Le cinéma a-t-il raté le tournant MeToo ?

Le Festival de Cannes a décidé de mettre Catherine Deneuve à l'honneur pour sa 76e édition ©AFP - Valery Hache
Le Festival de Cannes a décidé de mettre Catherine Deneuve à l'honneur pour sa 76e édition ©AFP - Valery Hache
Le Festival de Cannes a décidé de mettre Catherine Deneuve à l'honneur pour sa 76e édition ©AFP - Valery Hache
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Depuis le lancement du mouvement MeToo en 2017, plusieurs affaires ont secoué le cinéma français ; mais l’ont-elles fait changer ? Les inégalités et les violences de genre sont-elles davantage combattues ? Les femmes sont-elles mieux représentées ?

Avec
  • Louise Chevillotte Comédienne
  • Axelle Ropert Réalisatrice et scénariste
  • Nathalie Coste Cerdan Directrice générale de La Fémis
  • Geneviève Sellier Professeure émérite en études cinématographiques à l'Université Bordeaux Montaigne

Le lettre envoyée à Télérama par l’actrice Adèle Haenel a réveillé le milieu du cinéma que ni les plaintes contre Gérard Depardieu, ni la présence de Johnny Depp en ouverture du festival de Cannes ce soir ne semblaient troubler.

Elle dit "politiser son arrêt du cinéma pour dénoncer la complaisance généralisée du métier vis-à-vis des agresseurs sexuels" et attendre de voir "si les pontes du cinéma comptent sur la police pour que tout se passe comme d’habitude sur les tapis rouges du Festival de Cannes".

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Face à ces accusations de surplace, les métiers du cinéma rendent compte de mesures mises en place pour combattre les violences sexuelles et sexistes sur les plateaux ainsi que les inégalités salariales, mais aussi pour mettre en valeur les femmes au cinéma en finançant les films de réalisatrices et en changeant le répertoire des rôles proposés aux femmes à l’écran. Autant de politiques qui prennent du temps et ne changent pas fondamentalement la donne.

Pour en débattre, Emmanuel Laurentin reçoit Louise Chevillotte, comédienne, à l’affiche du film À mon seul désir de Lucie Borleteau, signataire de la tribune " Cannes : des actrices dénoncent un système qui soutient les agresseurs" (Libération, 16/05/2023), Axelle Ropert, cinéaste et scénariste, cosecrétaire de la Société des réalisatrices et réalisateurs de films (SRF), Nathalie Coste Cerdan, directrice générale de La Fémis, et Geneviève Sellier, professeure émérite en études cinématographiques à l'Université Bordeaux Montaigne, spécialiste des approches genrées du cinéma et de la télévision, qui anime le site " Le genre & l’écran".

« Le problème n’est pas le voyeurisme, il fonde le cinéma, mais j’aimerais voir plus de femmes voyeuristes qui kiffent sur Brad Pitt ou Timothée Chalamet, vive la passion trouble ! »

« Expulser la mauvaise violence du cinéma n’a rien à voir avec l’idée de purger le cinéma de ses passions troubles » précise Axelle Ropert, « on ne veut pas de cinéma hygiéniste, transparent, limpide et vertueux ». Il faut réfléchir à la fabrication des films et aux comportements sur les tournages : « je ne vois pas en quoi ce serait aller contre la liberté d’expression » ajoute-t-elle, « la manière avec laquelle nos détracteurs nous opposent la liberté d’expression dès qu’on essaie de penser témoigne de beaucoup de malhonnêteté intellectuelle ». Elle appelle tout de même à dissocier les pratiques en coulisse de la représentation des femmes à l’écran : « quand on voit comme Hollywood classique, machine à torturer des femmes, a donné de grands rôles féminins et de grandes actrices, il y a un bilan dialectique ». Bien qu’elle défende la notion de sujets féminins – liés au corps – parler d’un regard féminin lui semble réducteur : « on enferme les femmes dans la case d’un petit film sensible, délicat et chichiteux ».

« Il y a le paradoxe de Bardot : elle est une figure d’émancipation pour beaucoup de femmes, en particulier des couches populaires et moyennes de la population, mais on sait ce qu’elle est devenue »

Interrogée sur l’ouverture du festival de Cannes, Geneviève Sellier est sceptique : « les agresseurs continuent à échapper à la loi et au-delà, jouissent d’une complaisance qui ne se dément pas ». Elle identifie deux explications à la situation de domination dans laquelle se trouvent les actrices : « d’abord, le cinéma considère les actrices comme des objets agréables à regarder, et ensuite il y a un problème français, celui du poids du cinéma d’auteur qui sacralise une figure du génie, démiurgique mais artificielle, qui accentue cette domination au nom de l’art ». Elle appelle à « exercer un regard critique sur les œuvres, en refusant la sacralisation des auteurs » et salue la manière avec laquelle la visibilité des femmes dans la réalisation a permis d’infléchir le regard qui était porté sur elles, en imposant de nouvelles manières « de raconter des histoires, de construire un récit, de diriger des acteurs… ».

« Il y a un regain d’énergie face à tous ces symboles envoyés pour écraser la libération de me too »

« Ce qui me réjouit depuis quelques mois, c’est que des actrices se réunissent avec une envie de se fédérer, de se parler, de se sentir fortes ensemble » témoigne Louise Chevillotte, « je suis consciente que me too a changé beaucoup de choses, aussi dans nos propres regards à toutes ». Elle salue une époque d’espoir : « une génération est attentive et à envie de partager le gâteau […] et bien que les outils en place ne sont pas toujours saisis, parce que ce n’est pas facile, il faut qu’on soit ensemble et qu’on ne laise plus passer les humiliations et les injustices ». La peur est paralysante parfois - « on a peur d’être blacklistée, considérée comme une sorcière » - « mais aujourd’hui, on est nombreux sur un plateau à pouvoir mettre les bornes ». Elle précise que ces combats ne visent pas à remettre en cause la place d’un metteur en scène « chef d‘orchestre » : « j’aime être au service d’une écriture, mais j’ai un problème quand une personne outrepasse le droit ou sa position de puissance »

« Il est important de revisiter l’histoire du cinéma, de rediscuter de tout ça »

« Me too a provoqué une libération de la parole, une prise de conscience généralisée à des tas de niveaux » observe Nathalie Coste Cerdan, « sur l’ensemble de la chaîne de fabrication et de valorisation du cinéma, avec des mesures qui permettent aux femmes d’être identifiées et valorisées », comme à travers l’action du collectif 50/50. A la Femis, l’école qu’elle dirige, « nous avons cherché à valoriser cet aspect collectif, qui correspond aux aspirations de la jeunesse pour des modèles moins verticalisés, qui privilégient la co-écriture… ».

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