60 ans après la marche des droits civiques, où en est la fracture raciale aux Etats-Unis ?

Martin Luther King lors de la marche sur Washington ©Getty
Martin Luther King lors de la marche sur Washington ©Getty
Martin Luther King lors de la marche sur Washington ©Getty
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250 000 personnes se rassemblaient à Washington le 28 août 1963 pour la marche des droits civiques conduite par Martin Luther King. Comment se manifestent les discriminations raciales aux États-Unis ? Comment les conditions socio-économiques des Noirs américains ont-elles évolué ?

Avec
  • Daniel Sabbagh Directeur de recherche à Sciences Po, au Centre d'études et de recherches internationales, auteur du livre L'Egalité par le droit: les paradoxes de la discrimination positive aux Etats-Unis (Economica, 2003)

60 ans après, quels progrès ?

Il y a 60 ans, Martin Luther King tenait son grand discours "I have a dream" à Washington pour défendre les droits civiques aux États-Unis. Depuis, un président noir a été élu à la tête du pays et les commentateurs ont parlé de société post-raciale, laissant imaginer que le racisme appartenait au passé. Pourtant, les Noirs américains restent surreprésentés parmi les victimes des violences policières et dans les effectifs pénitenciers. Une situation qui va à l'encontre d'un constat de baisse des inégalités et des discriminations raciales, en dépit d'une sensibilisation et d'une information plus fortes à ces sujets.

Martin Luther King déclarait en 1968 que "le Noir vit à l'écart sur son îlot de pauvreté au milieu d'un vaste océan de prospérité matérielle". Depuis, Daniel Sabbagh observe toutefois "un progrès modéré, discontinu, mais net. C'est aussi un progrès qui est très inégal selon les indicateurs". Il prend l'exemple du taux de pauvreté et du chômage : "Les inégalités ont décru, mais sont à un niveau significatif. Le taux de chômage des Noirs-Américains est de 5 % aujourd'hui et de 2,8 % chez les Blancs. 19 % de Noirs-Américains vivent sous le seuil de pauvreté, contre 8 % pour les Blancs."

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Des progrès très limités face aux violences policières

La spécificité des statistiques raciales aux États-Unis permet d'apercevoir une augmentation non négligeable de l'espérance de vie : "Aujourd'hui, l'écart moyen d'espérance de vie entre un Noir et un Blanc aux États-Unis est de trois ans et demi. C'est considérable. C'est deux fois moins qu'en 1990 " souligne Daniel Sabbagh.

Il nuance ce progrès avec les chiffres d'incarcération "extrêmement élevés. Les Noirs représentent 14 % des Américains, et 38 % des personnes incarcérées." Un chiffre qui permet de rappeler la part des personnes noires parmi les victimes de violences policières. Daniel Sabbagh précise que "la police américaine est beaucoup violente qu'en France, indépendamment du facteur racial. Elle tue plus de 1000 personnes par an, 1 200 personnes en 2022. Sur ces 1 200 personnes, 75 % ne sont pas noires, mais les Afro-Américains restent une minorité surreprésentée".

Selon Daniel Sabbagh, l'un des problèmes réside aujourd'hui dans la caractérisation même d'une communauté noire : loin d'être un tout homogène aux mêmes expériences sociales, l'éclatement social et les différences de conditions de vie des populations noires permettent aujourd'hui aux chercheurs de parler d'une fracture entre une "classe moyenne noire" et une fraction plus désavantagée.

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