La servitude : épisode • 1/2 du podcast Butler, majordome, servante : des domestiques au service des ultra-riches

Hotel staff waiting at attention ©Getty
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Domestiques au service des plus fortunés, Marc et Damien relatent leur quotidien dans un monde qui n'est pas le leur. Au micro d'Antoine Guirimand, racontent l'emprise de leur métier sur leur vie privée.

Marc, quarante-neuf ans, est majordome pour des personnes dites ultra-riches, depuis dix-sept ans. "Je m'occupe de personnes principalement millionnaires ou milliardaires. C'est une vocation qui m'est venue tout petit. J'ai toujours été fasciné par la couronne anglaise..."

"Ma première mission était au Portugal avec un couple de personnes qui voulaient ce qu'on appelle un gentleman Friday, c'est-à-dire le Mary Poppins moderne version masculine."

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"Lors des voyages, j'avais en moyenne cinquante bagages qui faisaient 32 kilos, voire plus, à transporter et à gérer. Je louais des camions pour aller d'un hôtel à un autre avec toutes les affaires. Dans les hôtels, il y avait une logistique très compliquée et absolument atroce. Il fallait avoir le nombre de cintres et de couverts demandés, et mon patron ne voulait boire que dans des tasses préalablement lavées par moi."

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Rapidement, Marc passe de travelling majordome à majordome principal, pour finalement devenir 'régisseur de propriété'. Il s'occupe alors à plein temps des dépenses de son patron, de l'organisation de la propriété etc. "La surface totale de la maison, était de 12 000 mètres carrés, sur un terrain d'à peu près une vingtaine d'hectares. Il y avait également un autre palace qui faisait 6000 mètres carrés. Il y avait cent cinquante personnes qui travaillaient au sein des propriétés, beaucoup d'Indiens et de Philippins. Moi, je gérais les cent cinquante domestiques, c'était comme une petite entreprise à moi-même."

Marc : "Elle m'a donné 100 € pour acheter de la lessive."

"Sur mon contrat de majordome, il était stipulé que je devais être célibataire, sans enfant et sans attache. On est un simple servant, sans dire esclave, à la merci de son patron."

"En huit ans, j'ai dû prendre cinq mois de vacances, en comptant mes jours off, par semaine."

"Mon patron et ses enfants n'avaient pas la même notion du monde et de l'argent que les gens normaux. Un jour, je devais aller acheter de la lessive, la fille de mon patron m'a donné 100€ en me disant : 'J'espère que c'est assez... '"

Marc arrête finalement de travailler pour son patron lorsqu'il se fait licencier dans des conditions douteuses...  "L'histoire s'est terminée lorsqu'un membre de ma famille a eu un problème de santé assez lourd. J'ai pris des vacances pour pouvoir me rendre à son chevet, mon patron l'a mal pris et a simplement décidé de me licencier, du jour au lendemain."

Damien : "Au château, j'étais habillé en femme."

Damien, trente-cinq ans, a été domestique lorsqu'il était jeune. "J'avais besoin de travailler parce que j'avais arrêté mes études. Il était indiqué sur une annonce : 'Recherche une domestique.' Je me suis présenté pour faire l'entretien, sans faire attention à la formulation. J'imaginais simplement faire du ménage, et éventuellement m'occuper des extérieurs. J'imaginais être l'homme à tout faire..."

Damien est alors engagé par une comtesse vivant dans un château immense, et employant plusieurs domestiques et gouvernantes. "Elle avait 45 ans et des enfants. Elle m'a dit qu'elle recherchait une domestique, c'est-à-dire un poste de bonne à tout faire, mais qu'elle n'avait jamais eu un homme pour ce travail. Elle m'a donc expliqué qu'il faudrait que je m'adapte. Le premier jour de travail, j'ai vite été mis dans le bain, puisqu'elle m'a rebaptisé Murielle. En réalité, le changement de prénom était systématique pour les domestiques. Il s'agissait des prénoms des bonnes de plusieurs générations qui avaient été là avant moi : lorsqu'il y en a une qui part ou qui décède, on rebaptise la nouvelle par son prénom."

"Sur le coup, je me suis demandé si je restais travailler dans cet endroit, et puis j'ai pensé à l'argent que j'allais pouvoir mettre de côté. J'imaginais que c'était juste une pièce de théâtre et que je n'allais rester que quelques mois."

Damien découvre par la suite l'uniforme féminin qu'il va devoir porter. "Il s'agissait d'une jupe culotte avec un chemisier blanc et un gilet bleu marine. Puis j'ai découvert le port de la couche. On m'a déposé une couche sur le lit en m'affirmant que j'allais devoir porter cette protection pour l'essayage des uniformes. Je me suis tout de suite dit que c'était un test, pour voir si j'étais prêt à accepter n'importe quoi. Sans réfléchir, j'ai accepté. C'est également à ce moment que j'ai eu mes premiers dessous féminins. Je devais porter un soutien-gorge que je devais rembourrer pour avoir une poitrine. Généralement, je mettais deux paires de chaussettes pour ressembler à une femme. Tout ça était à chaque fois très humiliant. Dans le château, j'étais forcément habillé en femme."

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Au sein du château où Damien est employé, il s'occupe des courses, de l'entretien de l'argenterie, du parquet et du ménage de l'intégralité de la propriété. "C'est lorsque l'on fait le ménage toute la journée qu'on garde la couche. Les domestiques, nous n'avions pas le droit d'utiliser les toilettes de nos maîtres, donc lorsque nous avions une envie, il fallait traverser tout le château et monter dans nos chambres, ce qui était trop long pour eux. Ils voyaient ça comme une perte de temps, c'est pour cette raison qu'elle nous faisait porter des couches. Au début, il était hors de question que je l'utilise, et puis au bout d'un moment, on est forcément obligé. C'est une sensation qu'on n'oublie pas la première fois qu'on le fait. C'est une humiliation terrible."

"Comme j'étais un homme, j'étais mieux payé que les autres domestiques femmes. Je gagnais environ 5 000 €." Damien

Damien raconte que lorsqu'il était employé au sein du château, sa patronne lui faisait régulièrement des cadeaux. "On pouvait partir une semaine tout frais payés en Égypte, ou aux Bahamas, dans des endroits où je ne serai jamais allé sans cet argent."

Damien a été domestique auprès de la comtesse pendant deux ans et demi. "J'ai pu placer beaucoup d'argent pendant ce temps parce que j'étais nourri, logé, blanchi. Je ne payais rien, mon salaire était comme mon argent de poche. Aujourd'hui, je suis marié et j'ai un enfant, mais personne n'est au courant de mon histoire à part ma femme. C'est notre petit secret."

  • Reportage : Antoine Guirimand
  • Réalisation : Somaya Dabbech

Merci à Alizée Delpierre, Agathe Ranc, Emmanuel, Hôtel du rond point des Champs Elysées, Hôtel Verlaine, Mathilde Racle (FB St Etienne Loire), Adrien Nouvel (FB St Etienne Loire) et France Bleu Saint Etienne Loire.

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Pour aller plus loin :

Musique de fin : "No Madame" par Calypso Rose

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