Médias : comment se passer des milliardaires ?

Les employés du Journal du Dimanche (JDD) se tiennent devant le bâtiment du JDD lors de leur 13ème jour de grève, à Paris, le 5 juillet 2023. ©AFP - Alain Jocard
Les employés du Journal du Dimanche (JDD) se tiennent devant le bâtiment du JDD lors de leur 13ème jour de grève, à Paris, le 5 juillet 2023. ©AFP - Alain Jocard
Les employés du Journal du Dimanche (JDD) se tiennent devant le bâtiment du JDD lors de leur 13ème jour de grève, à Paris, le 5 juillet 2023. ©AFP - Alain Jocard
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L’arrivée de Geoffroy Lejeune au JDD aujourd’hui (1er août) et la grève des salariés du journal réactivent les débats autour de l’indépendance des journalistes et des médias en général. Comment le financement d’un média influence-t-il le contenu qu’il propose ?

Avec
  • Benoît Huet (Avocat) Avocat au barreau de Paris, cofondateur du cabinet Avrillon-Huet
  • Johan Weisz Journaliste, co-fondateur du site Streetpress
  • Isabelle Roberts Codirectrice de la rédaction et présidente-cofondatrice du site Les Jours
  • Patrick Eveno Professeur émérite d'histoire contemporaine à l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne, spécialiste de l’histoire des médias, président de l'Observatoire de la déontologie de l'information

Après 40 jours de grève contre l'arrivée du journaliste d'extrême droite Geoffroy Lejeune à la direction du JDD, le mouvement de protestation s'est arrêté aujourd'hui. Les journalistes du Journal du Dimanche ne sont pas parvenus à obtenir la révocation de l'ancien directeur de Valeurs actuelles à la tête du journal.

La question de la concentration de la presse, de l'ingérence des actionnaires sur la ligne éditoriale se pose de nouveau. Une proposition de loi transpartisane pour l'indépendance des rédactions a été déposée et en septembre, des états généraux de l'information sont annoncés. Cette réaction du politique sera-t-elle suffisante pour préserver une valeur essentielle à notre vie démocratique?

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Pour y répondre, François Saltiel, Benoît Huet, avocat au barreau de Paris, enseignant à l'Essec, co-auteur avec Julia Cagé de L'information est un bien public (Seuil, 2021), Johan Weisz, fondateur du média en ligne Street Press et Isabelle Roberts, journaliste, présidente et co-fondatrice du journal en ligne Les Jours et Patrick Eveno, historien des médias.

La stratégie de Vincent Bolloré

Isabelle Roberts, co-fondatrice du journal en ligne Les Jours, explique la stratégie de Vincent Bolloré :  "Malheureusement, ce que montrent les précédents cas, que ce soit iTélé, la rédaction des sports de Canal Plus, Europe1, Paris Match, c'est que c'était joué d'avance. C'est à dire que c'est un plan bien huilé qui qu'applique Vincent Bolloré, qui est très content de lui d'ailleurs, qu'il trouve que ce qu'il a fait à iTélé est une grande réussite et donc qu'il applique média après média. Cette méthode est en fait consiste à supprimer des journalistes et les remplacer par d'autres journalistes qui eux feront un journalisme qui lui conviendra et qui sera en adéquation avec son idéologie."

Benoît Huet, professeur à l'Essec, insiste sur le caractère problématique de la stratégie de Vincent Bolloré :"Ce qui est problématique, c'est précisément cette ingérence éditoriale, c'est à dire que l'actionnaire ne reste pas à sa place d'actionnaire et vienne franchir cette barrière. Il vient mettre les pieds dans la rédaction où il ne devrait pas être. Alors que le journalisme a en soi cette notion d'indépendance qui est prévue dans de nombreux de textes qui encadrent la profession. Et je pense que ce que fait actuellement le groupe Vivendi via Arnaud Lagardère est particulièrement spectaculaire en ce sens là. Et ils profitent de failles dans la loi où il a trouvé des espaces libres pour imposer cette vision du monde."

Patrick Eveno, historien des médias réagit : "D'abord, la Bollorisation du groupe Lagardère a commencé en 2021. Alors, pourquoi les trois rédactions ne sont se sont elles pas unies pour faire face ensemble contre la bollorisation? Parce que c'est ça qui posait problème et ils ont laissé faire. Et donc se pose le problème du statut de l'entreprise de presse. Ça fait depuis 1945 qu'il y a eu plus de 25 propositions projet de loi, et un rapport parlementaire sur un statut spécifique d'une entreprise de presse, actuellement, on se heurte à une réalité fondamentale : les journalistes sont des salariés. Ils sont donc dépendants de leur employeur."

Pour Benoît Huet, fondateur de StreetPress,  l'information ne relève pas du droit commun : "la presse par les médias en général ne relève déjà pas du tout du droit commun. C'est à dire que ça fait déjà plus de 100 ans qu'il y a des évolutions législatives là dessus. Depuis 1935, l'introduction de la clause de conscience de la clause de cession pour les journalistes à dire le fait qu'ils aient le droit de quitter leur journal, d'en démissionner en recevant des indemnités, d'être traités comme si ils étaient à licencier lorsqu'un changement de contrôle ou lorsqu'un changement de ligne éditoriale radical. Ça, par exemple, c'est dérogatoire de droit commun. Il y a un régime dérogatoire de droit commun sur les concentrations dans les médias qui ne sont pas traités comme les autres secteurs d'activité, et je pense qu'il y a un consensus. Le client n'est pas d'accord, mais sur le fait que l'information n'est pas un bien comme les autres, qui ne peut pas être traitée comme les autres secteurs de l'économie."

Une transparence nécessaire aujourd'hui ?

Johan Weisz souligne la nécessité de transparence pour les lecteurs : "Nous journalistes, on est là, pour délivrer une information que les lecteurs et lectrices, les internautes doivent croire. Ils doivent avoir confiance en nous et c'est toute la question du sens de ce qu'on fait quand on est journaliste. Et la question qui se pose c'est comment l'information qu'on va délivrer, elle va avoir de la valeur pour les gens qui nous lisent. Et cette valeur là, elle existe que si entre l'émetteur, le journal, les journalistes et le récepteur, les citoyens qui nous lisent, il y a de la confiance. Et cette confiance là, il faut créer des cadres justement pour qu'elle puisse exercer une de ses fonctions et donc il faut de la transparence."

Cependant, Patrick Eveno nuance : "Alors il y a eu des bons milliardaires. Et je citerai surtout le cas de Libération qui, depuis 1981, a connu Antoine Riboud comme financeur PDG de Gervais-Danone, ensuite Jérôme Seydoux, PDG de Chargeurs Pathé et ensuite Edouard de Rothschild, réputé proche de Sarkozy et qui n'a pas transformé Libération en un journal sarkozyste. Il y a des milliardaires qui ont aussi sauvé la presse et il faut quand même y penser. Et finalement, quand vous regardez Les Echos, même où on dit qu'il y a des frictions entre Bernard Arnault et la direction de la rédaction,  il y a quand même un certain nombre de clauses. Et dans tous ces journaux comme La Croix, Libération, Le Monde ou Les Echos, il y a eu une charte qui a été négociée entre l'actionnaire et la rédaction et cela permet d'avoir des garde fous. Mais ça a été le résultat d'une négociation dont effectivement, Bolloré ne veut pas."

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