Didier Eribon : "Je me suis construit contre ma mère et grâce à elle aussi"

Après la mort de sa mère, Didier Eribon reprend le travail d'exploration personnelle et théorique qu'il avait entrepris dans Retour à Reims après la mort de son père. Dans son livre Vie, vieillesse et mort d'une femme du peuple, il analyse le déclin de sa mère. Il réfléchit à la vieillesse, à la maladie, à notre rapport à la mort, tout en interrogeant les conditions d'accueil des personnes dépendantes.

Simone de Beauvoir comme référence

"Dans la littérature, je trouve des points d’appui pour ma réflexion. La littérature m’a fait voir et m’a fait comprendre des choses que je n’aurais pas vues ou moins bien comprises si cela n’avait pas été aussi bien décrit dans certains livres. Je pense à Une Femme d’Annie Ernaux, un livre absolument superbe. Mais aussi à Une mort très douce de Simone de Beauvoir, sur la vie et la mort de sa mère. Ou son grand livre qui est un essai qui s’appelle La Vieillesse qui est une de mes références principale dans ce livre. Beauvoir a constitué, à l’époque où ça ne l’était pas, la vieillesse comme un problème intellectuel, politique, qu’il fallait analyser pour mettre fin ou en tout cas pour montrer le scandale qu’était la place donnée aux personnes âgées dans nos sociétés. Une place exclue, invisibilisée avec des personnes réduites au silence."

Se faire porte-parole des personnes âgées en marge

"Il faut pouvoir signer une pétition, avoir accès à la sphère publique. Or, ma mère qui avait perdu quasiment toute autonomie physique et qui était enfermée dans sa chambre à la maison de retraite ne pouvait pas se mobiliser puisqu’elle ne pouvait pas marcher. Elle ne pouvait pas se mobiliser car elle ne pouvait pas consulter les autres personnes de la maison de retraite. De toute façon, la démarche ne leur serait pas venue à l’esprit. Ces personnes sont dans une situation de maltraitance institutionnelle et donc politique. La question que je me posais était de savoir comment faire entendre la voix de ces personnes qui ne peuvent pas parler en leur propre nom. Quand des gens ne peuvent pas parler, il y a la nécessité que des gens se donnent comme belle et noble tâche de porter leur parole dans l’espace public."

Rendre hommage à sa mère

"Qu’est-ce qui fait, alors que j’avais largement rompu avec mes parents, que je me suis senti tenu de revoir ma mère après la disparition de mon père ? Et, quand elle a commencé à décliner, qu’est-ce qui a fait que je me suis senti tenu de m’occuper de cette femme qui était ma mère, qui m’avait élevé et qui avait travaillé à l'usine pour que je puisse faire des études ? Le sentiment est complexe. Et l’un des sentiments principaux est aussi la gratitude. Quand j’allais voir ma mère avant qu’elle n’entre dans la maison de retraite et qu’elle tenait des propos racistes en permanence devant la télévision, je me disais : 'mais qu’est-ce que je fais avec cette vieille femme raciste ?'. Je n’oubliais pas pour autant la dureté des conditions de travail qu'elle s'était imposées pour que je puisse faire des études. Je n’aurais pas écrit des livres si je ne m'étais pas éloigné d’elle. J’ai voulu restituer à ma mère la possibilité d’être un sujet politique."

Archives

Annie Ernaux, émission Inter Lire, Jean-Louis Ezine, France Inter, 14/02/1988

Anne-Sophie Pelletier, émission Le débat du midi, Dorothée Barba, France Inter, 03/07/2018

Albert Cohen, émission Inter actualités de 13H00, Sophie Dumoulin, France Inter, 01/06/1969

Alexander Zeldin, émission Par les temps qui courent, Marie Richeux, France Culture 16/01/2023

Références musicales

Diane Labrosse, Kitchen neon

Pascal Battus, Sound massages

Guy Baert, Eau vive

Inch-time, The sky has a thousand eyes

Philippe Katerine, Vieille Chaîne