L’économie selon Sergueï Eisenstein : épisode • 66 du podcast L'économie selon...

Le réalisateur Sergueï Eisenstein, en 1926 ©Getty - Keystone-France / Contributeur
Le réalisateur Sergueï Eisenstein, en 1926 ©Getty - Keystone-France / Contributeur
Le réalisateur Sergueï Eisenstein, en 1926 ©Getty - Keystone-France / Contributeur
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De "La Grève" au "Cuirassé Potemkine", en passant par "Octobre", Sergueï Eisenstein célèbre le prolétariat et les bouleversements soviétiques de l'économie russe au début du XXᵉ siècle. Réalisateur d'avant-garde, il est aussi le cinéaste de la propagande.

Avec
  • Ada Ackerman Chargée de recherche au CNRS, commissaire d'expositions
  • Alexandre Sumpf Maître de conférences en histoire contemporaine à l'Université de Strasbourg, spécialiste de la Russie

Alors que Lénine, leader de la Révolution bolchévique d’octobre 1917, définit le cinéma comme l’art le plus important, le réalisateur Sergueï Eisenstein fait figure de cinéaste soviétique en chef. Chargé à la fois d’éduquer les masses par des films de propagande mettant en valeur les réalisations économiques et politique du pouvoir bolchévique et de glorifier le nouveau régime soviétique (qui, après la révolution de 1917, des années de guerre civile, voit réellement le jour avec la naissance de l’URSS en 1922), Sergueï Eisenstein fonde sa carrière de cinéaste sur des ambitions politiques et révolutionnaires.

Sergueï Eisenstein, cinéaste avant-gardiste, témoin de la montée du bolchévisme et de la naissance du prolétariat

"On présente souvent Eisenstein comme le cinéaste de la Révolution, mais c’est en réalité un peu plus complexe", explique Ada Ackerman. "Car ce qui l’intéresse surtout à ce moment-là, c'est le théâtre, contrairement à ce que l’on pourrait imaginer : la Révolution lui permet d’embrasser l’art et l’art du théâtre de prime abord. C’est par la suite que ses convictions révolutionnaires vont s’affirmer." Notamment avec son premier long métrage La Grève, sorti en 1924, mettant en scène une grève dans une usine tsariste en 1912, et dans lequel il manifeste ostensiblement sa sensibilité pour les thématiques sociales et la force révolutionnaire de l’image.

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Eisenstein naît à Riga en 1898 dans une famille bourgeoise au sein d'une Russie autocratique tsariste alors traversée par des évolutions économiques qui bouleversent la société. "L’économie russe de la fin du XIXe siècle est en voix de développement", rappelle ainsi Alexandre Sumpf. "Partiellement industrialisée, la Russie est un pays qui a de gros problèmes agraires et agricoles, car l’abolition du servage de 1861 n’a pas permis la modernisation attendue de l’agriculture. Il y a donc de très forts contrastes sociaux qui s’accentuent de plus en plus, avec la formation d’une classe ouvrière au sens marxiste : des ouvriers de générations en générations qui partagent une culture commune et qui vivent dans un même espace." C’est vers ce public naissant que va se tourner Eisenstein en faisant le choix du cinéma comme médium d’expression.

Consécration d’un cinéaste du régime : le régime et l’économie soviétique à l’honneur

Ada Ackerman explique ainsi que "le projet d’Eisenstein est un projet utopique, parce que très rapidement, il va développer la croyance que le cinéma peut transformer les consciences et permettre de philosopher. Avec Octobre (1928), il imagine avoir réussi à instaurer un cinéma capable de faire penser l’ouvrier de manière dialectique. Alors que le film vient célébrer les dix ans de la Révolution d’octobre, Eisenstein se permet des digressions absolument inattendues, par exemple dans ce qu’il appelle la séquence "des dieux" qui illustre selon lui l’athéisme". Malgré ses succès, le cinéma d’Eisenstein devient toutefois rapidement trop expérimental et le régime soviétique voit d’un mauvais œil ce manque de lisibilité. Il est ainsi envoyé en Europe en 1929, recevant pour mission d’aller étudier les techniques du cinéma sonore. D'autre part, Alexandre Sumpf rappelle qu'au moment ou sort Octobre, "à la mi mars 1928, il y a une conférence du Parti pour le cinéma qui décide de faire cesser l’expérimentation". Un début de reprise en main qui aboutit en 1931 "à la nationalisation de toute l’industrie dans un organisme qui s’appelle le cinéma de l’Union. L’URSS n’était jusqu’alors pas du tout fermée et la très grande restriction de l’importation de cinéma étranger date de cette époque". À son retour en URSS, en 1932, Eisenstein trouve le pays complètement changé par le pouvoir stalinien. Le réalisateur se sentant davantage isolé, sa filmographie se fait plus timide. Ce n’est qu’avec un film officiel, la biographie d'une grande figure de l'histoire russe, Alexandre Nevsky (1938), qu’il est vraiment réhabilité. Il meurt en 1948, après avoir abandonné le travail cinématographique et s’être consacré à l’écriture.

Plan large
59 min
Les Nuits de France Culture
1h 24

Pour aller plus loin

  • sous la direction d'Ada Ackerman : Sergueï Eisenstein : l'œil extatique (Centre Pompidou Metz, 2019)
  • Alexandre Sumpf : Révolutions russes au cinéma. Naissance d'une nation, URSS, 1917-1985 (Armand Colin, 2015)
  • Alexandre Sumpf : La Russie et les Russes en révolutions (Perrin, 2017)

Références Sonores

  • Extrait de la musique créée par Pierre Jodlowski pour accompagner le film La Grève lors d’un ciné-concert à Toulouse en 2008
  • Archive Hommage à Eisenstein, Radiodiffusion Française (RDF), 1948
  • Extrait du filme Le Cuirassé Potemkine, Eisenstein, 1925
  • Extrait du film Octobre, Eisenstein, 1927
  • Lecture de Une paysanne russe de Léon Tolstoï, 1902

Références musicales

  • Float de Janelle Monae
  • Potemkine de Jean Ferrat

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