Soudan : une guerre qui s'enlise

Des camions et des véhicules sont photographiés le long de la route reliant la capitale du Soudan à la ville de Wad Madani, à Hasahisa, le 18 juillet 2023. ©AFP
Des camions et des véhicules sont photographiés le long de la route reliant la capitale du Soudan à la ville de Wad Madani, à Hasahisa, le 18 juillet 2023. ©AFP
Des camions et des véhicules sont photographiés le long de la route reliant la capitale du Soudan à la ville de Wad Madani, à Hasahisa, le 18 juillet 2023. ©AFP
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Selon le dernier bilan de l'ONU, plus de 3000 personnes ont été tuées et près de trois millions ont fui le Soudan. Des chiffres qui risquent d'augmenter puisqu'après trois mois, la guerre opposant deux généraux rivaux ne s'affaiblit pas.

Avec
  • Gwenaëlle Lenoir Journaliste indépendante pour Mediapart, spécialiste du monde arabe et de l’Afrique de l’est.
  • Khadidja Medani Doctorante à l’Université Paris 1

Vingt ans après le début de la guerre du Darfour, le Soudan est encore une fois déchiré par un conflit. Celui-ci oppose les troupes du général Abdel Fattah Al-Bourhane et celles du général Mohammed Hamdan Daglo.

Depuis le 15 avril dernier, au Soudan, la guerre civile a fait 3000 morts au moins, a contraint 3 millions de personnes à se déplacer a minima, et menace la région entière de l'Afrique du Nord. Selon l’ONU, pas moins de "la moitié de la population soudanaise aurait besoin d’une aide urgente". L’organisation alerte désormais sur les risques de tomber dans "une guerre civile totale".

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Un pays, deux armées

Pour Gwenaëlle Lenoir, grande reporter indépendante, il ne s'agit pas d'un conflit entre deux chefs de guerre mais plutôt entre deux militaires de haut rang. "D'un côté, le général Al-Bourhane, qui est le commandant en chef de l'armée nationale soudanaise. De l'autre côté, le général Mohamed Hamdam Dagalo, dit Hemetti, chef d'une force paramilitaire régulière associée à l'armée soudanaise depuis longtemps. Ce sont deux armées quasiment régulières, le Soudan ayant cette caractéristique d'avoir deux armées. C'est comme s'il y avait deux armées françaises qui se faisaient la guerre dans Paris."

"Cette guerre n'est pas une vraie surprise", poursuit la journaliste. "L'élément déclencheur immédiat est une réforme du service du domaine de la sécurité et du domaine militaire qui prévoyait l'intégration des deux corps d'armée dans une seule armée. Les uns voulaient prendre le pas sur les autres pour faire très court et ça a débouché sur sur ce conflit."

Khadidja Medani, doctorante associée au CEDEDJ de Khartoum, insiste aussi sur la dimension politico-économique du conflit : "Les deux forces armées sont aussi des forces politiques. On n'est pas que sur un combat entre deux armées, on est sur un combat entre deux hommes qui veulent être des chefs d'État. Ils ont chacun derrière eux leurs institutions et des empires économiques. C'est un conflit pour la conquête du pouvoir, un conflit armé, un conflit politique, mais aussi un conflit économique."

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Une situation sanitaire et alimentaire inquiétante

"La saison agricole commence. Elle s'étend de juin à octobre, et dans le contexte actuel, les récoltes ne vont pas bien se passer", alerte Gwenaëlle Lenoir"On parlait beaucoup du système de santé au début, qui est complètement malade, quasiment inexistant maintenant. Mais la situation alimentaire, elle, est très critique. Elle est en train de s'aggraver dans les prévisions. On va tomber dans une des pires famines à l'échelle de la planète."

Vers une guerre ethnique ?

Revenant sur l' enquête de la Cour pénale internationale pour crime de guerre et sur la dimension ethnique du conflit, la journaliste avance que "ce n'est pas seulement ethnique, c'est plus complexe que ça. Rajoutez à cela un changement climatique très important dans la région du Darfour, à l'extrémité orientale du Sahel ; rajoutez à cela un problème d'accès aux ressources et vous obtenez le résultat d'aujourd'hui qui est absolument catastrophique avec, dans l'Ouest, des témoignages qui laissent à penser qu'il y a eu une intention génocidaire."

"Nulle part il n'y a de guerre purement ethnique", renchérit Khadidja Medani. "C'est toujours des particularités, des différences qu'on appelle ethnies qui sont instrumentalisées pour couvrir des conflits fonciers, politiques. C'est le gouvernement central soudanais au début qui a instrumentalisé la rivalité entre populations arabes et non arabes au Darfour pour écraser la révolte des populations."

"Les témoignages tendent à montrer une intention génocidaire, avec des massacres de femmes, des viols systématiques, des massacres de femmes et d'enfants", s'inquiète Gwenaëlle Lenoir"Des gens sont massacrés, chassés, quasiment escortés jusqu'à la frontière tchadienne. Des fosses communes ont été découvertes. Il y a aussi des discours très clairement anti-masalit qui appellent au meurtre. Tout un faisceau de choses qui font que la Cour pénale internationale pouvait difficilement ne pas se saisir de ce cas."

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