En voiture Henry ! La Ford T met les ouvriers à la chaîne : épisode • 2/4 du podcast Automobile, une histoire sur les chapeaux de roues

Photographie des ouvriers de l'usine Ford Motor Company en train d'assembler une automobile Ford T, 1913 ©Getty - Bettmann
Photographie des ouvriers de l'usine Ford Motor Company en train d'assembler une automobile Ford T, 1913 ©Getty - Bettmann
Photographie des ouvriers de l'usine Ford Motor Company en train d'assembler une automobile Ford T, 1913 ©Getty - Bettmann
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Des pièces faciles à assembler, un véhicule robuste et fiable, un coût peu élevé, la Ford T est un succès commercial autant qu'industriel. Créée en 1908 par Henry Ford, elle concrétise sa vision de l'automobile pour tous et inaugure une nouvelle ère industrielle.

Avec
  • Patrick Fridenson Historien, directeur d'études à l'École des Hautes Études Sciences Sociales (EHESS)
  • Alain Michel Professeur d’histoire contemporaine à l’Université d'Évry-Paris Saclay, directeur du site d'Évry de l’IDHE.S.

Le 21 avril 1925, le quotidien L’Information financière, économique et politique publie une déclaration d’Albert Neuhaus, ministre allemand de l’économie, prononcée quelques jours plus tôt devant le Reichstag. Il y présente la politique économique allemande et évoque, parmi les "grands progrès", le taylorisme et, ce qui en est pour lui la forme la plus récente, le fordisme, "des phénomènes purement américains et qui ne peuvent être transposés d’une façon systématique en Allemagne", dit-il. C’est la première fois que le lecteur français peut lire ce mot, fordisme, associé évidemment à Henry Ford, le célèbre constructeur de voiture : allez, en voiture Henry !

La Ford T, emblème d'une innovation industrielle

Fils de fermier, né en 1863 près de Dearborn dans le Michigan, Henry Ford se passionne enfant pour l'horlogerie et la mécanique. Ingénieur autodidacte, il devient cadre dans l'entreprise d'électricité de Thomas Edison. En 1896, il conçoit son premier projet de quadricycle. Après deux sociétés automobiles infructueuses, il fonde à quarante ans la Ford Motors Company. Henry Ford a alors l'idée de développer une automobile peu chère, solide et facile à réparer. Fini les véhicules de luxe, réservés à une clientèle d'élite ! La Tin Lizzie, telle que le Ford T est surnommée, doit séduire les fermiers et les classes moyennes.

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Pour produire à grande échelle et réduire les coûts de production, Henry Ford fait le choix du modèle unique, aux pièces standardisées. Il applique dès 1908 la décomposition très précise des tâches, et leur chronométrage, telle qu'elle a été pensée par l'ingénieur Frederick Taylor dans les années 1880. Face au succès commercial de la Ford T, les équipes des usines Ford perfectionnent les méthodes de production. En 1913, la première chaîne de montage automobile est mise au point dans les usines de Detroit et accélère la cadence de production. L'historien Patrick Fridenson souligne cet essor spectaculaire : "La première année, 10 000 voitures environ sont produites. En 1921, on en produit 900 000".

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Ce que la chaîne fait aux ouvriers

Le bouleversement se fait également sentir sur les bords de la chaîne de travail. Les ouvriers spécialisés font leur apparition pour compléter le besoin de personnel en constante augmentation. Gestes répétitifs, consignes rigoureuses, rythme précis sont le quotidien de ces OS, que la Ford Motors Company a du mal à fidéliser, au point de mettre en place un doublement de salaire.

En France, l'organisation du travail rationalisée est rejetée par les ouvriers, comme le démontre les "grèves du chronomètre" dans les usines Renault de Boulogne-Billancourt en 1913. L'historien Alain Michel décrit les effets de la Première Guerre mondiale dans l'acceptation des transformations du travail en France : "Il faut produire massivement, en particulier des obus, (alors qu'une partie de la) main d'œuvre a été mobilisée sur le front. Il faut appliquer quelque chose qui peut ressembler à du taylorisme. Dans ce contexte différent, cette réorganisation du travail de grande série est acceptable et acceptée".

L'obsolescence du fordisme

Le système fordiste révèle ses limites. En 1922, General Motors développe un système de montage à la chaîne plus flexible, qui lui permet d'équiper différents modèles et de satisfaire tous les goûts des consommateurs. La Ford Motors Company est contrainte de fermer ses usines pendant de longs mois, le temps de transformer les machines-outils pour la fabrication d'une nouvelle série. Le fordisme, et son véhicule iconique, révèlent ainsi leur obsolescence non programmée.

🎧 Pour en savoir plus, écoutez l'émission…

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Bibliographie

  • Alain Michel, Pierre Bézier. Une biographie industrielle, Classiques Garnier, à paraître en 2023
  • Patrick Fridenson, François Monnier, Albert Rigaudière (dir.), Concurrence et marchés. Droit et institutions du Moyen Âge à nos jours, Comité pour l'histoire économique et financière de la France, IGPDE, 2023
  • Alain Michel, co-dirigé avec Serge Benoît, Le Monde du génie industriel au XXe siècle : autour de Pierre Bézier et des machines-outils, Éditions de l’UTBM / IDHES-UEVE, 2015
  • Alain Michel, Travail à la chaîne. Renault, 1898-1947, ETAI, 2007

Références sonores

  • Archive sur Henry Ford dans Des autos et des hommes, TF1, 19 octobre 1976
  • Présentation de la première chaîne de fabrication automobile dans le journal des Actualités françaises, 18 septembre 1963
  • Extrait du Moteur perpétuel vu par les Shadoks de Jacques Rouxel, 1985
  • Archive d'Henry Ford II, petit-fils d'Henry Ford, interrogé par la RTF en 1948
  • Lecture par Jeanne Delecroix d'un extrait de Dix chevaux-vapeur d'Ilya Ehrenbourg, 1930, traduit du russe par Madeleine Étard, 2019
  • Musique du film Les Temps modernes de Charlie Chaplin, 1936
  • Archive sur la mort d'Henry Ford, 17 avril 1947
  • Générique de l'émission : Origami de Rone

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