Crises au Niger, Mali, Burkina Faso… Éternels stigmates de la colonisation ?

Manifestation devant la base aérienne française de Niamey (Niger) le 16 septembre 2023. ©AFP
Manifestation devant la base aérienne française de Niamey (Niger) le 16 septembre 2023. ©AFP
Manifestation devant la base aérienne française de Niamey (Niger) le 16 septembre 2023. ©AFP
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Anciennes colonies françaises, le Niger, le Mali et le Burkina Faso rejettent aujourd'hui la moindre présence française sur leur territoire. Entre désinformation russe et volonté d'indépendance, comment comprendre les crises politiques qui secouent ces pays par le prisme de l'histoire ?

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Depuis deux ans, cinq pays d’Afrique francophone ont connu un coup d’État militaire. Récemment,  la junte nigérienne a pris le pouvoir en prenant en otage l’ancien président et en menaçant l’ambassade française, explique Marc-Antoine Pérouse de Montclos, politologue et spécialiste de l’Afrique subsaharienne : “nous ne savons actuellement pas grand-chose, si ce n’est que la junte bloque le ravitaillement de l’ambassade française. On ne peut pas encore parler de prise d’otages, comme c’est le cas pour l’ancien  président Bazoum qui, lui, est fait prisonnier à Niamey. En effet, contrairement aux anciens dirigeants maliens et burkinabés, Bazoum n’a pas cédé et n’a pas signé de lettre de démission”Marc-Antoine Pérouse de Montclos estime par ailleurs que l’emploi de la rhétorique antifrançaise est un outil de crédibilité pour la junte militaire : “ils n’ont pas la légitimité des urnes, donc ils le compensent en attisant le ressentiment contre l’ancienne puissance coloniale. Celui-ci existe depuis longtemps, mais est aujourd’hui complètement instrumentalisé.

Un sentiment antifrançais paradoxal ?

L’historien spécialiste des empires coloniaux Pierre Singaravélou note toutefois une singularité : “nous vivons un moment paradoxal, car le  sentiment antifrançais au sein des opinions publiques dans ces pays s’exacerbe, alors que la présence française n’a jamais été aussi faible en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale.

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Il rappelle le contexte dans lequel la “ Françafrique” a émergé à la veille des décolonisations : “ce système avait pour but de reconfigurer l’empire colonial. Il s’agissait de transformer l'empire en un système d’influence, fondé sur un certain nombre de piliers, dont la présence militaire, l’aide publique au développement, la Francophonie, etc. Ce qui est troublant, c’est la continuité de cette politique entre les années 1960 et le milieu des années 1990. Depuis, c'est vraiment François Hollande qui l'a quelque peu réactivée avec l’opération Barkhane.” Alors même que la France est de moins en moins présente dans la zone, Marc-Antoine Pérouse de Montclos confirme que l’ancienneté de cette politique et l’arrivée de nouvelles troupes militaires en 2013 a intensifié le sentiment antifrançais.

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Les enjeux historiques de la présence française en Afrique

Le maintien d'une présence en Afrique répondait à plusieurs objectifs, selon Pierre Singaravélou : “il s’agissait de maintenir l’influence française dans la région, avec une stratégie efficace et lucrative. Au moment où les pays africains conquièrent leur indépendance, la France est en effet obsédée par sa propre indépendance énergétique et par la nécessité de fonder un nouvel empire nucléaire. Elle veut sécuriser ses sources d’approvisionnement en uranium, qui se trouvent au Niger, au Gabon ou à Madagascar. Néanmoins, on observe ces dernières années un désengagement des grandes entreprises françaises en Afrique. C'est aujourd'hui la Chine qui est très présente dans cette région. Cela marque une évolution forte.

Ce retrait économique progressif n’est pourtant pas synonyme d’un départ définitif. Le thème de la “ francophonie”, promu par les grands leaders nationalistes africains dans les années 1950 et 1960, est aujourd’hui très contesté. En dépit de l’établissement d’ Alliances françaises, la langue de Molière n'a en réalité pas été diffusée dans toutes les couches de la société. Marc-Antoine Pérouse de Montclos donne l’exemple du Niger, où “à peine 5 % des habitants comprennent le français. La langue est de moins en moins parlée en Afrique, au profit de l’anglais, de l’arabe et des langues vernaculaires. Le français n’est même pas la langue du commerce.”

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