En France, le retour de la faim : épisode • 3/3 du podcast Alimentation : la montée des tensions

Distribution alimentaire aux restos du cœur de Poitiers, quartier de la Demi-Lune, le 28 février 2023 ©Maxppp - PHOTOPQR/LA NOUVELLE REPUBLIQUE/MAXPPP
Distribution alimentaire aux restos du cœur de Poitiers, quartier de la Demi-Lune, le 28 février 2023 ©Maxppp - PHOTOPQR/LA NOUVELLE REPUBLIQUE/MAXPPP
Distribution alimentaire aux restos du cœur de Poitiers, quartier de la Demi-Lune, le 28 février 2023 ©Maxppp - PHOTOPQR/LA NOUVELLE REPUBLIQUE/MAXPPP
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Face aux difficultés économiques et aux dépenses contraintes, l’alimentation demeure une variable d’ajustement du budget des plus modestes. Devant l’ampleur de ce phénomène, une refonte de l’ensemble de notre “système alimentaire” semble nécessaire

Avec
  • Dominique Paturel chercheuse à l’INRAE (Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement), spécialiste des questions de démocratie alimentaire
  • Pauline Scherer Sociologue-intervenante, coordinatrice au sein de l’association Vrac et Cocinas, co-directrice d’une expérimentation de Caisse alimentaire commune à Montpellier

Alors que le gouvernement a présenté lundi 18 septembre, après 9 mois d’attente, son plan de lutte contre la pauvreté (ou “Pacte des Solidarités”), les derniers indicateurs du niveau de vie en France semblent continuer à se détériorer. Si le phénomène d’inflation est généralisé et n’atteint, selon l’INSEE, que 4,5% sur un an en juin 2023, c’est bien l’inflation alimentaire qui enregistre les scores les plus impressionnants, 13,7% sur un an à la même date.

La précarité alimentaire, une urgence devenue quotidienne

Selon les derniers chiffres disponibles de l’INSEE (tableau de bord de l’économie française 2021), l’alimentation est aujourd’hui le deuxième poste de dépense des Français (18.1%), juste derrière le poste logement/chauffage/éclairage (32.8% des dépenses), Pauline Scherer nous explique "la précarité alimentaire que l’on observe est liée à l’accroissement de la précarité en général, elle n’est qu’une composante de situations de vie complexes et précaires dans leur ensemble. Le fait que les gens aient du mal à se nourrir est en immense partie lié à la hausse des autres dépenses contraintes des ménages. Résultat, la part du budget des ménages consacré à l’alimentation se réduit : c’est le cas aujourd’hui, et cela a été exacerbé durant la période de la pandémie, mais c’est une tendance que l’on observe depuis 40 ans"

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Par la violence de la crise alimentaire que nous traversons, on observe une extension des comportements de privation alimentaire à de nouveaux profils socioéconomiques, pour qui la question alimentaire ne posait auparavant pas problème, une nouvelle catégorie de personnes  émerge : les “travailleurs pauvres”. Dominique Paturel complète "si on regarde le profil de ces travailleurs, on se rend compte qu'ils sont la plupart du temps sur une activité qui ne permet une rémunération correcte, ils sont très souvent sur une activité à temps partiel, il y beaucoup de femmes qui travaillent à temps partiel. Ils ont parfois des niveaux de revenus qui font qu'ils ne peuvent plus être bénéficiaires de minimas sociaux et il y a vraiment une complexification de la vie au quotidien. Il y a beaucoup de personnes seules et de familles monoparentales, le premier confinement a mis en lumière leurs difficultés d'accès à l'alimentation et a poussé de nouveaux profils vers l'aide alimentaire".

Un “système alimentaire” dysfonctionnel et profondément inégalitaire

Face à l’hégémonie des grands acteurs de l’agro-industrie, les consommateurs sont dépendants de l’offre de denrées alimentaires (et de leurs prix), ce qui vient renforcer les inégalités existantes, et rend l’aide alimentaire indispensable à l’alimentation de millions de Français contraints - alors qu’elle avait au départ été conçue comme un dispositif d’urgence, selon Dominique Paturel "du point de vue des droits humains, le droit à l’alimentation existe. Mais en pratique, il est assujetti aux accords du commerce international. Les marges de manœuvre du consommateur sont finalement extrêmement faibles : la qualité, la durabilité, et l’accessibilité des denrées alimentaires disponibles dépend en quasi-totalité des lobbies agro-industriels, et ce dans toutes les étapes de la chaîne de production, agriculture, transformation, distribution".

La “démocratie alimentaire” pour reprendre la main

Pauline Scherer (et d’autres) ont lancé l’expérimentation de la Caisse Alimentaire Commune à Montpellier, elle nous explique "la notion de démocratie alimentaire a été élaborée par Tim Lang, elle s’incarne aujourd’hui en France dans de nombreuses initiatives, comme les AMAP, les magasins en circuits courts, l’agriculture urbaine ou les coopératives. Pourtant, ces mouvements et ces initiatives peinent à toucher les personnes les plus vulnérables, alors que celles-ci sont particulièrement freinées dans l’accès à une alimentation de qualité. A travers le projet de sécurité sociale de l’alimentation, on fait deux hypothèses participant à l’instauration d’un projet politique et économique plus large. D’un côté, on considère que si l’on confie la gestion des caisses aux citoyens et aux différentes parties prenantes, on devrait observer un fort effet d’apprentissage et une prise de conscience de l’importance de la bonne alimentation ; d'autre part, on parie sur le fait que ces caisses, une fois bien organisées et bien gérées, pourraient aussi être utilisées pour investir dans une production agricole durable et respectueuse de l'environnement".

Pour aller plus loin

  • sous la direction de Dominique Paturel & Patrice Ndiaye : Le droit à l’alimentation durable en démocratie  (Champ social, 2020)
  • Bénédicte Bonzi : La France qui a faim (Seuil, 2023)

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