Mayotte : de la crise migratoire à la crise diplomatique : épisode • 2/4 du podcast Les Outre-mer, territoires stratégiques

Les opérations de destructions de bidonvilles ont finalement pu reprendre à Mayotte après un mois d'interruption dû à des recours en justice, le 22/05/2023 ©AFP - Philippe Lopez
Les opérations de destructions de bidonvilles ont finalement pu reprendre à Mayotte après un mois d'interruption dû à des recours en justice, le 22/05/2023 ©AFP - Philippe Lopez
Les opérations de destructions de bidonvilles ont finalement pu reprendre à Mayotte après un mois d'interruption dû à des recours en justice, le 22/05/2023 ©AFP - Philippe Lopez
Publicité

Relancée lundi 22 mai après un mois de blocage devant les tribunaux, l'opération "Wuambushu" destinée à détruire les bidonvilles de l'île ravive les tensions migratoires et diplomatiques avec les Comores.

Avec
  • Nicolas Roinsard Sociologue et maître de conférences à l’université Clermont-Auvergne
  • Rémi Carayol Journaliste indépendant (Mediapart, Afrique XXI et Le Monde diplomatique)
  • Walter Bruyère-Ostells Professeur d’histoire à Sciences Po Aix-en-Provence

Le 22 mai 2023, dès le petit matin, un troupeau de tractopelles est entré dans le bidonville de Talus 2, au nord de l’île de Mayotte. Ces girafes mécaniques aux mâchoires crénelées se sont mises à brouter paresseusement les toits de tôle ondulée des habitations de fortune, au préalable vidées de leurs occupants. Si la vie à Talus se faisait dans des conditions très dures, la plupart des habitants disaient que ces hangars, ces fils tendus pour faire sécher le linge, ces bornes fontaines où l’on faisait la queue pour tirer de l’eau et le ciel par-dessus tout, étaient devenus leur propriété intime.

Après un mois de blocage judiciaire, l’opération Wuambushu, “reprise” en mahorais, a donc redémarré. Une entreprise de “décasage” à grande échelle orchestrée par le gouvernement français, Gérald Darmanin en tête, déterminé à éradiquer l’insalubrité et avec elle la délinquance qui gangrène l’île. Les familles qui vivaient là sont, pour certaines, relogées temporairement. Pour les quelque 10 000 personnes en situation irrégulière, dans leur grande majorité originaires des trois îles comoriennes voisines, c'est l'expulsion vers le pays d’origine.

Publicité

Sauf qu’au-delà des questions urbaines, Wuambushu exacerbe les tensions migratoires et diplomatiques avec les Comores. Moroni a un temps joué l’obstruction en refusant aux ferries mahorais l’entrée dans le port d’Anjouan. “Les Comoriens sont à Mayotte chez eux”, martèle le président Azali, qui ne reconnaît pas le statut de Mayotte restée dans le giron français quand les Comores le quittaient en 1975. Une véhémence de façade que lui reprochent ses opposants, l’accusant à l’inverse de complaisance avec Paris.

Comment l’opération Wuambushu réveille les tensions diplomatiques entre la France et les Comores ? Que dit-elle de l’intérêt stratégique de Mayotte pour Paris, qui a entériné la départementalisation de l’île en 2011 ?

Julie Gacon reçoit Nicolas Roinsard, sociologue, maître de conférences à l’université Clermont-Auvergne ainsi que Rémi Carayol, journaliste indépendant (Mediapart, Afrique XXI, Le Monde diplomatique).

Il ne faut pas surestimer l’exaspération des Mahorais contre l’immigration comorienne, affirme Nicolas Roinsard : “Les Comoriens sont certes rejetés dans les discours publics et politiques mahorais, mais pleinement intégrés sur le marché du travail, l’économie locale fonctionnant notamment grâce à eux, ainsi que sur le marché matrimonial puisque 30 % des unions sont mixtes.

Selon Rémi Carayol, les autorités comoriennes doivent sans cesse tenir un double discours vis-à-vis de Paris, y compris sur l'opération Wuambushu : “Pour un président comorien, il est impossible de reconnaître la souveraineté de la France sur Mayotte, mais dans le même temps, une partie du budget des Comores provient de l’aide française, -entre 10 et 15 % du PIB des Comores selon Paris-. Le président Azali continue donc d'afficher publiquement son refus d'accueillir ses ressortissants expulsés de Mayotte, mais dans les faits, il les accepte en catimini.

Pour aller plus loin :

Le Temps du débat
38 min
Les Enjeux territoriaux
14 min

Seconde partie : le focus du jour

Focus - Bob Denard, le mercenaire devenu bouc-émissaire

Arrestation de Bob Denard, mercenaire français responsable d'une tentative de coup d'Etat aux Comores le 05/10/95
Arrestation de Bob Denard, mercenaire français responsable d'une tentative de coup d'Etat aux Comores le 05/10/95
© AFP - Joe Alexander

Avec Walter Bruyère-Ostells, professeur d’histoire à Sciences Po Aix-en-Provence.

Pour maintenir sa puissance dans le canal du Mozambique, la France n’a pas hésité à employer les mêmes méthodes que celles observées dans les anciennes colonies ouest-africaines. Face à la montée du communisme, Jacques Foccart et l’Élysée se sont en effet appuyés sur Bob Denard et ses gros bras, artisans de trois putschs à Moroni entre 1975 et 1995. Un mercenaire dont le parcours raconte en filigrane l’histoire clandestine du néocolonialisme et l’importance stratégique de Mayotte et des Comores pour la France.

Pour Walter Bruyère-Ostells, il ne fait aucun doute que Bob Denard était un agent officieux de la politique française en Afrique : “Après le coup d’État du 13 mai 1978, Bob Denard et ses mercenaires deviennent des acteurs majeurs de la scène comorienne au niveau politique, économique et sécuritaire. Se développe alors une forme de triangulation entre Paris, l’Afrique du Sud et les Comores sur différents sujets, notamment la lutte anti-communiste.

Pour aller plus loin :

Références sonores & musicales

Une émission préparée par Barthélémy Gaillard.

L'équipe