Russie : quelle voix pour la dissidence ?

Répression d'une manifestation de soutien à l'opposant Alexei Navalny, à Saint-Petersbourg le 21 avril 2021 ©AFP - Olga MALTSEVA
Répression d'une manifestation de soutien à l'opposant Alexei Navalny, à Saint-Petersbourg le 21 avril 2021 ©AFP - Olga MALTSEVA
Répression d'une manifestation de soutien à l'opposant Alexei Navalny, à Saint-Petersbourg le 21 avril 2021 ©AFP - Olga MALTSEVA
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En Russie, la sévère condamnation d'Alexeï Navalny vient marquer une série d'emprisonnements d'opposants de tous bords. Militants, chercheurs, journalistes ou simple citoyen, les peines infligées à ces hommes et ces femmes terrorisent-elles les russes ou peuvent-elles soulever les consciences ?

Avec
  • Alexander Bikbov Sociologue, chercheur associé au Centre d'études des Mondes Russe, Caucasien & Centre-Européen - CERCEC (EHESS/CNRS).
  • Olga Prokopieva Porte parole de l'association Russie-libertés
  • Aglaé Achechova Chargée du domaine russe à la BULAC (Bibliothèque universitaire des langues et civilisations), docteur en histoire de l'art et membre de la bibliothèque Tourgueniev à Paris.
  • Galia Ackerman Journaliste, historienne, spécialiste du monde russe

Une répression accrue

Pour la porte-parole de Russie-libertés, Olga Prokopieva, les répressions s'accentuent de jour en jour et cela avant le début de l'invasion en Ukraine. Bien sûr, depuis la guerre ces répressions ont pris encore un autre tournant avec des condamnations encore plus lourdes. On parle beaucoup de condamnations exemplaires qui sont destinées à faire peur et à faire taire tous ceux qui oseraient encore critiquer. Pour le sociologue Alexander Bikbov, le début de la guerre a été marqué par le très grand nombre de comparutions immédiates pour les manifestants présents dans les rues. De plus, l'institution politique s'est mise au diapason des enjeux. Au départ c'était surtout le ministère de l'intérieur et le ministère de la justice qui était les protagonistes majeurs de la répression politique. LE FSB (service de renseignements russe), qui traitait avec "parcimonie" les cas de haute trahison, a multiplié par 5 le nombre de dossiers traités depuis 2022. D'après une enquête journalistique, le FSP traiterait jusqu'à 1 nouveau cas par jour, c'est dû jamais vu depuis la fin de l'URSS.
Pour revenir sur les citoyens qui comparaissent immédiatement, Aglaé Achechova précise que cela concerne bien souvent des personnes qui ont juste prononcé le mot "guerre", collé un sticker ou fait un graffiti. Un ensemble de choses qui rappelle aux citoyens la réalité : la guerre existe.
Galia Ackerman rappelle que l'expression "agent de l'étranger" est un terme qui a été introduit il y a une dizaine d'années. C'était plutôt quelque chose d'exceptionnel, alors que maintenant, n'importe qui, n'importe quel journaliste, n'importe quel sociologue ou écrivain peut être appelé à avoir ce sobriquet d'agent de l'étranger.

Quelle(s) opposition(s) ?

Y-a-t-il une opposition politique en Russie ? Olga Prokopievail n'y a pas d'élections libres donc on ne peut pas vraiment parler d'opposition politique mais plutôt de dissidence et d'opposition d'ordre privé, dans la vie de tous les jours, au régime et à la guerre. 
Pour Galia Ackerman, effectivement on ne peut pas parler d'opposition en Russie. Toutefois, il y a en a une à l'étranger, celles des opposants exilés. Dans cette opposition, il y a bien évidemment un courant pacifique, représenté par Olga Prokopieva, mais il faut dire qu'il y a des gens qui appellent pratiquement à la révolution et au soulèvement armé en déclarant qu'il n'y a pas d'autres moyens conquérir la liberté. Comme par exemple, un des ténors de l'opposition: Mikhaïl Khodorkovski.
Alexander Bikbob rappelle également certaines dissidences citoyennes. Dans le cas du territoire russe, il y a clairement un essoufflement de la résistance de rue parce que le contexte répressif empêche nettement ce type de résistance. Mais par exemple, si on jette un regard sur l'école secondaire, on trouve des dizaines et probablement des centaines de professeurs d'écoles qui refusent de relayer la propagande mythologique d'aujourd'hui. Certains sont expulsés mais certains restent. Ça passe assez souvent sous les radars sous le prétexte que ce n'est pas une véritable résistance. Or, selon moi, le principal terrain de la Résistance, c'est la culture.

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La culture, dernière ressource pour les dissidents et les exilés ?

Aglaé Achechova La guerre existe et ce n'est pas seulement les drones qui le rappel aux russes, c'est aussi ces manifestations de la créativité artistique qui tentent d'être occultées. D'une certaine manière l'art et la culture russe dans la réalité soviétique de l'époque où on développait une langue d'Esope, une langue de métaphores. Pour rappel, dans les années 30, les écrivains comme Eugen Schwartz, l'auteur et dramaturge de Dragons, pièce très marquante, se sont mis d'accord de parler au quotidien qu'en citant les grands auteurs comme Platon ou Aristote car personne ne peut censurer ces écrivains. En faisant cela, personne ne peut vous dénoncer.
Aujourd'hui comment cela se passe ? Avec internet, on peut échanger plus facilement et plus rapidement qu'avant. De cette façon les artistes, les poètes peuvent partager plus facilement leurs œuvres même si le pouvoir tente de fermer certains comptes. 
Olga Achechova Oui, la culture reste un champ où il y a des choses qui sont encore possibles même si elles sont aussi condamnables. Je pense à Artyom Kamardin  qui avait lu des poésies sur une place moscovite où il avait pour habitude de se réunir avec des amis et de lire des poèmes. Sauf qu'une fois ils ont choisi des recueils plutôt anti-guerre et ils ont été arrêtés. Certaines figures de la littérature ont été estampillées "agent de l'étranger".
Aglaé Achechova. De l'autre côté, les livres nous permettent de voir les parallèles ou les échos entre les générations précédentes et aujourd'hui. Les gens qui arrivent à la bibliothèque Tourgenev demandent beaucoup les mémoires et les souvenirs des gens de l'émigration postrévolutionnaire. Ils se reconnaissent tellement dans certains passages que si vous gommez l'année, vous ne savez pas s'il s'agit de 1922 ou 2022. La préfecture, les visas, s'installer, trouver le logement, trouver du travail, tout ça c'est très actuel. Dans ce travail de mémoire, la bibliothèque aide également à rédiger des lettres pour les prisonniers pour que le lien entre extérieur et intérieur puisse être maintenu.

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