Luttes sociales, écologie, féminisme : une jeunesse radicale ?

Des jeunes marchent le 10 décembre 2019 à Paris, dans le cadre du sixième jour de grève contre les plans de réforme des retraites du gouvernement ©AFP
Des jeunes marchent le 10 décembre 2019 à Paris, dans le cadre du sixième jour de grève contre les plans de réforme des retraites du gouvernement ©AFP
Des jeunes marchent le 10 décembre 2019 à Paris, dans le cadre du sixième jour de grève contre les plans de réforme des retraites du gouvernement ©AFP
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Une partie de la jeunesse française semble aujourd’hui se positionner en rupture avec les institutions et les modes traditionnels de militantisme dans le cadre de lutte sociales, écologistes ou féministes : Quelles formes prennent ces nouveaux courants de pensées et de mobilisations ?

Avec
  • Ariane Anemoyanis Étudiante, militante à Révolution permanente et au Poing Levé
  • Romain Jeanticou Journaliste reporter à Télérama
  • Vincent Tiberj Sociologue, professeur d’université à Sciences Po Bordeaux

Le 10 mai, Adèle Haenel a publié dans Télérama  sa lettre d'adieu au cinéma. Rejoignant le corps du mouvement Révolution permanente, elle écrit : "J'ai décidé de politiser mon arrêt du cinéma pour dénoncer la complaisance généralisée du métier vis-à-vis des agresseurs sexuels et plus généralement la manière dont ce milieu collabore à l’ordre mortifère écocide raciste du monde"

La lettre d'Adèle Haenel, un appel au militantisme

Pour Ariane Anemoyanis, "ce qui est intéressant dans cette lettre, c'est qu'elle exprime à la fois un rejet important qui fait écho à celui qu'on peut observer dans toute une partie de la jeunesse, de ne pas vouloir participer à la reproduction d'un système capitaliste patriarcal. Mais elle va plus loin que cela. Ce n'est pas juste une rupture idéologique. C'est aussi une invitation au militantisme. Révolution permanente*, c'est une organisation qui est née de l'idée que, face à la situation qu'on est en train de vivre, il y a une nécessité d'avoir une organisation de combat révolutionnaire qui aille au bout de ses aspirations, sur les questions d'exploitation, de travail, de précarité, mais aussi sur les questions d'oppression, de féminisme, d'antiracisme et d'écologie. .Je me vis comme radicale et je revendique cette radicalité*", assure l'étudiante et militante. Pour elle, il s'agit avant tout d'une "position de rupture avec le système actuel. La volonté et la détermination de le changer et de s'engager pour le faire.

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Une jeunesse radicale, en rupture avec les structures politiques traditionnelles

"Aujourd'hui, dans la séquence de lutte des classes inédite, de crise du régime, forcément, la jeunesse montre sa place et le rôle qu'elle peut jouer aux côtés des travailleurs. Révolution permanente se revendique de cette tradition du mouvement étudiant de Mai 68, notamment sur la question de l'alliance avec les travailleurs, un cocktail explosif qui a fait ses preuves, explique Ariane Anemoyanis. S'allier avec la force de frappe des travailleurs qui, de fait, par leur place dans la société, ont un pouvoir de blocage de l'économie, nous permet, y compris en tant qu'étudiants, de pouvoir aller à un niveau de rapports de force que, seuls, on ne pourrait pas atteindre."

"On a beaucoup dit, et à raison, que les structures politiques traditionnelles, les partis, les syndicats avaient perdu en influence, rappelle Romain Jeanticou. Et c'est vrai que c'était une dynamique assez importante dans les mouvements de la jeunesse. Ils cherchent plus de flexibilité dans leur engagement que dans les structures traditionnelles, qui structuraient beaucoup la vie politique dans les années 1960-1970. Aujourd'hui, ce mouvement social est quand même largement encadré par les organisations syndicales. Malgré leur perte d'adhérents, les syndicats ont gardé une capacité de mobilisation en France qui est assez considérable. On a vu que c'était un des plus grands mouvements sociaux depuis plusieurs décennies. Il y a eu une agrégation de mouvements contestataires différents qui se sont ajoutés aux organisations syndicales."

Mixité sociale au sein des mouvements : tous égaux dans la lutte ?

Pour Vincent Tiberj, "cette jeunesse mobilisée, qui désormais fréquente le supérieur, 50 % d'entre elle est désormais relativement bien informée, en tout cas elle a des moyens de s'informer. Mais, rappelle-t-il, il faut bien avoir en tête qu'il y a aussi une jeunesse d'origine populaire, la jeunesse qui n'a pas forcément eu le bac, la jeunesse qui se retrouve aujourd'hui sur le marché du travail. Celle-ci est beaucoup plus déconnectée. En termes d'inégalités, c'est probablement beaucoup plus grave qu'auparavant, observe le sociologue. Un ouvrier du baby-boom reste un ouvrier qui rentre dans des usines où il y a des syndicats qui vont lui permettre de se former et donc de prendre le pli de la participation protestataire et électorale. Mais les jeunes dont on parle sont ceux qui se retrouvent dans des situations de forte précarité et d'isolement sur le marché du travail, sur le lieu du travail, face parfois à ce qu'on appelle des zones blanches syndicales. On ne les entend donc pas alors même qu'ils sont les premiers à souffrir justement des dégradations du monde du travail."

Ariane Anemoyanis de son côté, conteste que l'idée selon laquelle la "jeunesse travailleuse, certes précaire, soit en dehors des phénomènes politiques. C'est plus difficile pour elle de se mobiliser. Il faut donc mettre en place un plan de bataille, une stratégie, qui vaille la peine de perdre du salaire et c'est tout l'enjeu d'avoir des étudiants qui apportent des caisses de grève pour aider. Aujourd'hui un étudiant sur deux travaille. Il y a une porosité de fait, objective entre le mouvement étudiant, sa tradition d'auto-organisation, et le monde du travail précaire", conclut-elle.

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