Avec la pollution lumineuse, les constellations finiront par devenir invisibles

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Avec la pollution lumineuse, les constellations finiront par devenir invisibles

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Le nombre d'étoiles visibles à l'œil nu pourrait être divisé par deux en moins de 20 ans à certains endroits de la planète.
Le nombre d'étoiles visibles à l'œil nu pourrait être divisé par deux en moins de 20 ans à certains endroits de la planète.
© Getty - James O'Neil

Et si les constellations s'effaçaient peu à peu du ciel ? En raison de la pollution lumineuse, le nombre d'étoiles visibles à l'œil nu pourrait être divisé par deux en moins de 20 ans à certains endroits de la planète.

Chaque été, c’est la même tradition : en contemplant le ciel étoilé, on se prend à chercher les quelques constellations que l’on peut identifier aisément. On pointe du doigt la Grande et la Petite Ourse, voire, pour les amateurs d’astronomie, la constellation d’Hercule ou celle de Pégase.

D’ici une vingtaine d’années pourtant, ces constellations pourraient bien avoir disparu de la voûte céleste, peu à peu effacées par la pollution lumineuse. A en croire les données récoltées auprès de plus de 50.000 personnes par le projet de science participative et citoyenne Globe at Night, publiées dans la revue Science , “la luminosité, la nuit, a augmenté de 9,6 % par an entre 2011 et 2022”. En Europe, l’augmentation générale serait de 6,5 % par an, contre 10,4 % en Amérique du Nord.

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“La vitesse à laquelle les étoiles deviennent invisibles pour les citadins est dramatique” , précise Christopher Kyba, l’un des auteurs de l’étude. “Si le développement [de la pollution lumineuse, ndlr] devait se poursuivre à ce rythme, un enfant né à un endroit où 250 étoiles sont visibles aujourd'hui ne pourra en voir que 100 lors de son 18e anniversaire", poursuit cet astrophysicien allemand.

Les résultats sont d’autant plus mauvais que les chercheurs avaient estimé jusqu’alors que la pollution lumineuse n’augmentait que de 2% par an environ, en se basant sur des données satellitaires. Une catastrophe, lorsque l’on sait qu’en 2016, déjà, les astronomes avaient constaté que la Voie Lactée n’était plus observable pour près d’un tiers de l’humanité.

Une pollution horizontale

Jusqu’alors, la pollution lumineuse était surtout mesurée à l’aide de satellites, plus sensibles à la lumière dirigée directement vers le ciel. Mais ces derniers peinent à percevoir la lumière émise sur le plan horizontal, notamment les pollutions dues aux éclairages privés (panneaux publicitaires, enseignes lumineuses, etc.). A Paris, une étude de la mairie a démontré que 58 % des lumières émises la nuit proviennent d’éclairage privé, contre 35 % pour le domaine public et 7% pour les véhicules.

Mais cette pollution lumineuse ne se cantonne pas aux grandes villes : si elle est effectivement plus prégnante dans les zones urbanisées, elle se diffuse sur des kilomètres à la ronde autour des sources principales. Dans une cartographie de la pollution lumineuse en France publiée par l'Observatoire national de la biodiversité, on constate combien les zones les plus épargnées sont celles les moins densément peuplées, dans la diagonale du vide française.

Carte de la pollution lumineuse France métropolitaine, publiée en 2021.
Carte de la pollution lumineuse France métropolitaine, publiée en 2021.
- Observatoire national de la biodiversité

L'omniprésence des LED

Si la pollution lumineuse semble avoir tant augmenté en l'espace de quelques années, c'est aussi et surtout en raison de l'omniprésence d'une nouvelle source de lumière que sont les diodes électroluminescentes, ou LED. Invitée, en janvier dernier, dans l’émission La Transition, la présidente de l'Association pour la protection du ciel et de l'environnement nocturne, Anne-Marie Ducroux, expliquait combien le marché de la lumière ne suivait, aujourd’hui, qu’”une seule prescription : changer une technologie par une autre”. Mais, explique-t-elle, “les LED ont des particularités physiques : elles émettent dans le spectre des couleurs avec un fort pic d'émission dans le bleu. Ce bleu est moins ou pas capté par les satellites, ce qui explique la sous-estimation”.

