Au fond des océans, des richesses convoitées

Cheminées hydrothermales occupées par des espèces endémiques. Ces espèces endémiques vivent dans des écosystèmes hydrothermaux. - Ifremer
Cheminées hydrothermales occupées par des espèces endémiques. Ces espèces endémiques vivent dans des écosystèmes hydrothermaux. - Ifremer
Cheminées hydrothermales occupées par des espèces endémiques. Ces espèces endémiques vivent dans des écosystèmes hydrothermaux. - Ifremer
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Malgré le froid et l'obscurité, les grands fonds marins, encore trop peu explorés, abritent une grande diversité d’espèces. On y trouve aussi des métaux, parfois précieux, qui attirent désormais les industriels. Faut-il exploiter les ressources de ces abysses ? Avec quels risques ?

Avec
  • Joachim Claudet Directeur de recherche CNRS au Centre de recherches insulaires et observatoire de l’environnement (CRIOBE)

Des grands fonds marins, on sait encore peu de choses :  80 % de ces zones sombres et froides sont à ce jour inexplorées.
Mais les scientifiques s’intéressent à la biodiversité et aux écosystèmes des grandes profondeurs. Car dans ce milieu inhospitalier vivent de nombreuses espèces rares, pour une bonne part encore non recensées.

Essaim de crevettes (Rimicaris exoculata) et modioles sur le site hydrothermal Logatchev
Essaim de crevettes (Rimicaris exoculata) et modioles sur le site hydrothermal Logatchev
- Ifremer

Les profondeurs océaniques recèlent aussi d’autres trésors, comme ces métaux précieux qui font briller les yeux des industriels. Nickel, cuivre, manganèse et cobalt sont de plus en plus recherchés, notamment pour la production de batteries électriques, de panneaux solaires ou de smartphones. On les trouve dans des amas sulfurés, ou sous forme de nodules polymétalliques.
Ces gisements sont convoités depuis longtemps. Mais aujourd'hui, la question de leur éventuelle exploitation se pose de façon beaucoup plus concrète.
D'abord parce que la technologie progresse. Les premiers bathyscaphes ont fait place à des robots autonomes capables de se déplacer au fonds des océans. Désormais, il existe des observatoires de fonds de mer ; des drones sous-marins permettent de cartographier peu à peu les plaines abyssales.

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l'équipage remonte le HROV Ariane sur le navire polyvalent de recherches océanographiques Le Suroît.
l'équipage remonte le HROV Ariane sur le navire polyvalent de recherches océanographiques Le Suroît.
- Ifremer

Ces fonds se situent pour les trois quarts en deçà de 3 000 mètres de profondeurs. Mais y récupérer des minerais est désormais possible. Certaines entreprises font déjà des essais in-situ. Il y a quelques semaines encore, fin 2022, l'entreprise canadienne The Metals Company a testé son système de collecte dans la zone de Clarion-Clipperton, entre Hawaï et le Mexique. En un mois, elle a collecté environ 3 000 tonnes de roches. 
L'entreprise belge GSR a conçu un robot autonome, Patania II, qui avance sur ces mêmes fonds. Pour son directeur général, Kris Van Nijen, collecter ces métaux au fond de l'eau est la meilleure d'assurer une transition énergétique.

Quels risques d'une telle activité pour les écosystèmes marins et pour la biodiversité ?

On assiste aujourd'hui à une sorte d'intensification des enjeux autour des abysses. Le tout dans un contexte de grande urgence climatique. C'est aussi pour cela que les scientifiques travaillent beaucoup à rendre visible la vie de ces grands fonds, aujourd'hui méconnue du grand public.

"On ne peut bien protéger que ce que l'on connait" répètent les chercheurs de l'Ifremer. Dans de multiples disciplines, ces scientifiques développent des connaissances sur la gestion des ressources. Ils travaillent sur les liens entre océans et climat, sur la biodiversité. Et ils multiplient les découvertes sur un monde encore pour l'essentiel inconnu. Sur les étagères des laboratoires, s'alignent les spécimens d'espèces vivant au fonds des mers.

Les chercheurs de l'Ifremer étudient les écosystèmes des grands fonds
Les chercheurs de l'Ifremer étudient les écosystèmes des grands fonds
© Radio France - Catherine Petillon

Permis d'exploiter

Les États l'ont bien compris : l'accès à l'océan et à ses ressources est un enjeu géostratégique majeur. Chaque pays y voit un instrument potentiel de sa propre puissance. Et espère avoir du poids dans les négociations actuelles pour établir les règles qui doivent avoir cours en haute mer. Car les abysses sont un espace commun. Ils appartiennent à tout le monde et à personne.
Alors en 1994, les Nations unies ont créé l'Autorité internationale des fonds marins, l'AIFM. Basée à Kingston, en Jamaïque, elle est chargée de réglementer une future exploitation éventuelle des gisements en haute mer.
Et d'organiser l'activité actuelle autour de ces ressources minérales. À ce jour, l'AIFM n'a donné aucune autorisation de les exploiter. En revanche, elle a délivré 31 permis d'exploration. Dont deux à la France. L'un dans la zone de Clarion Clipperton, l'autre dans l'Atlantique Nord. Et c'est à l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (L'Ifremer) que la France a confié la gestion de ces contrats.
Au niveau national, chaque pays fait ce qu'il veut dans ses eaux territoriales, sa ZEE, pour zone économique exclusive.
La France a le deuxième plus grand domaine maritime au monde. Plus de 10 millions de km2.
Fin 2021, à Marseille, lors du congrès mondial de "l'Union internationale pour la conservation de la nature", elle n'avait pas voulu approuver une résolution appelant à un moratoire sur l'exploration et l'exploitation des grands fonds. Alors, quand un an plus tard, à la COP27 en Egypte, le président Emmanuel Macron appelle à interdire toute exploitation, sa prise de position crée la surprise.
D'autant plus qu'un an plus tôt, Emmanuel Macron avait salué la définition d'une "stratégie nationale d'exploration et d'exploitation des ressources minérales dans les Grands fonds". Et 300 millions d'euros avaient été prévus dans le cadre du programme d'investissements France 2030. Afin de soutenir le développement du tissu industriel dans ce domaine.

Quelles activités mener dans les grands fonds ? Les discussions entre États reprendront en mars puis en juillet 2023 au sein de l'Autorité internationale des fonds marins.

Remerciements au TEATR PIBA pour la création sonore issue du spectacle Donvor

Géographie à la carte
59 min

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