1955, Le manifeste de Bandung

C’est en avril 1955 que va prendre politiquement corps ce que l’on va longtemps appeler le Tiers-Monde. Tiers-Monde, une expression lancée Alfred Sauvy en référence au Tiers États, celui de l’Ancien régime. C’est dire l’appréciation portée sur la place de ces peuples « ignorés et exploités » dans l’ordre du monde et qui pourtant rassemblent la moitié de la planète. Ces peuples à peine libérés de la colonisation ou encore dominés par des puissances occidentales aspirent à être quelque chose. A Bandung ils espèrent faire entendre leurs voix dans ce climat qu’on appelle la « guerre froide » où se font face à face les États-Unis et leurs alliés européens, d’un côté, l’Union soviétique de l’autre. Et c’est donc à Bandung, dans l’Ile de Java, que se retrouvent des dirigeants de puissances en gestation comme l’Indien Nehru ou le Chinois Chou En-Lai. Et des représentants de mouvements de libération en lutte, en particulier contre la France, le FLN algérien, le néo-Destour tunisien, ou l’Istiqlal marocain.

D’autres figures sont aussi là comme le chypriote Monseigneur Makarios.

Au total 29 États et 30 mouvements de libération qui constituent une assemblée improbable. Des pays communiste alors que la Russie soviétique n’est officiellement pas invitée et doit se contenter d’un observateur, c’est un signe sur lequel nous reviendrons. Mais sont aussi présents des alliés des « Occidentaux, comme la Turquie membre de l’Otan. Mais aussi le Japon, et même le Sud-Vietnam qui ne souhaite pas s’unifier avec un Nord communiste dirigé par un Ho Chi Min, autre figure, qui vient de défaire les Français à Diem Bien Phu. Mais l’Amérique latine est absente. Autre interrogation ?

Bandung est un évènement médiatique autant que militant. 400 journalistes parmi les plus connus du moment s’y pressent. Mais aussi des observateurs mandatés par des puissances qui souhaitent prendre la température de l’aspiration des peuples à l’autodétermination. Léopold Sédar Senghor, envoyé spécial du gouvernement français dont il est alors membre ne va pas tarder à qualifier l’évènement de « coup de tonnerre ». En sortira un communiqué final, un manifeste en écho des discours passionnés qui se firent entendre ces quelques jours.

Invités :

• Delphine Allès : Professeure des universités en science politique, vice-Présidente de l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO), spécialiste de l’Asie du Sud Est. Ouvrages récents : La part des dieux. Religion et relations internationales (2021, CNRS Éditions) et Paix et sécurité : une anthologie décentrée (co-dirigé avec Mélissa Levaillant et Sonia Le Gouriellec, 2023, CNRS Éditions).
• Bertrand Badie : Spécialiste des relations internationales, Professeur émérite des Universités à Sciences Po Paris. Auteur de très nombreux ouvrages, dont le dernier Vivre deux cultures.  Publication récente : Comment peut-on naître franco-persan? Paris, Odile Jacob, 2022.

Bibliographie :

• L'ère des décolonisations : sélection de texte du colloque Décolonisation comparée, Aix-en-Provence, 30 sept.-3 oct. 1993, sous la direction de Charles-Robert Ageron, Marc Michel, ed Karthala, 1995
• Histoire de la décolonisation au XXe siècle , Bernard Droz, ed Seuil, 2006 / Points 2009
• Décolonisations et émergence du tiers monde , Marc Michel, ed Hachette, 2005
• Le temps des humiliés : pathologie des relations internationales , Bertrand Badie, ed O. Jacob, 2014
• Quand le Sud réinvente le monde : essai sur la puissance de la faiblesse , Bertrand Badie, La Découverte, 2018