L'homme n'est pas un animal économique

"Aucune société ne saurait naturellement vivre, même pour peu de temps, sans posséder une économie d’une sorte ou d’une autre ; mais avant notre époque, aucune économie n’a existé qui fût, même en principe sous la dépendance des marchés."

Pour défendre cette position bien tranchée, retracer un siècle d’histoire économique ne suffisait visiblement pas à Karl Polanyi. Après avoir publié La Grande Transformation, il est plus que jamais déterminé à démontrer qu’une société entièrement gouvernée par les lois du marché n’a rien de naturel ni d’universel. Il n’hésite donc pas à remonter plus loin encore dans le temps. Des marchands de Babylone, au fonctionnement de l’économie en Grèce antique en passant par le Dahomey, il se fait anthropologue et montre qu’il existe d’autres façons d’organiser l’économie, sans passer par un marché tout-puissant. "Nous avons, dit-il, de bonnes raisons pour insister sur ce point avec toute l’énergie dont nous sommes capables."

Penser une économie proprement démocratique : le recours à l'anthropologie

Alain Caillé explique que l'enjeu de l'histoire entreprise par Karl Polanyi, qui consiste en une exploration anthropologique des sociétés dites traditionnelles par opposition aux sociétés industrielles, se trouve dans la recherche d'une économie qui soit compatible avec le système démocratique : "Le véritable objet de Polanyi, c'est de repenser la démocratie, l'économie qui peut être adaptée à une démocratie authentique (...). Et son obsession, c'est d'apporter la preuve que la démocratie ne repose pas sur le marché."

En ceci, Polanyi offre une véritable réconciliation des disciplines : "Pour les économistes, tout repose, sauf cas particulier, sur les calculs d'individus rationnels. Pour les anthropologues, pour les sociologues, au contraire, la société repose sur tout autre chose. Et donc Polanyi a apporté le moyen de lier ces deux champs."

L'étude de l'économie de subsistance pour repenser le Marché

En s'appuyant sur la notion d'économie de subsistance, Karl Polanyi veut montrer que l'homme n'est pas tant un être de besoins qu'un être en recherche de reconnaissance par ses pairs. Si bien sûr, précise Alain Guéry, l'économie de subsistance a donné lieu à des crises et donc à des famines, l'enjeu pour Polanyi est surtout d'ériger un modèle économique, "de refonder la science économique, en la resituant pour ce qu'elle est finalement, c'est-à-dire la branche de la sociologie qui s'occupe seulement des relations à base d'intérêts." La thèse du penseur consiste ainsi à montrer que "les moyens de satisfaire les besoins, notamment les besoins matériels, peuvent être obtenus tout à fait indépendamment de l'économie de marché", nous explique Alain Caillé.

Très concrètement, ce n'est pas tant l'idée de commerce que Polanyi réfute que celle du marché autorégulateur, fondé sur l'offre et la demande, continue Alain Caillé : "Le marché que théorisent les économistes, c'est le marché autorégulateur, sur lequel les prix dépendent de la confrontation entre une grande masse d'offres et une grande masse de demandes. Dans la plupart des marchés historiquement existants, le prix ne se forme pas nécessairement par une confrontation de l'offre et la demande, le prix est fixé par régulation sociale."

Bibliographie

• Karl Polanyi, Conrad Maynadier Arensberg & Harry W. Pearson, " Commerce et marché dans les premiers empires : sur la diversité des économies", Le Bord de l'eau, 2017
• Karl Polanyi,  La Subsistance de l'Homme, Flammarion, 2011

Références sonores

• Extrait de l' épisode 3 de la série "Avoir raison avec Karl Polanyi" | France Culture
• Lecture d'un extrait de " La mentalité de marché est obsolète" de Karl Polanyi - réédité aux éditions Allia en 2021