L'économie selon Gustave Courbet : épisode • 65 du podcast L'économie selon...

Les paysans de Flagey, Gustave Courbet (1819-1877) ©Getty - DEA / G. DAGLI ORTI / Contributeur
Les paysans de Flagey, Gustave Courbet (1819-1877) ©Getty - DEA / G. DAGLI ORTI / Contributeur
Les paysans de Flagey, Gustave Courbet (1819-1877) ©Getty - DEA / G. DAGLI ORTI / Contributeur
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Dans quelle mesure le réalisme de Courbet résonne-t-il avec le souffle démocratique du XIXe siècle, qui revendique une égalité politique et économique ?

Avec
  • Dominique de Font-Réaulx Conservateur général au Musée du Louvre, présidente du centre d’art le Point du Jour à Cherbourg et rédactrice en chef de la Revue Histoire de l'Art.
  • Christophe Charle Professeur émérite d'histoire contemporaine à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Chantre du réalisme pictural, Gustave Courbet traverse les troubles du XIXe siècle, de la révolution de 1848 à la Commune de Paris. Jeune peintre franc-comtois sûr de son talent, il passe sa carrière à essayer de s’imposer dans un monde artistique qu’il juge trop académique et pas assez en prise avec les réalités sociales de son époque, notamment le monde rural et les classes laborieuses.

Un franc-comtois à Paris : un fils de notable se fait artiste

Gustave Courbet naît le 10 juin 1819 à Ornans (dans le Doubs) dans une famille aisée, à laquelle il reste toute sa vie très attachée, en témoignent de nombreux portraits des siens, parfois même au milieu de ses grandes compositions. Courbet est le fils d’un riche propriétaire terrien (suffisamment riche pour devenir électeur au suffrage censitaire dans les années 30) : il possède une grande ferme et des terres dans le village de Flagey, où il pratique l'élevage et l'agriculture. Dominique de Font Réaulx ajoute "il restera très fidèle à sa terre natale toute sa vie. Il y retournera régulièrement même après son installation à Paris en 1839, notamment pour y passer les automnes et les hivers, pour y pêcher et y chasser. Il est aussi très proche sa famille, il entretient une relation un peu complexe avec son père, ils n’ont qu’à peine 20 ans d’écart, il est l'aîné de quatre sœurs et devient le fils choyé."

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"Il arrive à Paris en 1839 pour suivre des études de droit qu'il abandonne assez rapidement pour se former au métier de peintre. Il avait déjà pris des cours de dessin à Besançon, mais c'est surtout le musée du Louvre qui devient son lieu d'apprentissage, c'est un lieu libre, il y voit notamment la peinture de Titien ou de Rembrandt. Il est persuadé, depuis qu'il a 16 ans, qu'il deviendra lui aussi un grand peintre. Courbet est admis pour la première fois en 1844 au Salon de l’Académie des Beaux-Arts, avec l’Autoportrait au chien noir, et déjà, il agite le scandale. Il mène une vie de bohème dans le quartier latin, il rencontre des artistes et des écrivains comme Alexandre Schanne, Henry Murger et Baudelaire, il appartient vraiment à ce monde-là, tout en restant le plus riche d'entre eux, ses parents continuent à l'aider financièrement".

Même s’il fréquente des cercles politisés à gauche et les artistes engagés, Courbet ne participe pas directement aux troubles de 1848. Il s'inscrit dans le mouvement réaliste, avec cette idée que le réalisme c'est l'expression artistique propre à une société démocratique Christophe Charle nous explique "en effet, tout le monde doit être à égalité devant l'art, c'est le principe de la révolution de 1848. Tout le monde doit être électeur, tout le monde est à égalité, il n'y a plus de hiérarchie entre ceux qui votent et ceux qui ne votent pas, entre les propriétaires et les non-propriétaires. Il y a aussi l'idée que grâce à cette nouvelle situation, l'artiste sera plus libre, il faut se rappeler qu'on est encore à l'époque dans un système où l'art est très encadré par l'Etat. C'est l'Etat qui organise la formation des artistes, Courbet a d'ailleurs refusé cette formation en ne se présentant pas à l'école des Beaux-Arts. C'est l'Etat qui organise les expositions pour montrer les œuvres les plus intéressantes d'une année et qui ensuite décerne des prix, et créé ainsi une hiérarchie entre les artistes. Courbet est contre tout cela, il veut que tout le monde soit à égalité, il a une vision démocratique de l'art".

Le temps des manifestes (1849 - 1855) : politiser le réalisme

C’est à partir du Salon de 1849 que la carrière de Courbet comme grand peintre réaliste se lance vraiment et qu’il entame sa période scandaleuse, qui va lui procurer une large reconnaissance. La présentation d’Un enterrement à Ornans au Salon de 1850-51 montre ainsi les ambitions de Courbet, Dominique de Font Réaulx nous le décrit "c'est un tableau immense, trois mètres de haut et sept mètres de long, c'est vraiment la taille de la peinture d'histoire. C'est un tableau assez sombre, le ciel est très gris et il y a des falaises en arrière-plan, il se passe dans le nouveau cimetière d'Ornans. Il y a un long cortège de personnes et au premier plan il y a la fosse, vide, dans laquelle le cercueil va être déposé. Il y a le curé, les bedeaux et un crucifix, seule image du Christ, et un chien juste à côté de la fosse, ce qui a fait scandale. Ce tableau rompt avec tous les usages de la peinture académique. Il faut se rappeler que l'enjeu de l'esthétique au XIXe est très important, c'est à la fois un rôle politique car il est tenu par les institutions de l'Etat mais aussi un rôle moral. Et là, Courbet propose un tableau d'histoire, pour représenter un enterrement, à Ornans, alors que personne ne connaît cette localité à Paris, et on ne sait même pas qui est enterré. Le sujet est donc scandaleux, mais aussi le traitement car les personnes sont représentées telles qu'elles sont, avec leurs défauts physiques, avec les trognes des bedeaux. Le scandale est d'autant plus grand que tout le monde comprend que c'est un tableau de qualité".

Christophe Charle ajoute "normalement dans les tableaux d'histoire on met en scène des grands personnages, des scènes héroïques, des batailles, le sacre de Napoléon, des événements importants... là c'est un évènement sans importance, on ne sait même pas de quoi il s'agit, et qui met au premier plan des personnes sans importance. Ça renverse complètement les hiérarchies symboliques et ça va dans le sens de ce mouvement démocratique de 1848. Mais comme on est déjà dans une phase où cette révolution de 1848 est remise en cause, une majorité conservatrice a été élue à l'Assemblée législative et elle commence déjà a détricoté les réformes qui avaient été lancées par les Républicains, le mouvement démocratique est sur la défensive et Courbet essaye de maintenir cet idéal démocratique".

Pour aller plus loin

  • Laurence des Cars, Dominique de Fond-Réaulx : Gustave Courbet. Album de l'exposition (RMN-Grand-Palais, 2007)
  • Christophe Charle : Discordance des temps; Une brève histoire de la modernité (Dunod, 2022)
  • Christophe Charle : Histoire sociale de la France au XIXe siècle (Points, 2015)
L'Invité(e) des Matins d'été
16 min

Références sonores

  • Extrait du film de Romain Goupil “Courbet, les origines de son monde” Arte, 2007
  • Extrait du film Madame Bovary, réalisé par Jean Renoir, 1933
  • Extrait de Gustave Courbet et la colonne Vendôme, une fiction de Camille Azaïs, réalisée par Christophe Hocké, 7 juin 2020

Références musicales

  • Hector Berlioz : Symphonie fantastique « Marche au supplice »

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