La Communauté ou l’échec d'un Commonwealth à la française : épisode • 2/4 du podcast Françafrique, une histoire postcoloniale

Affiche de propagande pour le "Oui" dans un village près de Bamako, colonie française du Soudan, le 28 septembre 1958, lors du référendum sur la Communauté française. ©AFP
Affiche de propagande pour le "Oui" dans un village près de Bamako, colonie française du Soudan, le 28 septembre 1958, lors du référendum sur la Communauté française. ©AFP
Affiche de propagande pour le "Oui" dans un village près de Bamako, colonie française du Soudan, le 28 septembre 1958, lors du référendum sur la Communauté française. ©AFP
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À l'heure des décolonisations, la France cherche des solutions pour conserver ses liens avec l'Afrique. Entre 1958 et 1960, en parallèle de la construction de la Ve République, le général de Gaulle porte le projet de la Communauté française qui réunit la France et ses ex-colonies africaines.

Avec
  • Thomas Deltombe Éditeur et essayiste
  • Mélanie Torrent Professeure à l'Université de Picardie Jules Verne, spécialiste de l'histoire du Royaume-Uni et du Commonwealth

C’est en 1958, quand la Ve République est proclamée et que le général de Gaulle revient au pouvoir, qu’est instituée la Communauté, proposée aux territoires sous domination française. L’expérience dure seulement deux ans, jusqu’en 1960, mais la Communauté est-elle vraiment l’échec d’un Commonwealth à la française ? Elle fait suite à l’Union française, dont elle est l'héritière, une association entre la France et ses colonies, pour sauver l’Empire, avec la crainte de s’entendre répondre : laissez-nous indépendants et occupez-vous de vos unions !

Le tournant des années 1950

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les empires coloniaux doivent composer avec les désirs d'autonomie et les revendications anticoloniales qui se répandent. Fortement attachée à ses territoires coloniaux en Afrique, la Quatrième République naissante met à l'œuvre le programme colonial "humaniste" présenté par le général de Gaulle lors de la conférence de Brazzaville du 30 janvier 1944.

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Côté britannique, le désengagement colonial prend la forme du Commonwealth, qui offre à ses anciennes colonies de peuplement "blanc" l'indépendance par le statut de dominion. En 1931, le statut de Westminster établit l'égalité entre le Royaume-Uni et ses dominions (Australie, Canada, État libre d’Irlande, Nouvelle-Zélande et Union sud-africaine). Comme le souligne Mélanie Torrent, "le Commonwealth, tel qu'il est conçu au départ par les Britanniques, est un outil de gestion de l'Empire. C'est une manière de faire un certain nombre de concessions de réaménagement de façon à préserver l'ensemble impérial". Le Royaume-Uni poursuit cette politique après la Seconde Guerre mondiale et l'étend à d'autres territoires de son empire : l’Inde et le Pakistan en 1947, Ceylan en 1948, puis le Ghana, en 1957. Un événement regardé avec inquiétude par les autorités françaises.

Le Cours de l'histoire
52 min

Vers un Commonwealth à la française

Dans les années 1950, alors que l'hégémonie française est ébranlée par la défaite d'Indochine, les "événements" en Algérie ou encore l'humiliation de l'affaire du Canal de Suez, le sujet de la décolonisation des "territoires d'outre-mer" en Afrique, comme sont appelées les colonies, se fait pressante. Certaines élites coloniales françaises, à l'instar de François Mitterrand et Pierre Mendès France, avancent l'idée de réformer le système colonial pour le sauvegarder. L'idée d'une "Communauté franco-africaine" fait son chemin.

Alors que Charles de Gaulle revient au pouvoir au printemps 1958 pour mettre fin à la crise politique et doter la France d'une nouvelle constitution, il formalise le projet de la Communauté française, qui propose l'autonomie aux territoires africains tout en laissant à la France la supervision des affaires communes. Bien qu'éphémère – la Communauté dure deux ans – ce dispositif ouvre la voie à un nouveau modèle de relations entre la France et ses ex-colonies africaines, communément appelé la Françafrique. Thomas Deltombe définit cette expression comme "un système de domination qui s'inscrit dans l'histoire longue de l'impérialisme français, qui est fondé sur l'alliance entre une partie des élites françaises et une partie des élites africaines”. Il ajoute que "ce système a deux facettes, l'une officieuse souvent réduite à Jacques Foccart, l'autre officielle, avec la coopération et le franc CFA".

Le Pourquoi du comment : histoire
3 min

Pour aller plus loin :

  • Thomas Borrel, Amzat Boukari-Yabara, Thomas Deltombe, Benoît Collombat (dir.), L’Empire qui ne veut pas mourir. Une histoire de la Françafrique, Seuil, 2021 - sortie en poche chez Points en août 2023
  • Thomas Deltombe, Manuel Domergue, Jacob Tatsistsa, La Guerre du Cameroun. L'invention de la Françafrique, La Découverte, 2016
  • Mélanie Torrent, Claire Sanderson (éd. et dir.), La Puissance britannique en question : diplomatie politique étrangère au XXe siècle, PIE-Peter Lang, 2013
  • Mélanie Torrent, British decolonisation (1919-1984). The politics of power, liberation and influence, Presses universitaires de France, CNED, 2012 (en anglais)
  • Thomas Deltombe, Manuel Domergue, Jacob Tatsitsa, Kamerun ! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique, 1948-1971, La Découverte, 2011

Références sonores :

  • Montage croisé du général de Gaulle, de François Mitterrand et d'un extrait de la série Au service de la France
  • Archive de François Mitterrand interrogé en 1958 sur la RTF à propos des responsables politiques africains
  • Archive du discours du général de Gaulle le 24 août 1958 à Brazzaville sur la Communauté française
  • Archive d'Ahmed Sékou Touré le 25 août 1958 à Conakry en Guinée
  • Chanson Indépendance par Philos, 1961
  • Archive d'un reportage sur la tournée de la reine Elizabeth à Gibraltar en 1954

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