Franc CFA, histoire de la "dernière monnaie coloniale" : épisode • 4/4 du podcast Françafrique, une histoire postcoloniale

Billets de banque sénégalais en francs CFA ©Getty - Thierry Perrin
Billets de banque sénégalais en francs CFA ©Getty - Thierry Perrin
Billets de banque sénégalais en francs CFA ©Getty - Thierry Perrin
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Le franc CFA naît officiellement le 26 décembre 1945. Pourtant, il s’inscrit dans une histoire plus ancienne : celle de l’imbrication des colonies à un système monétaire et économique plus vaste, qui sert avant tout les intérêts de la métropole.

Avec
  • Martial Ze Belinga Chercheur indépendant en économie et en sciences sociales
  • Olivier Vallée Économiste et consultant international
  • Valérie Hannin Directrice de la rédaction du magazine L'Histoire

C’est une histoire d’argent bien sûr, mais aussi une histoire de liberté et d’indépendance, ou de contraintes et de dépendance. Une histoire monétaire qui débute bien avant la Seconde Guerre mondiale, dans les colonies françaises d’Afrique. Le franc CFA, histoire de la "dernière monnaie coloniale", mais pourquoi pas “postcoloniale” voire “hypercoloniale”.

Les débuts d'une monnaie coloniale

Dès le XIXe siècle, l’administration française impose la monnaie métropolitaine dans ses colonies d’Afrique subsaharienne et met un terme à la circulation des monnaies endogènes. Le système monétaire colonial s’organise désormais selon ce principe d’actif forcé : la seule monnaie en vigueur est celle du colonisateur. Pour y avoir accès et s'insérer dans les échanges économiques et commerciaux, il faut se plier aux activités prévues par le système colonial. Ce nouvel état de fait sonne le glas d’une myriade d’industries locales, en même temps que l’avènement des grandes plantations où sont produites des matières premières prisées en métropole.

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Ce système perdure durant la première moitié du XXe siècle. En 1945, la France annonce la création d’une nouvelle monnaie : le franc CFA. Surévaluée, cette monnaie répond à plusieurs nécessités au lendemain de la guerre. Elle permet à la métropole de sécuriser son approvisionnement en matières premières en créant des marchés captifs, elle encourage le commerce entre les colonies et la métropole ; en un mot, elle répond aux besoins du colonisateur plutôt qu’à ceux du colonisé. Olivier Vallée nous éclaire sur la portée symbolique de cette nouvelle monnaie : "Le CFA signifie la tache coloniale d’abord. Je tiens à rappeler que le CFA est une monnaie gaullienne. C’est d’abord la Caisse centrale de la France Libre installée à Brazzaville qui émet les premiers francs CFA et c’est rattaché également à toute l’ambition gaullienne de réhabiliter le franc après les années terribles qu’il a connues depuis l’époque de Raymond Poincaré".

Cultures Monde
59 min

Le franc CFA à l'heure des indépendances

Rapidement contestée, la nouvelle monnaie est rejetée par certains États africains, comme la Guinée et le Mali, au lendemain des indépendances. Pourtant de nombreux États restent dans la zone franc, et cette monnaie continue de cristalliser de nombreuses appréhensions. Martial Ze Belinga souligne que "le franc CFA est le lieu d’observation de quelque chose d’absolument inédit. Dans tous les pays du monde où il y a eu des décolonisations, l’indépendance a entraîné en général des monnaies locales. Il y a quelque chose de très anthropologique dans cette idée de battre sa monnaie et d’avoir ses institutions. En 1960 toutes les réserves de change restent centralisées au niveau du trésor public. C’est à dire que les pays africains de la zone franc qui souhaitent acheter des biens et services en dehors de la zone doivent aller demander au Trésor public pour pouvoir faire des achats à l’extérieur alors qu’ils sont déjà indépendants depuis une décennie. Cette dimension montre à quel point il était extrêmement difficile pour les dirigeants aux commandes d’accepter ce système là. Oui il y a un problème avec le franc CFA et particulièrement avec les pays d’Afrique subsaharienne".

Alors, le franc CFA est-il le signe d’une décolonisation inachevée ? Comment sortir aujourd’hui de ce système que certains perçoivent comme une servitude monétaire ?

En fin d'émission :

Valérie Hannin, directrice de rédaction du magazine L’Histoire, présente le numéro de rentrée "La haine des élites, de Périclès à Trump".

Le Pourquoi du comment : histoire
3 min

Pour aller plus loin :

  • Olivier Vallée, La Société militaire à Madagascar. Une question d'honneur(s), Karthala, 2017
  • Martial Ze Belinga, Kako Nubukpo, Bruno Tine et Demba Moussa Dembélé, Sortir l'Afrique de la servitude monétaire. À qui profite le franc CFA ?, La Dispute, 2016
  • Olivier Vallée, La Police morale de l'anticorruption. Cameroun, Nigeria, Karthala, 2010
  • Olivier Vallée, Le Prix de l'argent CFA. Heurs et malheurs de la zone franc, Karthala, 1989

Références sonores :

  • Chanson "Les Fiancés D'Auvergne" par Robert Monédière & Ses Compagnons, 1961
  • Archive INA - Le journaliste Pierre Paraf raconte son voyage à Dakar sur les ondes de la RTF, le 8 mai 1948
  • Archive INA - François Mitterrand, alors Ministre de la France d'Outre-mer, évoque la situation du franc CFA le 29 janvier 1951
  • Archive INA -  Dialogue difficile entre Gnassingbé Eyadéma, Président de la République togolaise, et Georges Pompidou, le 29 novembre 1972
  • Chanson "Le Cha-Cha-Cha du CFA" par Alpha Blondy, 2011

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