Fin des moteurs thermiques en Europe, un débat électrique : épisode • 2/4 du podcast Voiture électrique : une révolution mondiale

Le directeur général de Volkswagen Ralf Brandstätter mise sur la voiture électrique pour redorer l'image du groupe écornée par le scandale du dieselgate. ©AFP - DAVID HECKER
Le directeur général de Volkswagen Ralf Brandstätter mise sur la voiture électrique pour redorer l'image du groupe écornée par le scandale du dieselgate. ©AFP - DAVID HECKER
Le directeur général de Volkswagen Ralf Brandstätter mise sur la voiture électrique pour redorer l'image du groupe écornée par le scandale du dieselgate. ©AFP - DAVID HECKER
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En votant l'interdiction de la vente des moteurs thermiques d'ici à 2035, l'Union européenne a obligé les constructeurs du continent à miser sur la voiture électrique. Mais entre concurrence chinoise et réticences de certains géants allemands de l'automobile, quel sera le coût la transition ?

Avec
  • Tommaso Pardi Codirecteur du GIS Gerpisa (Groupe d'Etudes et de Recherche Permanent sur l'Industrie et les Salariés de l'Automobile) à l'ENS Cachan
  • Anne-Sophie Alsif Cheffe économiste au cabinet d'Audit BDO
  • Marie Krpata Chercheuse à l’IFRI, au comité d'études des relations franco-allemandes (Cerfa)

Le 27 mars 2023, l’Europe adoptait définitivement une des mesures phares de son Pacte vert, destiné à atteindre la neutralité carbone en 2050 : l’interdiction de la vente de moteurs thermiques d’ici à 2035. Un règlement adopté non sans règlements de comptes dans l’atmosphère feutrée des couloirs des institutions européennes. Poids lourd industriel et politique du continent, l’Allemagne a en effet un temps bloqué l’adoption du texte sous l’influence du parti libéral FDP, très soucieux de la préservation du secteur automobile, fleuron de l’économie du pays.

Bien au-delà des frontières de la première économie d’Europe, la République Tchèque, la Pologne ou encore la Slovaquie, arrière-cours manufacturières de l’Allemagne, craignent, elles aussi, de voir tout un écosystème de sous-traitants s’effondrer et se sont un temps opposés à cette interdiction. Pour lever son veto, Berlin a obtenu une exemption pour les moteurs thermiques tournant au e-fuel. Un régime de faveur pour ses constructeurs qui n’apporte pas de réponse sociale et politique face à une menace pourtant très pressante : cette électrification forcée du parc automobile européen pourrait engendrer la suppression de centaines de milliers d’emplois sur le Vieux continent.

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La fin du moteur thermique : un défi pour l'Europe

Comment l’Union européenne et ses États-membres arbitrent-ils entre objectifs climatiques et réalités socio-économiques ? Bien installée sur le marché de la voiture thermique, comment compose-t-elle avec la nouvelle concurrence des constructeurs chinois, très en avance sur le créneau de la voiture électrique ? Et enfin, au sein même de l’Union européenne, quels rapports de force se jouent actuellement entre Bruxelles, les États membres et les géants du secteur automobile ?

Pour répondre à ces questions, Julie Gacon reçoit Tommaso Pardi, chargé de recherche au CNRS, président du Groupe d’études et de Recherche Permanent sur L’industrie et les Salariés de l’Automobile (Gerpisa) et Marie Krpata, chercheuse au Comité d'études des relations franco-allemandes (Cerfa) de l’IFRI.

Marie Krpata revient sur les enjeux de politique intérieure allemande qui ont conduit la plus grande économie d'Europe à faire pression pour obtenir une clause d'exception pour son industrie automobile : "Volker Wissing, le ministre des Transports allemand, est affilié au parti libéral du FDP. Il a été particulièrement actif dans ce travail de lobbying, mené pour défendre les intérêts des électeurs du FDP. Le parti libéral allemand est en effet en mauvaise posture : il a perdu les cinq dernières élections dans des länder allemands. Or le FDP est considéré comme le "parti de l'automobile". Il a donc tenté de renouer avec sa base électorale, faite d'entrepreneurs, en défendant les intérêts de l'industrie automobile allemande."

Au-delà de ces enjeux de politique allemande, pour Tommaso Pardi, l'interdiction des moteurs thermiques en 2035 pose un dilemme socioenvironnemental de taille à l'Europe : "Avec cette électrification à marche forcée, le risque, c'est de voir d'un côté les riches s'offrir des véhicules électriques et donc l'accès aux villes, aux parkings gratuits, aux panneaux solaires, aux primes... et de l'autre les classes moyennes et populaires exclues de cette économie électrifiée avantageuse. Si les prix des véhicules électriques ne sont pas suffisamment abordables, ces dernières devront subir l'augmentation des prix de l'essence et du carburant qui montent, l'entretien de vieux véhicules d'occasion. Aux enjeux industriels se greffent des questions éminemment sociales et politiques, avec un risque de voir émerger des mouvements similaires à celui des Gilets Jaunes en France."

Focus - Batteries électriques : l’Europe entre alliance et rivalités

Le 12 mai 2023, Emmanuel Macron annonce que le géant taïwanais des batteries Prologium va investir à Dunkerque.
Le 12 mai 2023, Emmanuel Macron annonce que le géant taïwanais des batteries Prologium va investir à Dunkerque.
© AFP - PASCAL ROSSIGNOL
  • Avec Anne-Sophe Alsif, cheffe économiste au cabinet BDO, docteure en sciences économiques EHESS et professeure d'économie à la Sorbonne

Dans sa quête de souveraineté, la Commission européenne a lancé en 2017 l’alliance européenne des batteries, censée permettre au continent de mieux affronter la concurrence internationale en matière d’industrie de l’automobile électrique.  Mais si aujourd’hui, une trentaine d’usines sont actuellement en service ou en projet, l’alliance proclamée masque pourtant mal les rivalités industrielles qui demeurent entre États membres.

Pour Anne-Sophe Alsif : "l'objectif est de réintégrer l'intégralité de la chaîne de valeur en Europe, à la fois les sites de production, mais aussi ce qui est aujourd'hui géré par de la sous-traitance. Pour appuyer cette volonté d'autonomie stratégique, les impulsions financières de l'Union européenne sont réelles, mais à la fin, les décisions sont toujours à la prérogative des États qui demeurent souverains sur leur politique industrielle."

Références sonores

  • Queen - I'm In Love With My Car (1975).
  • Instrumental : Boards of Canada - ‘Nothing is real’.

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