Portrait d'un philosophe décalé : épisode • 1/5 du podcast Avoir raison avec... Günther Anders

Portrait de Günther Anders ©AFP - Barbara Pflaum / IMAGNO / APA-PictureDesk
Portrait de Günther Anders ©AFP - Barbara Pflaum / IMAGNO / APA-PictureDesk
Portrait de Günther Anders ©AFP - Barbara Pflaum / IMAGNO / APA-PictureDesk
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L'oeuvre du philosophe allemand Günther Anders, né en 1902 et mort en 1992, continue d'alerter nos contemporains. Comment Anders traversa-t-il un XXe siècle empreint de catastrophes ? Quelle fut sa méthode d'analyse du présent ? Pourquoi le redécouvrir maintenant ?

Avec
  • Karin Parienti-Maire Sociologue

Une fois n'est pas coutume, il y a un homme derrière la femme. La femme, c'est Hannah Arendt, l'homme, Günther Anders. Celui dont nous allons parler dans cette série est d’abord une figure d’intellectuel comme on n’en fait plus : né en 1902 et mort en 1992, il traversa le siècle et propose une oeuvre immense, encore en large partie inédite même dans sa langue originale, et qui nous aide à penser notre temps. La catastrophe à venir et la barbarie passée, ou encore l’irruption de la technologie dans notre monde et nos vies, voilà quelques-uns des thèmes qu’il explore inlassablement et sous de multiples formes allant du roman à l’interview imaginaire, de l’essai à la fable en passant par les correspondances.

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Pourquoi Günther Anders est-il encore relativement méconnu en France ? Pourquoi son oeuvre mérite-elle a contrario une attention majeure ? Dans ce premier épisode de notre série, notre invitée Karin Parienti-Maire nous aide à saisir la place singulière qu'occupe Günther Anders dans l'espace intellectuel et médiatique.

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Et Günther Stern devint Günther Anders

Le nom d'Anders n'est qu'un pseudonyme pour celui qui naît sous le nom de Günther Stern. Fils des psychologues Clara et Wilhelm Stern (l'inventeur du Quotient Intellectuel), il grandit à Breslau et sert, avec ses autres frères et soeurs, de cas d'étude pour ses parents. C'est ensuite à son tour de se saisir de son sens de l'observation au fil d'études brillantes : de 1921 à 1926, il est l'élève de Husserl, qui dirige sa thèse, et de Heidegger à Fribourg. Suivant ce dernier à Marbourg, il rencontre alors Hans Jonas ainsi que sa future épouse Hannah Arendt, et devient assistant de Max Scheler. Alors qu'une carrière universitaire brillante semble s'offrir à lui, il échoue dans son projet d'habilitation à Francfort, et devient journaliste au journal berlinois Börsen Courier . C'est là qu'il emprunte pour la première fois le nom de "Anders" qui signifie "Autrement" en allemand, manière élégante de présenter son regard singulier sur le monde.

Vers une philosophie du décalage

Après un premier exil en France en 1933, Günther Anders part pour les Etats-Unis en 1936. Ce sera sans Hannah Arendt avec qui il divorce en 1937. Son exil américain est fait de petits boulots, parmi lesquels accessoiriste à Hollywood. Ouvrier du temple de l'industrie culturelle, Anders amorce alors un travail de critique de la culture et de la technique. Quand vient le temps du retour en Europe (à Vienne où il s'installe en 1950), Anders publie son chef d'oeuvre, le premier tome de L'Obsolescence de l'homme (1956) dans lequel il développe sa philosophie du décalage (Diskrepanzphilosophie ).

Un philosophe de circonstances

Ebranlé par les catastrophes d'Hiroshima et de Nagasaki, Anders devient militant anti-nucléaire et entreprend une correspondance restée célèbre avec Claude Eatherly, pilote d'avion ayant assisté le largage de la bombe sur Hiroshima le 6 août 1945 . En 1964, sa poignante lettre ouverte adressée à Klaus Eichmann, fils du criminel nazi, reste cette fois sans réponse (Nous, fils d'Eichmann). Rien n'y fait, Anders continue d'interpeller ses contemporains, que ce soit en tant que juré lors du Tribunal Russel contre les crimes de guerre perpétrés par les Américains au Vietnam (1967) ou en tant qu'écrivain, aussi prolifique que politique. Le deuxième tome de L'Obsolescence de l'homme paraît en 1980. C'est en pleine préparation d'un troisième tome que Günther Anders tire sa révérence un jour de décembre 1992 dans sa maison de santé à Vienne, laissant derrière lui une oeuvre vivante, inclassable et foisonnante.

"Günther Anders affirmait être un philosophe de circonstances, c’est-à-dire qu'il affirmait avoir une parole hybride entre la métaphysique et le journalisme. Il voulait s’adonner à saisir, à l’intérieur même du singulier, ce qu’il y avait d’essentiel. C’est une méthode qui est à la fois hybride et très peu académique, ce qui explique pourquoi il n’a pas eu de reconnaissance académique." Karin Parienti-Maire

Pour en parler :

Karin Parienti-Maire est professeure d'allemand, de français et de sciences sociales en Allemagne à Fribourg. Elle a notamment co-dirigé avec Christophe David un numéro de la revue Tumultes consacré à Günther Anders qui a paru en 2007 aux éditions Kimé : Günther Anders, agir pour repousser la fin du monde.

Références sonores :

  • Archives de Günther Anders, introduisant la lecture de son texte "L'Avenir pleuré d'avance"
  • Lecture par Jules Barbier de Günther Anders, Et si je suis désespéré, que voulez-vous que j’y fasse ?, Entretien avec Mathias Greffrath réalisé en 1977 et paru dans Die Zerstörung einer Zukunft. Trad. Christophe David, p. 35-37
  • Lecture par Jules Barbier de Günther Anders, "“Hors limite” pour la conscience : Correspondance avec Claude Eatherly, le pilote d’Hiroshima (1959-1961)" in Hiroshima est partout, Seuil, 1995 (2008 pour la version française)

Pour aller plus loin :

Remerciements

Nous tenons à remercier chaleureusement notre invité Rares Badescu pour avoir déniché des archives de Günther Anders jusqu'alors inédites aux archives de Vienne et Gerhard Oberschlick pour nous avoir autorisé à les diffuser. Un grand merci également à Joséphine Betzer, stagiaire chargée d'édition numérique, pour son aide précieuse.

L'équipe