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Un rapport de l’ANSES pointait dès 2019 que “les systèmes d’éclairage à LED qui pourraient être responsables des plus grandes augmentations de la pollution lumineuse sont les enseignes, les affiches et publicités lumineuses, ainsi que l’éclairage des zones commerciales, agricoles (y compris les serres horticoles) ou aquacoles et des zones industrielles. [...] Dans ces catégories, la tendance est à l’augmentation du nombre et de l’intensité des points lumineux" .

Les LED, pourtant, sont dotées d’une solide réputation écologique. “On pare les LED de vertus écologiques mais sans distance critique suffisante”, poursuit Anne-Marie Ducroux. “Les personnes qui achètent des LED sont persuadées d'avoir fait le bon geste parce que celles-ci ont pour objectif l'économie d'énergie. Mais ce n'est pas un objectif de réduction de la lumière. Et on se retrouve dans une situation paradoxale où, en souhaitant économiser de l'énergie, on émet plus de lumière artificielle la nuit, parce que les LED ont un rendement lumineux supérieur. Et on rajoute des points lumineux au motif qu'on va économiser de l'énergie."

Une luminosité nocive pour la biodiversité

Non seulement les LED sont responsables d'une pollution lumineuse plus intense, mais elles ont également un impact sur la biodiversité comme sur l'humain.

Des insectes attirés par les sources de lumière aux animaux dépendants de la lune pour s’orienter, les conséquences de la pollution lumineuse sont difficiles à estimer tant elles touchent de nombreuses espèces : les comportements de migrations, de prédation, ou encore de reproduction sont parfois lourdement impactés par cette pollution. Dans "La Méthode scientifique", l'écologue Kevin Barré donnait pour exemple son impact sur les populations de chauve-souris : “On attire énormément de papillons et d'autres insectes avec l'éclairage. Les chauves-souris profitent de cette lumière pour venir se nourrir. Mais en approfondissant, on se rend compte que cela entraîne des perturbations comportementales avec des individus qui ne sont pas si sereins que ça à l'approche de la lumière. Si sous un lampadaire on peut mettre 4000 papillons, on ne peut pas mettre autant de chauves-souris. Parce que celles-ci sont en haut de la chaîne alimentaire. Ce sont des prédateurs insectivores et il y a une véritable compétition dans l'espace aérien : il n'y a pas de la place pour tout le monde.”

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La disparition en cours des insectes est en grande partie due à la pollution lumineuse : “Entre une zone éclairée et une zone non-éclairée, on a observé une différence de 62% dans la pollinisation des deux zones”, précise Anne-Marie Ducroux.

Les répercussions de la pollution lumineuse n’épargne pas plus l’être humain, particulièrement sensible aux LED et à leur lumière bleue. L’Anses et l’Académie Nationale de Médecine qualifient leurs effets de “phototoxicité” : en émettant dans la bande bleue du spectre visible, ces lumières impactent notre organisme, notamment en nous privant de sommeil. Avec des conséquences sur notre santé qui se traduisent notamment par une prise de poids accrue et par une sous-production de mélatonine, qui impacte à son tour notre système immunitaire.

Pour les associations de lutte contre la pollution lumineuse, si le problème est de mieux en mieux identifié, les solutions tardent à être mises en place. A l’échelle de la France, les villes sont souvent bien trop éclairées au regard des besoins réels ( et en vertu d'un lien établi à tort avec un sentiment de sécurité ) : 12.000 communes en France ont d’ores et déjà accepté, conformément aux recommandations de ces associations, de limiter leur éclairage public passé une certaine heure. Mais au regard des conséquences de cette pollution, les efforts restent encore trop succincts. L’interdiction faite aux enseignes commerciales de rester allumées la nuit n’est, par exemple, jamais sanctionnée et reste donc peu appliquée.

Les leviers pour venir à bout de ce problème sont donc encore à mettre en place. Pour protéger la biodiversité et, peut-être aussi, pour pouvoir observer, pendant quelques années encore, la voûte étoilée...