Peut-on échapper au vote de classe ?

Un bureau de vote à Castelsarrasin, le 11 juin 2017. ©AFP - PASCAL PAVANI
Un bureau de vote à Castelsarrasin, le 11 juin 2017. ©AFP - PASCAL PAVANI
Un bureau de vote à Castelsarrasin, le 11 juin 2017. ©AFP - PASCAL PAVANI
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Dans leur "Histoire du conflit politique, élections et inégalités sociales en France 1789-2022", Julia Cagé et Thomas Piketty analysent des archives encore jamais consultées dans le cadre d’études électorales, pour répondre à cette question : pourquoi les Français votent-ils ?

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Une histoire du vote ou du “conflit politique” ?

En publiant Histoire du conflit politique, élections et inégalités sociales en France 1789-2022 aux éditions du Seuil, les économistes Julia Cagé et Thomas Piketty souhaitent mettre en valeur l’importance des élections dans les conflits politiques depuis la Révolution française : “le conflit politique ne peut pas s’étudier sans le matériel électoral. De plus, on ne fait pas simplement une histoire des élections, mais on essaie de montrer des régularités et des évolutions à travers le temps, en termes de structures du conflit et du débat politiques. L’avantage de l’élection pour étudier le conflit politique est qu’elle laisse des traces”, explique Julia Cagé. Les deux économistes adoptent une démarche interdisciplinaire et se nourrissent de l’ensemble des sciences sociales pour analyser un large corpus d’archives encore peu exploitées, à savoir les données électorales communales depuis 1848. L’objectif est clair : proposer une histoire géosociale du vote dans chaque commune à partir de ces documents.

Les déterminismes géographiques et sociaux du vote actuel

Dans leur ouvrage, Julia Cagé et Thomas Piketty avancent la thèse selon laquelle le vote actuel est déterminé par une double appartenance sociale et géographique : “la classe sociale n’a jamais été aussi importante qu’aujourd’hui pour prédire le vote. Aux élections présidentielles de 2022, on explique 70 % des écarts de vote entre communes avec la richesse de la commune, le revenu moyen, la valeur moyenne des logements d’une part, l’inscription dans le tissu territorial et productif d’autre part. La taille de l’agglomération et le secteur d’activité sont également décisifs. Par comparaison, on comptait 50 % des écarts de vote avec ces deux variables en 1981. Le facteur géosocial compte aujourd’hui beaucoup plus que les origines”, souligne Thomas Piketty. Par conséquent, on constate aujourd'hui une résurgence du clivage géographique rural urbain. Julia Cagé affirme également que le “vote Macron” est “le plus bourgeois de l'histoire” : “on a un vote qui ressemble au vote de la droite traditionnelle, avec la particularité qu'Emmanuel Macron n’est pas parvenu à capter l'électorat des communes les plus pauvres. C’est l’un des votes les plus marqués de l’histoire française”, ajoute Julia Cagé. Néanmoins, ce constat ne permet pas de conclure à l'existence d'un vote urbain bourgeois et un vote rural populaire uniformes.

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Un “vote bourgeois” : vraiment ?

Si les deux économistes rappellent l’intérêt descriptif et non normatif de l’utilisation du terme “bourgeois”, le directeur général de l’IFOP, Frédéric Dabi, remet toutefois en question son emploi dans ce cadre : “une personne sur cinq dans le milieu des ouvriers ou des employés vote Emmanuel Macron en 2022. Je ne dirai pas 'vote bourgeois', mais effectivement très indexé sur les revenus. En réalité, c’était aussi un vote attrape-tout, car il n’y avait pas une catégorie sociale ou le candidat-président était en dessous de 20 %”. Thomas Piketty affirme quant à lui qu’il est nécessaire d’inclure dans cette réflexion le croisement de variables telles que le revenu, le patrimoine, la profession ou encore la taille d'agglomération. Ainsi, il observe que si le vote ouvrier dans les bourgs et villages a basculé vers le Rassemblement national, le vote des employés est lui fortement passé à gauche. "Lorsqu’on regarde les revenus, on voit qu’il y a deux votes populaires : un vote populaire urbain dans les services, un vote populaire plutôt rural pour le Rassemblement national ainsi qu'un vote bourgeois tout à fait nouveau. Il y a aussi une coupure socio-économique très importante à prendre en compte”, conclut l'économiste.

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