Lampedusa : crise migratoire ou crise politique ?

Le 15 septembre 2023, des migrants de Lampedusa sont transférés au port de Porto Empedocle en Sicile. ©AFP - Alessandro Serrano
Le 15 septembre 2023, des migrants de Lampedusa sont transférés au port de Porto Empedocle en Sicile. ©AFP - Alessandro Serrano
Le 15 septembre 2023, des migrants de Lampedusa sont transférés au port de Porto Empedocle en Sicile. ©AFP - Alessandro Serrano
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Ce matin, mercredi 20 septembre 2023, nous revenons sur l’arrivée de milliers de migrants sur l'île de Lampedusa en seulement quelques jours. Alors que Marine Le Pen évoque une "submersion migratoire", cette nouvelle crise n’est-elle finalement pas celle de la politique migratoire européenne ?

Avec
  • Delphine Diaz Maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l’Université de Reims
  • Vincent Cochetel Directeur Europe du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés
  • Camille Schmoll Géographe, enseignante à l'Université de Paris et membre du laboratoire Géographie-cités et IC Migrations

Ils sont plus de 8 000 migrants à être arrivés sur l'île de Lampedusa en ce début de semaine. Des images spectaculaires qui ont permis de qualifier ces trois derniers jours de crise migratoire. Les réactions politiques ne se sont pas fait attendre, notamment à l'extrême droite, où il est question de "submersion migratoire" selon les mots de Marine Le Pen. Mais si la crise migratoire suscite autant de commentaires politiques, n’est-elle pas avant-tout le signe d'une  crise européenne, si ce n'est l’échec de nos politiques migratoires ?

Les limites des réponses politiques nationales

Si Lampedusa fait actuellement face à une arrivée massive de migrants, il est important de rappeler que l’île n’est souvent qu’une étape dans leur trajectoire, selon Vincent Cochetel, envoyé spécial du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) pour la Méditerranée centrale : “en réalité, la plupart viendront en France ou dans d’autres pays européens pour demander l’asile. Les migrants finissent toujours par franchir les frontières, donc il ne peut pas y avoir de réponse uniquement nationale. Il faut mutualiser les moyens au niveau européen pour trouver des solutions avec les pays d’origine et de transit, ainsi que se répartir l’accueil de ceux qui ont le droit à la protection internationale.” Le discours de fermeté est récurrent, mais ne règle aucune difficulté, d’après Camille Schmoll, géographe et directrice d’études à l’EHESS : “le renforcement du contrôle aux frontières ne résout rien. En réalité, ça ne fait que reporter la question de la solidarité intra-européenne sur la gestion des flux migratoires.”

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Un besoin d’humanité ?

En provenance de plusieurs pays comme le Soudan, le Mali, le Burkina Faso, la Guinée ou la Côte d’Ivoire, les trajectoires de ces personnes sont difficiles. Camille Schmoll souligne la complexité de leur situation d’arrivée : “les personnes sont souvent polytraumatisées et ont parfois besoin d’être soignées. Les traversées sont extrêmement dures. Plusieurs personnes sont déjà mortes à Lampedusa. En insistant sur la fermeté, on oublie d’autres problèmes majeurs”. En effet, si Lampedusa n’est souvent qu’une étape dans leur parcours migratoire, beaucoup ont souffert dans les pays de transit que sont la Libye ou la Tunisie : “de nombreux migrants ont fait l’objet de violences en Tunisie et d’autres ont connu la prison ou l’esclavage en Libye. Que ces personnes soient des réfugiés ou des migrants ne change pas grand-chose à leur traitement dans ces pays. Il y a des considérations élémentaires d’humanité qui doivent prévaloir : il faut soigner ces personnes. Pour une partie d’entre elles, il faut également préparer leur retour avec des programmes de réintégration communautaire”, ajoute Vincent Cochetel.

Réinscrire la “crise migratoire” dans la longue durée

Si Marine Le Pen évoque une “submersion migratoire”, il semble toutefois nécessaire de replacer ce moment dans un contexte historique plus large. Delphine Diaz, maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l’Université de Reims, explique que “dans les années 2010 déjà, presque deux millions de migrants et demandeurs d’asile sont arrivés du Maghreb et d’Afrique subsaharienne. L’idée d’une 'submersion' est fausse. Ce qui est nouveau cependant, c’est l’aspect extra-européen de ces flux. Il faut avoir conscience que l’Europe a connu des migrations de masse de bien plus grande ampleur. La Seconde Guerre mondiale est par exemple aujourd’hui analysée comme un moment de mise en mouvement des Européens, où près de cinquante millions de personnes auraient été poussées hors de chez elles ”. La circulation des personnes exilées en Europe a également toujours donné lieu à des protestations diplomatiques, des mouvements de répression ou de rejet. Ce dernier phénomène n’est en effet pas nouveau dans l’opinion publique : “à la fin du XIXe siècle, dans les années 1880, des réflexes de rejet de l’étranger se sont déjà produits et ont été accompagnés par l’essor d’une presse xénophobe qui a envahi l’espace public”, affirme l'historienne.

Cultures Monde
58 min

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