Les violences policières face à la justice

Manifestation pendant le procès d'Assa Traoré, devant le palais de justice "Tribunal de Paris" à Paris, le 7 mai 2021. ©AFP - THOMAS SAMSON
Manifestation pendant le procès d'Assa Traoré, devant le palais de justice "Tribunal de Paris" à Paris, le 7 mai 2021. ©AFP - THOMAS SAMSON
Manifestation pendant le procès d'Assa Traoré, devant le palais de justice "Tribunal de Paris" à Paris, le 7 mai 2021. ©AFP - THOMAS SAMSON
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Le parquet de Bobigny a annoncé hier le renvoi de deux policiers de la Brav-M devant le tribunal correctionnel. Ils seront jugés pour violences par personne dépositaire de l'autorité publique et menaces de violences réitérées. Comment la justice juge-t-elle les membres des forces de l'ordre ?

Avec
  • Arié Alimi Avocat, membre du comité central de la Ligue des Droits de l'Homme (LDH).
  • Sebastian Roché Sociologue, directeur de Recherche au CNRS, spécialiste de la comparaison des systèmes de police

Pour répondre à cette question, Guillaume Erner reçoit Arié Halimi, auteur de L'État hors-la-loi. Logiques des violences policières, à paraître le 14 septembre 2023 aux éditions La Découverte, ainsi que Sébastien Roché, auteur de La Nation inachevée. La jeunesse face à l'école et la police, paru chez Grasset en 2022.

La Brav-M : une unité en question

Créée lors du mouvement des Gilets jaunes, la Brav-M est une unité de police motorisée principalement composée de membres de la Brigade Anti-criminalité (BAC) et de policiers de la Compagnie de Sécurité d’Intervention (CSI), apparue sous Nicolas Sarkozy. Selon Arié Alimi, avocat et membre du comité central de la Ligue des Droits de l'Homme, il est préoccupant de retrouver cette catégorie de policiers au cœur des manifestations : “le problème, c’est qu’on retrouve ces policiers dans le maintien de l’ordre. Ils ressemblent beaucoup aux 'voltigeurs', ces policiers à moto qui avaient tué Malik Oussekine en 1986.” Malgré l’interdiction de cette unité 1986, on constate pour l’avocat une sorte de ressuscitation de violences de la part de la police, notamment avec l’utilisation de nouvelles armes : “aujourd’hui, ce sont les LBD 40 qui sont utilisés. Ce sont des balles considérées comme des balles non létales. Certes, les Brav-M doivent descendre de leur moto pour tirer, mais ces LBD 40 causent des dégâts importants, des mutilations, des éborgnements”. Alors que la formation des policiers est remise en question quant aux violences qui en résultent, Arié Alimi voit une multiplicité d'explications aux violences policières : “on ne peut pas considérer aujourd’hui qu’il n’y a que des bavures. Quand on creuse, on se rend compte que la violence policière est intrinsèquement liée au fonctionnement de l’État, qu’elle peut être liée à la formation, à l’usage d’armes inadaptées au maintien de l’ordre. Il y a une multitude de facteurs et il est nécessaire d’avoir une réflexion plus large sur ce sujet."

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Une “violence légitime” ?

Si la conscience collective et médiatique de ces violences est plus grande qu’auparavant, la condamnation des policiers qui en sont les auteurs reste “un chemin de croix”, selon Sébastien Roché, sociologue spécialiste de la comparaison des systèmes de police et directeur de recherche au CNRS : “il reste difficile d’aller jusqu’à un procès dans lequel on va prononcer une condamnation. Les magistrats sont toujours réticents à considérer que les policiers ont individuellement commis une faute qui mérite une sanction. Dans le système judiciaire, ce sont des policiers qui enquêtent sur leurs collègues. Il y a donc des freins évidents”. Au cœur du débat réside en réalité la question de la “violence légitime”, explique Arié Alimi, dont l’État aurait le monopole.  “Les juges, les politiques, pensent que l’État a un monopole de la violence légitime, et que par conséquent les violences commises par les représentants de l’État dans l’exercice de leurs fonctions sont normales. Néanmoins, c’est un discours, c’est une reprise du concept de 'violence légitime' de Max Weber, mais ce n’est en aucun cas une norme juridique. Quand on regarde le Code pénal, on voit qu’il n’y a pas de monopole de la violence légitime et que toute violence est une infraction pénale. Il appartient toujours au juge de dire si une violence est justifiée et proportionnée."

Le rôle grandissant des syndicats policiers

L’affaire Hedi, au cours de laquelle un policier a été placé en détention provisoire, a amené certains syndicats policiers à faire grève et à se lever contre le pouvoir politique. Pour Arié Alimi, il s’agissait d’une “menace”, symptôme d’une rupture entamée entre la police et l’État depuis plusieurs mois : “il y a une idéologisation du corps policier par les syndicats. Il y a un jeu entre l’État et la police, l'État a aujourd’hui besoin de la police, car il y a une délégitimation du pouvoir politique. Il y aurait un rapport inversement proportionnel entre la légitimité du pouvoir politique et l’exercice de la violence. L’État a besoin de sa police, donc la police demande ce qu’elle veut à l’État.” Sébastien Roché ajoute alors que “la puissance des syndicats policiers réside aujourd’hui dans la faiblesse des autorités politiques”.

Sans oser le demander
58 min

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