Pourquoi la France est-elle si attachée à la dissertation de philosophie ? : épisode • 1/4 du podcast Bac philo 2023 : apprendre à argumenter

Une copie de l'épreuve du baccalauréat de philosophie, Paris, 2017 ©Getty - Philippe Turpin
Une copie de l'épreuve du baccalauréat de philosophie, Paris, 2017 ©Getty - Philippe Turpin
Une copie de l'épreuve du baccalauréat de philosophie, Paris, 2017 ©Getty - Philippe Turpin
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Véritable tradition française, la dissertation de philosophie est la bête noire de nombreux lycéens au moment de l’épreuve du baccalauréat. Mais d’où vient cet exercice, et en quoi s’inscrit-il dans l’histoire de l’enseignement en France ?

Avec
  • Delphine Antoine-Mahut Professeure d’histoire de la philosophie moderne à l’ENS de Lyon
  • Bruno Poucet Professeur émérite des universités en sciences de l’éducation à l’Université de Picardie Jules Verne
  • Paul Mathias Inspecteur général de l’éducation nationale

L'épreuve de philosophie du baccalauréat approche à grands pas. Elle effraie autant qu'elle fascine. C'est l'occasion de réfléchir à ce que veut dire "argumenter". Pourquoi la France a-t-elle mis sur un véritable trône la fameuse dissertation, notamment en philosophie ? Dans ce premier épisode de la série Bac philo 2023, Géraldine Muhlmann et ses invités se demandent pourquoi la France est si attachée à la dissertation de philosophie.

"Penser, c'est s'engager"

Pour comprendre ce qu'est une dissertation réussie, Delphine Antoine-Mahut propose de diviser la "dimension rhétorique" de cet exercice en trois exigences. D'une part, "on ne pense pas à partir de rien", mais toujours à partir d'un contenu qui nous est notamment fourni par l'histoire de la philosophie. Ensuite, "penser, disserter, argumenter", c'est user de la rhétorique au sens de la mise en forme rigoureuse de l'argumentation, dans "une exigence de partage avec le lecteur". Enfin, "penser, c'est s'engager". Contre les adversaires de la dissertation qui lui reprochent sa neutralité, la philosophie explique qu'il s'agit en réalité de "prendre une part active à la vie de la cité, s'engager en tant que citoyen, se prémunir contre différentes formes de sophisme, de fanatisme, d'exclusivisme, de complotisme".

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Un principe de liberté

Pour Bruno Poucet, l'enseignement de la philosophie en France n'est pas figé. En effet, l'histoire montre que "la dissertation a changé progressivement". La règle même du plan en trois parties "n'a jamais été définie en ces termes par l'inspection générale" : ce sont en réalité des professeurs qui ont suggéré cette méthode dans les années 1930, laquelle a été adoptée après la Seconde Guerre mondiale. Ainsi, "il est évident qu'il y a des normes" dans la dissertation, "mais celles-ci permettent finalement l'expression de la liberté". Ce "principe de liberté" est selon Bruno Poucet au cœur même de l'enseignement de la philosophie : d'abord au travers de la liberté d'organisation du cours par l'enseignant, donc de son rapport aux élèves.

Casser les digues

Paul Mathias remarque que l'apprentissage de la dissertation est "extrêmement formel". Ainsi, "la préparation d'un concours est la préparation d'une procédure de recrutement d'agents dont la vocation est d'instruire des élèves, c'est-à-dire de reproduire certaines formes et certaines normes". Commentant la critique de l'exercice par Claude Lévi-Strauss dans Tristes Tropiques (1955), il remarque que si cette formalité peut effectivement "assécher l'esprit", elle permet également un "enrichissement formel". Par ailleurs, la critique renseigne sur l'auteur lui-même : "Lévi-Strauss n'est pas simplement un agrégé de philosophie : il est quelqu'un de génial. Être génial, c'est effectivement casser les digues, ou les remparts, de l'exercice de recrutement".

Du Grain à moudre
39 min

🎧 L'émission est à écouter dans son entièreté en cliquant sur le haut de la page.

Pour en parler

Delphine Antoine-Mahut, professeure d'histoire de la philosophie moderne à l'ENS de Lyon. Ses travaux portent sur la pensée cartésienne et ses réceptions. C'est dans ce cadre qu'elle en est venue à s'intéresser à Victor Cousin et à son rôle dans l'institutionnalisation d'un canon philosophique qui continue de structurer l'enseignement et la formation des élèves et des étudiants aujourd'hui. Elle est également vice-présidente du jury de l'agrégation externe de philosophie, dont les oraux se déroulent actuellement à la Sorbonne, jusqu'à la fin du mois de juin.

Elle a récemment publié :

Bruno Poucet, professeur émérite des universités en sciences de l’éducation à l’Université de Picardie Jules Verne, historien de l’éducation et plus précisément des politiques éducatives en France au XXe siècle. Il est directeur honoraire du Centre de recherche en éducation et formation et de la revue Carrefours de l’éducation.

Sur l’enseignement de la philosophie, il a publié les ouvrages suivants :

Paul Mathias, inspecteur général de l’éducation nationale.

Il a récemment publié :

Références sonores

  • Extrait du film Le pion, réalisé par Christian Gion, 1978
  • Archive de René Etiemble et Jeannine Kohn, émission Dialogues : "Enseigner les littératures", France Culture, le 7 janvier 1975
  • Lecture par Caroline Pernes d'un extrait de Victor Cousin, Manuel de l’histoire de la philosophie, préface du tome I, 1829
  • Lecture par Caroline Pernes d'un extrait de Claude Lévi-Strauss, Tristes Tropiques, partie II "Feuilles de route", chapitre 6, éditions Plon, 1955
  • Chanson de fin d'émission : Félix Leclerc, Contumace", 1979

Le Pourquoi du comment : philosophie

Toutes les chroniques de Frédéric Worms sont à écouter ici.

Le Pourquoi du comment : philo
3 min

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