Witold Gombrowicz, l'auteur de la "gueule" et du "cucul"

À travers ses œuvres, Witold Gombrowicz nous apprend à avoir un rapport critique au monde ©Getty - Garthe/ullstein bild
À travers ses œuvres, Witold Gombrowicz nous apprend à avoir un rapport critique au monde ©Getty - Garthe/ullstein bild
À travers ses œuvres, Witold Gombrowicz nous apprend à avoir un rapport critique au monde ©Getty - Garthe/ullstein bild
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Esprit de contradiction, ironie, provocation, l’écrivain polonais exilé, européen et universel Witold Gombrowicz faisait des pirouettes et des pieds-de-nez à tout bout de champ, aimant tout simplement être la négation de tout ce qu’affirmait son interlocuteur.

Avec
  • Rita Gombrowicz Spécialiste en littérature
  • Mariola Odzimkowska Traductrice, spécialiste en littérature et théâtre

Witold Gombrowicz était un écrivain polonais, européen, universel. Exilé près de vingt-cinq ans en Argentine, puis quelques années en Allemagne et en France, où il meurt à Vence en 1969 près de sa femme Rita.

Sa vie durant, Witold Gombrowicz s’est tenu à l’écart de tout courant politique ou esthétique, de toute mode littéraire et posture intellectuelle. Son œuvre, profondément ancrée dans la culture européenne est répartie en "valises"  selon son expression : sept romans, trois pièces de théâtre, des entretiens, un cours de philosophie, des chroniques et un Journal tenu entre 1953 et 1969.

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Esprit de contradiction, ironie, provocation, Witold Gombrowicz fait des pirouettes et des pieds-de-nez, à tout bout de champ. Tantôt défenseur de l’immaturité, tantôt procureur de la jeunesse ; un jour moderniste, et résolument anti-moderne le lendemain. Contre Paris, contre le Nouveau Roman, contre Dante, contre Sartre, contre le sérieux, contre la Pologne, contre la poésie, mais pour l’aristocratie, pour la nudité, pour la banalité, pour tout ce qu’il baptise les "sous-valeurs" dans nos existences.

"Je n’idolâtrais pas la poésie, je n’étais pas excessivement progressiste ni moderne, je n’étais pas un intellectuel typique, je n’étais ni catholique, ni communiste, ni homme de droite, je ne vénérais ni la science, ni l’art, ni Marx – qu’étais-je donc ? Le plus souvent, j’étais simplement la négation de tout ce qu’affirmait mon interlocuteur"Witold Gombrowicz, Contes et romans, Paris, Gallimard, coll. Quarto , 2018

Les Nuits de France Culture
4 min

Ulysse Manhes est en compagnie de Rita Gombrowicz, femme de Witold Gombrowicz, chercheuse en littérature d'origine canadienne, et de Mariola Odzimkowska, traductrice, enseignante, chercheuse en littérature et théâtre. Elle travaille avec Rita Gombrowicz à la gestion du fonds Gombrowicz partout à travers le monde (Argentine, Pologne, Japon, Allemagne, France…).

"J'ai rencontré l'écrivain avant de connaître l'homme"

Rita Gombrowicz a rencontré l'écrivain avant de connaître l'homme. "Je n'avais pas encore lu son œuvre et il me disait : 'Mon œuvre c'est comme un voyageur avant la guerre, c'est très chic'. Il venait d'une famille aisée et pour voyager, il avait un ensemble de valises. Une petite valise dans laquelle il mettait ses comptes, deux moyennes valises pour y mettre ses romans et son journal, et ensuite une grande valise pour son théâtre. Et moi, plus d'une cinquantaine d'années après sa mort, je ne fais qu'ouvrir ses valises et découvrir ce qu'il y a dedans."

Un écrivain entre deux mondes qui rêvait d'être européen

"Witold Gombrowicz se considérait et s'assumait comme polonais (...). Mais il en prenait aussi toutes les limites et tous les complexes qu'il essayait de dépasser. La Pologne, c'était le pays qui était entre l'Est et l'Ouest. Il se définissait d'ailleurs comme une personne 'entre deux mondes', autrement dit jamais complètement réalisée et toujours en marge des pays de l'Ouest. En même temps, il rêvait d'être européen. Il considérait que l'Europe est plus importante que la patrie. Pour dépasser la patrie, il affirmait : 'Soyons européens !' C'était avant la création de l'Europe. Il était en avance sur son temps", confie son épouse Rita Gombrowicz.

Les cultures en marge doivent lutter pour s'imposer dans le monde littéraire

"Witold Gombrowicz avait l'ambition de devenir un grand écrivain mais c'était la lutte pour s'imposer dans le monde littéraire. Car quand on appartient à ce qu'il appelait 'les cultures secondaires', 'les cultures en marge' comme celles issues de tous les pays d'Europe de l'Est ou d'Europe centrale, l'Argentine, le Canada, le Québec et inversement quand on n'appartient pas à de grandes nations comme l'Angleterre ou la France qui ont des grandes cultures réputées, il faut lutter", raconte Rita Gombrowicz. "Selon lui, il faut premièrement exprimer son propre complexe, c'est-à-dire comprendre quelles sont nos limites, ne pas se mentir à soi-même, être honnête intellectuellement et ensuite essayer de les dépasser".

Pour Mariola Odzimkowska, Witold Gombrowicz ne voulait pas non plus que l'écriture polonaise soit placée dans les "littératures périphériques" : "Dans ses feuilletons 'Souvenir de Pologne', il écrit d'ailleurs qu'il va prendre par les cornes le taureau de la supériorité occidentale pour s'imposer en tant qu'écrivain et ne pas sentir ce problème d'infériorité par rapport à l'Occident."

"Je suis l'auteur de la 'gueule' et du 'cucul'"

Qu'est que Witold Gombrowicz veut dire par là ? En réalité, il parle de l'infantilisation. "La 'gueule', c'est la déformation qu'un individu fait subir à un autre", explique Rita Gombrowicz. "Par exemple, si je m'adresse à vous, qui êtes une personne intelligente et que je vous traite d'imbécile, je vous fais alors une 'gueule'. C'est une déformation. Le 'cucul' c'est la même chose mais dans le sens de l'immaturité. Si par exemple, vous avez 20 ans et que je vous traite comme un petit enfant en vous disant "petit Ulysse", alors là, c'est l'infantilisation".

Réécouter l'émission dans son intégralité en cliquant sur l'icône "▷" situé en haut de la page.

Générique

  • [Livre]  Witold Gombrowicz, Contes et romans, Paris, Gallimard, coll. Quarto , 2018
  • [Livre] Rita Gombrovicz, Gombrovicz en Argentine : témoignages et documents, 1939-1963, éditions Noir sur blanc, 1984
  • [Musique] Warsaw Village Band, "Uwodzenie"

Remerciements

Dans le cadre de l'émission des Voix d’Europe Centrale, Ulysse Manhes tient sincèrement à remercier : le Centre tchèque de Paris, l’ Institut Liszt - Centre Culturel Hongrois Paris, la Bibliothèque polonaise à Pari , Fanny Mossière, éditrice aux éditions Noir sur Blanc, Marilou Pierrat, responsable des traductions chez Albin Michel, Soufiane Khousna de Gallimard et le romancier et philosophe Pascal Bruckner, ainsi que toutes les personnes qui ont œuvré dans l'ombre à la fabrication de cette émission.

Les émissions d'Ulysse Manhes sont à écouter dans en intégralité en cliquant ci-après :  Écoutez et abonnez-vous à la collection de podcasts " Voix d'Europe cen trale"

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