous la seconde législature et 82 sous la troisième. Si les chiffres augmentent légèrement entre 1968 et 1986, depuis les statistiques sont à nouveau très faibles” relève Perrine Preuvot dans Le droit de pétition : mutations d’un instrument démocratique. L'intérêt pour ce mode d'expression est d’autant plus modeste que la totalité des 36 pétitions déposées entre 2002 et 2007 ont été examinées puis classées.

Depuis 2003, le droit de pétition a pourtant été revisité dans la Constitution française. La révision de l’article 72-1 le limite aux collectivités locales. Il dépend donc des élus locaux, que rien ne contraint à lui donner suite. Une seconde révision prend place en juillet 2008 et ajoute le droit de pétition parmi les modalités de saisine du Conseil économique, social et environnemental (CESE). Mais dans ces deux cas, il n’est pas étudié au Parlement. Certaines pétitions, dont les chiffres ne peuvent être ignorés, parviennent à amener le débat sur le devant de la scène politique : c’est le cas de la pétition ”Loi travail : non, merci !”, qui obtient un peu plus d’1,3 million de signatures en 2016, ou encore de celle intitulée " Le Casse du siècle", créée pour dénoncer l’inaction climatique du gouvernement, et qui obtient près de 2 millions de signatures.

Le fait que ces revendications n'aient pas abouti ne rend pas le droit de pétition inefficace : il a permis d'imposer une question, expliquait Yann-Arzel Durelle-Marc à Télérama. C'est là son rôle premier, même si la réponse est négative. Sa fonction la plus fondamentale est de porter les sujets, plus encore que de peser sur les décisions.” Pour autant, les pétitions n’aboutissant jamais, il est de plus en plus difficile de justifier de leur intérêt auprès des citoyens.

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C’est probablement en partie ce qui a inspiré Emmanuel Macron qui, en juillet 2017, devant le Congrès réuni à Versailles, affirme aux parlementaires son intention de revaloriser le droit de pétition : "Il en va de la représentativité de notre démocratie. Une représentativité qui ne vivrait pas seulement une fois tous les cinq ans mais au quotidien, dans l'action du législateur”.

Dont acte : depuis 2017, le CESE avait labellisé trois plateformes de pétitions en ligne (Avaaz, Change.org et MesOpinions.com). En 2020, c’est au tour du Sénat et de l’Assemblée nationale de se doter de plateformes numériques permettant aux citoyens de signer des pétitions. Surtout, celles qui atteignent plus de 100.000 signatures sont désormais assurées d’être mises en avant et celles qui dépassent les 500.000 pétitionnaires - s'ils sont domiciliés dans au moins 30 départements ou collectivités d'Outre-mer - peuvent être inscrites à l’ordre du jour et débattues en séance publique. Le but admis est alors de ressusciter un outil démocratique qui, depuis la Révolution française, n’a eu de cesse de perdre de sa superbe.

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Cinq ans après les déclarations du président de la République pourtant, seule la pétition demandant la dissolution de la Brav-M, a franchi la barre des 100.000 signatures. En la classant alors qu’elle avait accumulé plus de 260.000 signatures en l’espace de deux semaines, et alors qu’elle devait se poursuivre jusqu’au 15 juin 2023, il n'est pas certain que les concitoyens aient le sentiment que l’expression directe de leur avis "soit mieux prise en compte". Pire, en infligeant ce revers au droit de pétition, qui n'oblige à rien d'autre qu'au débat, ce dernier semble avoir été relégué, une fois encore, au statut de droit diminué, "frappé d'impuissance".