Diplomatie, pouvoir du roi : ce que le séisme révèle du régime marocain

La garde civile marocaine évacue un blessé du séisme dans le village de Moulay Brahim dans la province de Al-Haouz au Maroc, le 11 septembre 2023 ©AFP - PHILIPPE LOPEZ
La garde civile marocaine évacue un blessé du séisme dans le village de Moulay Brahim dans la province de Al-Haouz au Maroc, le 11 septembre 2023 ©AFP - PHILIPPE LOPEZ
La garde civile marocaine évacue un blessé du séisme dans le village de Moulay Brahim dans la province de Al-Haouz au Maroc, le 11 septembre 2023 ©AFP - PHILIPPE LOPEZ
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Quatre jours après le séisme touchant le sud-est du Maroc, les autorités rechignent à accepter l’aide internationale. Entre autonomie effective du Maroc et stratégie diplomatique, nous nous intéressons ce matin à ce que le séisme a permis de révéler de la puissance marocaine.

Avec
  • Kader Abderrahim Maître de conférences à Sciences Po Paris
  • Pierre Vermeren Professeur d’histoire contemporaine à l'université Paris I Panthéon-Sorbonne, spécialiste du Maghreb

Alors que nous approchons des 3000 morts dans les provinces marocaines d’Al-Haouz et de Taroudant, le Maroc n’a accepté l’aide humanitaire que de cinq pays, laissant lettre morte aux offres d’aides internationales pourtant nombreuses. Comment comprendre la stratégie diplomatique du Maroc ? Le pays a-t-il les moyens de subvenir aux besoins des populations sinistrées et aux reconstructions à venir ?

Réponses avec nos deux invités Kader A. Abderrahim, maître de conférences à Science Po Paris, directeur de recherches à l’Institut de prospective et de sécurité en Europe (IPSE), auteur Géopolitique du Maroc et Géopolitique de l’Algérie (Bibliomonde).

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Et Pierre Vermeren, professeur d’Histoire contemporaine du Maghreb à l’Université Paris-I Panthéon-Sorbonne. Auteur de Le Maroc en 100 questions : un royaume de paradoxes (juin 2020, éd. Tallandier).

Une aide humanitaire conditionnée à la conjoncture géopolitique

Alors que le séisme a provoqué une urgence humanitaire, seulement cinq pays ont pu acheminer une aide humanitaire. La France notamment s'est vue refuser son accès au terrain. Kader Abderrahim revient sur les  relations entre la France et le Maroc. Selon le chercheur, trois facteurs sont identifiés pour comprendre le délitement des relations franco-marocaines : " Il y a évidemment le logiciel espion  Pegasus, ce logiciel israélien, qui aurait été acheté par l'Etat marocain et qui aurait permis d'espionner notamment le  téléphone du président MacronUne accusation dont les Marocains se défendent, mais les Français ont très mal pris cette affaire. Il y a la question de la diminution des visas qui concerne tout le Maghreb. Enfin, il semble les pays du Maghreb sont à la recherche d'autres alliances et d'autres partenariats que la France traditionnelle."

La sélection par le royaume marocain des aides humanitaires s'explique par la conjoncture géopolitique. Selon Kader Abderrahim "c'est le sujet de tension par excellence" qui conditionne les relations extérieures avec le Maroc. L'enseignant revient sur les cinq pays autorisés à opérer au Maroc :  "la Grande-Bretagne, car c'est probablement le pays avec lequel le Maroc a le plus ancien traité diplomatique. Ensuite, l'Espagne qui s'est alignée sur la position marocaine au sujet du Sahara Occidental. Il y a également le Qatar et les Émirats arabes unis, qui pourront sans doute apporter des financements. Enfin l'Algérie, parce qu'il s'agit de tenter un dégel pour l'avenir."

Vers la voie de la réconciliation entre le Maroc et l'Algérie ?

L'accord de la part de Rabat de l'aide algérienne peut signifier un réchauffement des relations algériennes et marocaines. L'enseignant émet des réserves : "J'aimerais être optimiste, c'est indéniablement une bonne nouvelle mais il ne faut pas aller trop vite. L'annonce officielle, hier soir, du décollage de la base militaire de Boufariq, de trois avions de l'armée de l'air algérienne qui se sont rendus sur la zone de sinistre, est une très bonne nouvelle, compte tenu de la  rupture des relations diplomatiques entre les deux pays depuis l'été de 2021. L'espace aérien était fermé, l'équipe marocaine n'a pas pu participer à un match de football dans l'Est de l'Algérie lors des Jeux Olympiques en Méditerranée, car l'Algérie a refusé le survol du territoire algérien d'un appareil marocain. C'est dire à quel point les relations entre les deux pays sont extrêmement tendues, alors que c'est probablement la région au monde dont l'intégration économique et culturelle serait la plus facile à réaliser compte tenu de la complémentarité sur le plan économique et social."

Une catastrophe qui révèle des inégalités de développement

"Le Maroc est une région très sismique et immanquablement ces événements sont amenés à se reproduire. Ce qui compte pour les Marocains aujourd'hui, c'est qu'il y ait une assistance. Il se trouve que le sinistre a eu lieu près de Marrakech et Agadir, qui sont les deux capitales touristiques, donc il y a des équipements hospitaliers et médicaux supérieurs au reste du pays. Cependant, le séisme a également ravagé des régions de hautes montagnes désormais difficilement accessibles", explique Pierre Vermeren. Les différentes zones touchées sont donc inégalement équipées pour faire face à la catastrophe.

À ce propos, Kader Abderrahim souligne les inégalités régionales au Maroc : "il y a au moins trois Maroc : un où le tourisme s'est considérablement développé — c'est plus de 65% des touristes qui se rendent dans cette région — le Maroc des grandes plaines et le Maroc des villes industrialisées. Il y a dans le nord du pays, une région très montagneuse, le Rif, dans laquelle le tourisme s'est beaucoup développé, du fait de l'impulsion qui a été donnée par le roi  Mohammed VILors de son accession au trône, il a considéré qu'il fallait la développer, alors que son père ne s'y était quasiment jamais rendu.

Un pays de grande inégalité

"Je me suis penché hier sur les statistiques que fait la Banque africaine de développement. Je préfère celle-ci parce qu'elle tient compte d'éléments dont on ne tient rarement compte comme ceux de la  Banque mondiale qui considère aujourd'hui que le Maroc est la cinquième puissance économique sur le continent africain et le deuxième pays industrialisé. Par comparaison, l'Algérie se situe en 11ᵉ position. Donc le Maroc, indéniablement, a des atouts, mais il peine à tenter de favoriser un développement qui serait équitable entre les différentes zones du pays."

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